Culture
Abbaye de Pontigny : des séminaristes ou des touristes ?
L’abbaye de Pontigny est située en Bourgogne, au nord de Chablis. Ce haut lieu cistercien sublime – 9 ha et 5000 m2 de bâtiments – risque d’échoir dans le portefeuille d’un homme d’affaires prêt à le convertir en resort.
La décision remonte au 11 décembre.
Il y a deux mois, le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté cède ce domaine à la Fondation Schneider pour 1,8 M€. Le projet prévoit un hôtel de luxe, un restaurant gastronomique, un musée d'histoire religieuse et viticole. François Schneider possède les eaux de Wattwiller. L’industriel est aussi mécène. L’abbaye aura son centre d’art contemporain.
Un autre projet proposait 300000 € de plus (2,1 M€) mais, après examen, ne fut pas retenu par les conseillers régionaux. « Ce n’est pas une question d’argent », explique Michel Neugnot, premier vice-président de la Région. L’offre émanait de la Fraternité Saint-Pierre, une congrégation traditionaliste qui voulait faire de Pontigny son séminaire…
On en parle au passé mais l’affaire n’est pas close : si la Fondation Schneider ne trouve pas de partenaire hôtelier avant décembre, la promesse de vente sera caduque et la Région pourrait remettre le bien sur le marché. Le Covid rend cette issue plausible.
Sur le papier, la transaction ne concerne que la Région et un acteur privé. Le domaine n’est plus une abbaye depuis 1790. Mais l’Église est toujours là, avec l’abbatiale qui n’est pas à vendre. Celle-ci demeure la cathédrale du diocèse de la Mission de France, affectataire depuis 1954. Cette congrégation est connue par ses prêtres-ouvriers, proches du PCF après guerre. Leur présence est résiduelle. Seuls le recteur et un curé habitent ce village de 800 âmes. Le QG opérationnel de la Mission de France est en banlieue parisienne, au Perreux-sur-Marne et à Ivry-sur-Seine où se forme une dizaine de prêtres. De 1954 à 1967, Pontigny abritait leur séminaire puis les religieux se délestèrent du domaine au profit d’une association d’aide aux handicapés. En 2003, le bien fut acquis par la Région. Aujourd’hui, c’est elle qui le vend pour ne plus en payer l’entretien. Sur le papier donc, l’Église n’est pas concernée par la vente du domaine.
Est-elle toutefois indifférente à cette opération ? Non. Le vicaire général de la Mission de France, le père Henri Védrine, préfère les touristes aux séminaristes : « Je ne regrette rien du tout », affirme-t-il. Le projet Schneider « est tourné vers la terre nourricière qui porte sur la sauvegarde de la Création dans l’esprit de Laudato Si ». Comme si les deux François se rencontraient, le pape et Schneider, même si on ne voit pas en quoi privatiser ces murs pour en faire un profit réjouirait le pape argentin… En plus, la Fondation veut utiliser l’abbatiale qui ne lui appartient pas. Ce qui est source de tension : « Son usage devra être conforme à son affectation cultuelle, gratuite, perpétuelle et exclusive », prévient Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre et prélat de la Mission de France. Si aucune convention n’est encore signée, « il ne s’agit pas de brader un lieu spirituel », se défend le père Védrine.
Brader, voilà ce que redoutent certains, comme Stéphane Bern. Monsieur Patrimoine s’en émut auprès de la présidente du Conseil régional, la socialiste Marie-Guite Dufay. « Il faut garder à l’abbaye sa destination d’origine plutôt que d’opter pour une aventure hôtelière », lui écrivit-il.
Mais l’animateur n’obtint aucune réponse.
Le projet de la Fraternité Saint-Pierre respectait la « destination d’origine ». Normalement, toute l’Église aurait dû se réjouir qu’un séminaire rendît la vie à une abbaye. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? C’est que le projet vient de cathos border line, trop à droite. Bien que la congrégation tradi soit reconnue par Rome, l’épiscopat fuit toujours le compagnonnage de ce milieu-là. La Région aurait-elle dit oui au séminaire si le clergé en avait soutenu le projet ? À défaut d’une position claire à l’échelle nationale, l’évêque du lieu pesa la situation et en vit tous les risques :
1. Faire coexister des prêtres ouvriers et des jeunes en soutane eût exigé beaucoup d’acrobaties et de diplomatie.
2. La présence des tradis aurait pesé lourd sur ces terres de l’Yonne déchristianisées, même si autour de Pontigny, bien des élus les auraient préférés à l'hôtel de luxe.
3. Le projet Schneider, écolo enraciné, offre un accès à de nouveaux publics et valorise la vie rurale. Une occasion missionnaire pour l’Église issue de Vatican II. Du moins est-ce un argument avancé.
Quelle qu’en soit l’issue, cette histoire pose deux questions :
1. Comment réconcilier les catholiques ? Être minoritaire ne rend pas plus uni. Le patrimoine en fait les frais.
2. Comment faire respecter la vocation d’un lieu construit par et pour l’Église ? Certes, l’abbaye de Clairvaux, sœur de Pontigny dans l'Aube, est une prison. Les pierres coûtent cher et les fils de Pierre se font rares. Mais l’État comme l’Église ont un devoir patrimonial. La cession du joyau bourguignon au business y répond-il ?
