Christianisme
Ambiance Lourdes pour le 15 août
Lourdes. Quel drôle de nom pour monter au Ciel le cœur léger… Difficile à vendre sur l’étiquette, convenons-en. Celui de Tarbes claque fort comme un étendard de Bigorre. Mais hors d’ici, nul ne le connaît car il ne s’y passe rien. Même si la préfecture des Hautes-Pyrénées a aussi affaire au ciel, grâce à son secteur spatial...
À Rome se déploie le faste de l’Église, son pouvoir formel, sa façade politique. À Lourdes respire son poumon culturel. D’Afrique, d’Inde ou des Philippines, on se regarde en souriant ou en pleurant. Et par-delà les gestes barrières et la barrière de la langue, les pèlerins parlent le même langage et tous se comprennent. Mais quel éditorialiste s’émerveille devant la réussite de ce vivre-ensemble ?
Aujourd’hui, ce poumon du catholicisme est asphyxié. Le masque ne protège pas seulement ; il étouffe et il cache à la fois. Difficile quand on suffoque de s’entendre dire « prenez soin de vous ». Privée de ses cortèges de fauteuils roulants, la cité mariale vient de vivre un 15 août comme elle n’en connut jamais depuis plus d’un siècle. À Lourdes, le « grand vide » de l’Assomption, titra Sud-Ouest. Lourdes s’est effondrée, annonça Le Progrès qui parle de la « basilique Saint-Rozaire » (comme saint Nazaire…)
Malgré elle, Lourdes est la capitale de la piété populaire catholique. Malgré elle ? Oui car tout est à repenser dans cette ville sale, délabrée : l’architecture y est de mauvais goût (surtout dans la ville basse), l’offre hôtelière fait dans le bas de gamme malgré la pléthore d’établissements (138) et les transports demeurent difficiles : la quatre voies n’est toujours pas terminée ; on est à 5 heures de Paris malgré le TGV dont les rotations se raréfient ; il y a deux aéroports concurrents – Pau et Tarbes – mais aucun n’a de liaison extra-européenne, excepté avec Marrakech (!) et il n’y a même pas un passage vers l’Espagne. Pourtant, en ce 15 août, on croisait des foules venues de partout et de plus loin encore, même sans Américains ni Asiatiques. Cherchez l’erreur.
Lourdes est une marque mondiale, une dimension trop vaste pour l’esprit étriqué du montagnard bigourdan. Pourquoi diable la Vierge apparut-elle 18 fois à cet endroit ? Ce n’est pas le moindre des mystères. Comme les chercheurs d’or de Californie, les marchands s’installèrent le long de la rivière, le Gave, pour exploiter un filon qui ferait leur fortune mais pas leur fierté. Les Bigourdans ont le même rapport à l’Église que les Parisiens à la Tour Eiffel : utilitaire, folklorique. C’est une généralité, certes. Mea culpa. Mais il saute aux yeux que deux mondes coexistent : hors du sanctuaire et de ses dépendances, nécessité fait loi, alors qu’autour de la grotte, le Gave se transforme en torrent de gratuité.
La religion là-bas, c’est le radicalisme. Pas l’extrémisme religieux, surtout pas. On ne vous parle que de laïcité et de République. Le radicalisme s’enorgueillit (encore) de l’héritage du petit père Combes. Le curseur mental bouge très lentement : aucun élu ne se confiera sur la religion de manière libre, personnelle et spontanée, encore moins pour en dire du bien. Cette terre vit de Dieu, matériellement parlant, mais s’attache à rester séparée de Lui, sans même avoir la reconnaissance du ventre. Le radicalisme, c’est une forme d’entre-soi provincial, une façon de dire non à d’autres influences. Si le zèle anticlérical ne pavoise plus comme à la Belle Époque, cet esprit narrow-minded ne simplifie pas les choses. Trop longtemps, les Lourdais vécurent sur la rente. Aujourd’hui, l’État, la ville et le sanctuaire sont condamnés à s’entendre.
La crise sanitaire fonctionne comme un révélateur et un accélérateur. Les Lourdais découvrent que sans les apparitions, leur cité internationale serait une bourgade de trente-sixième ordre. Être propriétaire à Lourdes était considéré comme une manne. Le flot des pèlerins coulait tout seul et avec lui, l’argent faisait sourire le tiroir-caisse. Puis il y eut les inondations de 2013, suivies d’une désaffection constante (fréquentation divisée de moitié). Le déclin était enrayé depuis deux ans. Et patatras, la catastrophe se produit : on ne se gave plus sur le Gave. Les vendeurs de bibeloterie, avec 90% de chiffre d’affaires en moins, deviennent pauvres comme Job. Pour 1 euro déboursé dans le sanctuaire, les fidèles en dépensaient 12 dans la ville. Ce calcul avait cours quand des pèlerinages organisés structuraient tout le marché et réarmaient la machine à cash, ce que les pèlerins individuels, plus volatiles, ne font pas. Combien de temps tiendront-ils ? Le gouvernement promet de « sauver » Lourdes avec tout un chapelet de mesures d’exception. Il est même question d’annuler (et non pas de reporter) le paiement de charges sociales.
