Affaire Sarah Halimi : Traoré était-il vraiment fou ?
Société

Affaire Sarah Halimi : Traoré était-il vraiment fou ?

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1259, Publiée le 26/04/2021
Ainsi donc, manifester sert à quelque chose. Juste avant les rassemblements en mémoire de Sarah Halimi, Éric Dupond-Moretti annonçait hier qu’un projet de loi sur l’irresponsabilité pénale serait présenté « fin mai » en Conseil des ministres en vue d'un vote « par le Parlement à l'été ». Ce nouveau texte, note le garde des Sceaux, vise à « combler un vide juridique », celui de « (…) la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l'abolition de son discernement ».

Nul ne comprend en effet pourquoi un automobiliste, s’il est alcoolisé, se voit retenu des circonstances aggravantes en cas d’accident responsable, alors qu’un tueur devenu fou sous l’empire de la drogue échappe à tout jugement.

Comme Kobili Traoré, le voisin de Sarah Halimi.

Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, le délinquant franco-malien pénétrait chez cette sexagénaire, la rouait de coups pendant quarante minutes puis la jetait par-dessus le balcon de la cour intérieure de leur HLM de Belleville. Lucie Attal, alias Sarah Halimi, ex-directrice d’école, était juive orthodoxe. Quand Traoré vit son chandelier à sept branches, il s’était mis à réciter des sourates du Coran avant de proférer : « j'ai tué le sheitan » (« démon » en arabe).

Il y a onze jours, le 14 avril, la Cour de cassation statuait que l’homme de 27 ans était en proie à une « bouffée délirante » et qu’il ne pourrait pas répondre de son crime devant les assises.

Colère, stupeur. On assimila cette absence de procès à un déni de justice.

Notons toutefois :

1. Les hauts magistrats ne se prononcèrent point sur l’origine de la démence de Traoré et c’est la raison pour laquelle la loi va changer. Ils suivirent l’avis des sept experts psychiatriques dont six avaient conclu à l’abolition de son discernement au moment des faits.

2. La prise d’une substance est pénalisante pour les infractions involontaires (comme un accident de la route) mais ne vaut pas pour les infractions volontaires. C’est aussi pour corriger cette anomalie qu’on va modifier la loi, ce qui devrait nous aligner sur la common law britannique, par exemple.

La Cour de cassation ne fit qu’appliquer le droit. Samedi, l'un des plus hauts magistrats français, François Molins, récusait toute laxisme : « Évidemment que la justice ne délivre aucun permis de tuer ! », s’insurgeait le procureur général près la Cour de cassation dans une interview au Monde. Sortant de sa réserve, Molins expliqua pourquoi il n'y eut pas de contradiction en droit à qualifier ce crime d’antisémite, tout en l'attribuant à un auteur pénalement irresponsable. Jusqu’à la loi Dati (2008), la Justice, en cas d’irresponsabilité, délivrait des non-lieux, ce qui était insupportable pour les victimes. Depuis lors, les juges se prononcent d'abord sur l'existence de l'infraction et son imputabilité à l'auteur, et dans un second temps, sur la question de la responsabilité pénale. La culpabilité de Traoré et le caractère antisémite de son acte sont ainsi reconnus (avec inscription au casier) mais pas sa responsabilité. En clair, ce n’est pas que la Justice ne veut pas le juger, c’est qu’elle ne le peut pas. Nuance.

Ce qui scandalise les organisations juives, c’est que l’intentionnalité antisémite puisse être « couverte » par l’irresponsabilité. Sauf que « la folie, c’est l’abolition de la conscience », dit le premier code pénal de 1810 en reprenant une tradition héritée de l’Antiquité selon laquelle on ne juge pas les fous mais on les traite.

Néanmoins, Traoré était-il vraiment fou ? L’interview de l'expert psychiatre Paul Bensussan, prise en référence de cet article, est si captivante qu'elle mérite d’être lue in extenso. Mais elle omet des points-clés soulevés par l’enquête de Noémie Halioua, ex-journaliste au magazine Actualité juive (L’affaire Sarah Halimi, Cerf, 2017). Traoré est multirécidiviste, condamné 22 fois (!). Plusieurs éléments plaident pour un crime commis de sang-froid :

1. Jamais aucun trouble psychiatrique n’avait été décelé chez lui. Ce qui intrigue vu sa fréquentation des prétoires, sachant qu’il avait déjà mis le feu à une victime...

2. Les témoins ont tout entendu. Avant de défénestrer Sarah Halimi, Traoré avait prononcé la phrase suivante : « elle va se suicider », ce qui indique une présence d’esprit et un sens du calcul peu compatibles avec la « bouffée délirante ».

Fait rarissime, l’instruction ne procédera à aucune reconstitution ! Emmené au poste, Traoré restera trois heures sur une chaise à agresser des agents puis sera interné illico. On ne l'interrogera, tenez-vous bien, qu'un mois plus tard…

Dans les media, l’affaire sera passée sous silence, ce qui incitera Noémie Halioua à mener l'enquête. Mais pourquoi donc taire un crime si abject ? Quelques heures après les faits, le soir du 4 avril 2017, tous les candidats à la présidentielle débattaient à la TV – pour la première fois de l'histoire de la Ve République. En 2002, l’affaire Paul Voise à Orléans avait coûté le second tour à Lionel Jospin. Et pour Noémie Halioua, il n’y a pas de doute : « L’affaire Halimi risquait de faire monter Marine Le Pen. »
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L'un des experts psy de l'affaire Sarah Halimi s'explique : "l'irresponsabilité pénale s'imposait"
Marianne
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