Alexandre Loukachenko : les jours du « dernier dictateur d'Europe » sont-ils comptés ?
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Alexandre Loukachenko : les jours du « dernier dictateur d'Europe » sont-ils comptés ?

Par Peter Bannister. Synthèse n°1718, Publiée le 15/10/2022 - Photo Wikimedia /Информационное агентство БелТА
Au pouvoir depuis 28 ans, Alexandre Loukachenko a souvent été appelé le « dernier dictateur d’Europe » en raison de sa politique brutale et répressive en Biélorussie. Il est certainement le seul leader politique du continent à avoir cité directement Adolf Hitler comme modèle pour son propre rôle en tant qu'homme d'État, disant au journal allemand Handelsblatt en 1995 : « L’ordre allemand se formait depuis des siècles, et sous Hitler, cette formation a atteint son paroxysme. C’est cela qui correspond à notre vision de la république présidentielle et du rôle du président en son sein. » Mal-aimé dans son propre pays, objet de protestations massives en 2020, ce président d’une nation dont le PIB par habitant est inférieur à celui du Botswana reste pourtant une figure clé sur l’échiquier géopolitique pour une raison très simple – son alliance de longue date avec Vladimir Poutine. Sans rentrer formellement en guerre contre l’Ukraine, la Biélorussie a accueilli 30 000 troupes russes en février 2022 pour des exercices qui se sont transformés en assaut visant Kyiv, à 100 km de la frontière biélorusse. Depuis, tout en affichant son soutien ouvert à Moscou (dévoilant même les plans militaires pour le démembrement de l’Ukraine lors d'une émission télévisée), Loukachenko n’a pourtant pas envoyé sa propre armée pour rejoindre les forces de la Fédération Russe. C’est pourquoi l’annonce récente par Minsk de la création d’un groupement commun de troupes entre les deux pays a été considérée par beaucoup comme une escalade. Les avis divergent pourtant quant à la signification de ces déclarations – s’agit-il vraiment de l’ouverture d’un nouveau front dans le conflit ukrainien, ou plutôt de rhétorique belliqueuse pour masquer la faiblesse d’une dictature en fin de parcours ?

Le régime de Loukachenko a cherché à justifier le déploiement de ce groupement militaire conjoint en accusant l’Ukraine ainsi que la Pologne et la Lituanie de planifier des actions (dont un « pont de Crimée 2 ») contre la Biélorussie avec l'appui des pays occidentaux. Selon Minsk, l’entraînement à l'étranger des « radicaux biélorusses, pour mener des sabotages, des actes terroristes et un soulèvement militaire dans le pays » serait « une menace directe ».

Face à ces propos, Volodymyr Zelensky a lancé un appel au G7 pour surveiller la frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie, mais une nouvelle attaque en direction de la capitale ukrainienne semble peu probable dans l’immédiat. Selon l’Institute for the Study of War, on observe effectivement des transferts de drones kamikaze Shahed-136 vers la Biélorussie (d'où ils ont déjà été utilisés pour attaquer Kyiv le 10 octobre), mais on constate également le transport de matériel militaire dans l'autre sens vers la Crimée et Rostov en Russie. Si cela semble indiquer que Moscou et Minsk ne sont pas en train de masser des forces en Biélorussie, il reste possible que l'objectif tactique du nouveau groupement militaire soit de fixer des troupes ukrainiennes dans le nord du pays afin d’empêcher leur utilisation dans les régions annexées par la Russie au sud-est.

L’entrée en jeu de l'armée biélorusse, qui ne compte que 48 000 soldats sans expérience de combat, ne représenterait pas un atout majeur pour Moscou, même si certaines sources indiquent que des mesures de mobilisation partielle seraient en cours pour renforcer les rangs. Pourtant, si Poutine exigeait quand même l'envoi des troupes biélorusses en Ukraine, la plupart des analystes estiment que Loukachenko ne serait pas en mesure de s’y opposer, dépendant du Kremlin pour sa survie politique. Cependant, ce scénario serait très problématique pour le président biélorusse en raison du manque de soutien populaire pour la guerre. Non seulement parce que peu de Biélorusses semblent prêts à mourir pour la Russie, mais certains dissidents combattent déjà du côté ukrainien, notamment au sein du Bataillon Kastous-Kalinowski, incorporé à la Légion Etrangère ukrainienne. Il faudrait également souligner que la position de Loukachenko est très délicate : malgré ses mesures de répression draconienne (les détenus politiques en Biélorussie seraient 1 350), l’opposition biélorusse en exil est plutôt bien organisée. Sous sa cheffe Svetlana Tikhanovskaïa, elle a créé une coalition pour restaurer la démocratie à Minsk, aidée par l’organisation BYPOL fondée en 2020 par des ex-policiers opposés à Loukachenko. Les dissidents viennent par ailleurs de recevoir un important coup de pouce au niveau international grâce au Prix Nobel de la Paix accordé à l’avocat et activiste Ales Bialiatski (actuellement en prison). Un plan concret appelé « victoire » (Pieramoha) pour renverser le régime a été signé par plus de 200 000 Biélorusses, avec des centres d’entraînement en Pologne, où est également domiciliée une chaîne TV (Belsat) liée à l’opposition. Tout indique que ce serait la peur des biélorusses en exil qui aurait en grande partie motivé les dernières déclarations de Loukachenko, inquiet avant tout pour sa survie politique.
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