On peut en douter.
La décision remonte au 11 décembre.
Il y a deux mois, le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté cède ce domaine à la Fondation Schneider pour 1,8 M€. Le projet prévoit un hôtel de luxe, un restaurant gastronomique, un musée d'histoire religieuse et viticole. François Schneider possède les eaux de Wattwiller. L’industriel est aussi mécène. L’abbaye aura son centre d’art contemporain.
Un autre projet proposait 300000 € de plus (2,1 M€) mais, après examen, ne fut pas retenu par les conseillers régionaux. « Ce n’est pas une question d’argent », explique Michel Neugnot, premier vice-président de la Région. L’offre émanait de la Fraternité Saint-Pierre, une congrégation traditionaliste qui voulait faire de Pontigny son séminaire…
On en parle au passé mais l’affaire n’est pas close : si la Fondation Schneider ne trouve pas de partenaire hôtelier avant décembre, la promesse de vente sera caduque et la Région pourrait remettre le bien sur le marché. Le Covid rend cette issue plausible.
Sur le papier, la transaction ne concerne que la Région et un acteur privé. Le domaine n’est plus une abbaye depuis 1790. Mais l’Église est toujours là, avec l’abbatiale qui n’est pas à vendre. Celle-ci demeure la cathédrale du diocèse de la Mission de France, affectataire depuis 1954. Cette congrégation est connue par ses prêtres-ouvriers, proches du PCF après guerre. Leur présence est résiduelle. Seuls le recteur et un curé habitent ce village de 800 âmes. Le QG opérationnel de la Mission de France est en banlieue parisienne, au Perreux-sur-Marne et à Ivry-sur-Seine où se forme une dizaine de prêtres. De 1954 à 1967, Pontigny abritait leur séminaire puis les religieux se délestèrent du domaine au profit d’une association d’aide aux handicapés. En 2003, le bien fut acquis par la Région. Aujourd’hui, c’est elle qui le vend pour ne plus en payer l’entretien. Sur le papier donc, l’Église n’est pas concernée par la vente du domaine.
Est-elle toutefois indifférente à cette opération ? Non. Le vicaire général de la Mission de France, le père Henri Védrine, préfère les touristes aux séminaristes : « Je ne regrette rien du tout », affirme-t-il. Le projet Schneider « est tourné vers la terre nourricière qui porte sur la sauvegarde de la Création dans l’esprit de Laudato Si ». Comme si les deux François se rencontraient, le pape et Schneider, même si on ne voit pas en quoi privatiser ces murs pour en faire un profit réjouirait le pape argentin… En plus, la Fondation veut utiliser l’abbatiale qui ne lui appartient pas. Ce qui est source de tension : « Son usage devra être conforme à son affectation cultuelle, gratuite, perpétuelle et exclusive », prévient Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre et prélat de la Mission de France. Si aucune convention n’est encore signée, « il ne s’agit pas de brader un lieu spirituel », se défend le père Védrine.
Brader, voilà ce que redoutent certains, comme Stéphane Bern. Monsieur Patrimoine s’en émut auprès de la présidente du Conseil régional, la socialiste Marie-Guite Dufay. « Il faut garder à l’abbaye sa destination d’origine plutôt que d’opter pour une aventure hôtelière », lui écrivit-il.
Mais l’animateur n’obtint aucune réponse.
Le projet de la Fraternité Saint-Pierre respectait la « destination d’origine ». Normalement, toute l’Église aurait dû se réjouir qu’un séminaire rendît la vie à une abbaye. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? C’est que le projet vient de cathos border line, trop à droite. Bien que la congrégation tradi soit reconnue par Rome, l’épiscopat fuit toujours le compagnonnage de ce milieu-là. La Région aurait-elle dit oui au séminaire si le clergé en avait soutenu le projet ? À défaut d’une position claire à l’échelle nationale, l’évêque du lieu pesa la situation et en vit tous les risques :
1. Faire coexister des prêtres ouvriers et des jeunes en soutane eût exigé beaucoup d’acrobaties et de diplomatie.
2. La présence des tradis aurait pesé lourd sur ces terres de l’Yonne déchristianisées, même si autour de Pontigny, bien des élus les auraient préférés à l'hôtel de luxe.
3. Le projet Schneider, écolo enraciné, offre un accès à de nouveaux publics et valorise la vie rurale. Une occasion missionnaire pour l’Église issue de Vatican II. Du moins est-ce un argument avancé.
Quelle qu’en soit l’issue, cette histoire pose deux questions :
1. Comment réconcilier les catholiques ? Être minoritaire ne rend pas plus uni. Le patrimoine en fait les frais.
2. Comment faire respecter la vocation d’un lieu construit par et pour l’Église ? Certes, l’abbaye de Clairvaux, sœur de Pontigny dans l'Aube, est une prison. Les pierres coûtent cher et les fils de Pierre se font rares. Mais l’État comme l’Église ont un devoir patrimonial. La cession du joyau bourguignon au business y répond-il ?
On peut en douter.