De novembre 2019 à avril 2021 (date hypothétique d’une reprise), les Lourdais auront passé 17 mois sans ressources. Les bandeaux « à louer » ou « à vendre » fleurissent comme des crocus au printemps. Le pape François est invité mais pour le 11 février… 2022. Une éternité.
À Rome se déploie le faste de l’Église, son pouvoir formel, sa façade politique. À Lourdes respire son poumon culturel. D’Afrique, d’Inde ou des Philippines, on se regarde en souriant ou en pleurant. Et par-delà les gestes barrières et la barrière de la langue, les pèlerins parlent le même langage et tous se comprennent. Mais quel éditorialiste s’émerveille devant la réussite de ce vivre-ensemble ?
Aujourd’hui, ce poumon du catholicisme est asphyxié. Le masque ne protège pas seulement ; il étouffe et il cache à la fois. Difficile quand on suffoque de s’entendre dire « prenez soin de vous ». Privée de ses cortèges de fauteuils roulants, la cité mariale vient de vivre un 15 août comme elle n’en connut jamais depuis plus d’un siècle. À Lourdes, le « grand vide » de l’Assomption, titra Sud-Ouest. Lourdes s’est effondrée, annonça Le Progrès qui parle de la « basilique Saint-Rozaire » (comme saint Nazaire…)
Malgré elle, Lourdes est la capitale de la piété populaire catholique. Malgré elle ? Oui car tout est à repenser dans cette ville sale, délabrée : l’architecture y est de mauvais goût (surtout dans la ville basse), l’offre hôtelière fait dans le bas de gamme malgré la pléthore d’établissements (138) et les transports demeurent difficiles : la quatre voies n’est toujours pas terminée ; on est à 5 heures de Paris malgré le TGV dont les rotations se raréfient ; il y a deux aéroports concurrents – Pau et Tarbes – mais aucun n’a de liaison extra-européenne, excepté avec Marrakech (!) et il n’y a même pas un passage vers l’Espagne. Pourtant, en ce 15 août, on croisait des foules venues de partout et de plus loin encore, même sans Américains ni Asiatiques. Cherchez l’erreur.
Lourdes est une marque mondiale, une dimension trop vaste pour l’esprit étriqué du montagnard bigourdan. Pourquoi diable la Vierge apparut-elle 18 fois à cet endroit ? Ce n’est pas le moindre des mystères. Comme les chercheurs d’or de Californie, les marchands s’installèrent le long de la rivière, le Gave, pour exploiter un filon qui ferait leur fortune mais pas leur fierté. Les Bigourdans ont le même rapport à l’Église que les Parisiens à la Tour Eiffel : utilitaire, folklorique. C’est une généralité, certes. Mea culpa. Mais il saute aux yeux que deux mondes coexistent : hors du sanctuaire et de ses dépendances, nécessité fait loi, alors qu’autour de la grotte, le Gave se transforme en torrent de gratuité.
La religion là-bas, c’est le radicalisme. Pas l’extrémisme religieux, surtout pas. On ne vous parle que de laïcité et de République. Le radicalisme s’enorgueillit (encore) de l’héritage du petit père Combes. Le curseur mental bouge très lentement : aucun élu ne se confiera sur la religion de manière libre, personnelle et spontanée, encore moins pour en dire du bien. Cette terre vit de Dieu, matériellement parlant, mais s’attache à rester séparée de Lui, sans même avoir la reconnaissance du ventre. Le radicalisme, c’est une forme d’entre-soi provincial, une façon de dire non à d’autres influences. Si le zèle anticlérical ne pavoise plus comme à la Belle Époque, cet esprit narrow-minded ne simplifie pas les choses. Trop longtemps, les Lourdais vécurent sur la rente. Aujourd’hui, l’État, la ville et le sanctuaire sont condamnés à s’entendre.
La crise sanitaire fonctionne comme un révélateur et un accélérateur. Les Lourdais découvrent que sans les apparitions, leur cité internationale serait une bourgade de trente-sixième ordre. Être propriétaire à Lourdes était considéré comme une manne. Le flot des pèlerins coulait tout seul et avec lui, l’argent faisait sourire le tiroir-caisse. Puis il y eut les inondations de 2013, suivies d’une désaffection constante (fréquentation divisée de moitié). Le déclin était enrayé depuis deux ans. Et patatras, la catastrophe se produit : on ne se gave plus sur le Gave. Les vendeurs de bibeloterie, avec 90% de chiffre d’affaires en moins, deviennent pauvres comme Job. Pour 1 euro déboursé dans le sanctuaire, les fidèles en dépensaient 12 dans la ville. Ce calcul avait cours quand des pèlerinages organisés structuraient tout le marché et réarmaient la machine à cash, ce que les pèlerins individuels, plus volatiles, ne font pas. Combien de temps tiendront-ils ? Le gouvernement promet de « sauver » Lourdes avec tout un chapelet de mesures d’exception. Il est même question d’annuler (et non pas de reporter) le paiement de charges sociales.
De novembre 2019 à avril 2021 (date hypothétique d’une reprise), les Lourdais auront passé 17 mois sans ressources. Les bandeaux « à louer » ou « à vendre » fleurissent comme des crocus au printemps. Le pape François est invité mais pour le 11 février… 2022. Une éternité.