À propos de complotisme
Dernièrement, la sortie tumultueuse du film documentaire Hold up, les aventures de Trump et les confidences de Macron ont vu la presse et les médias reprendre comme un seul homme (y-a-t-il un titre qui ne l'ait utilisé ?) le mot de « complotisme » : un terme qui a marqué l'année et qui permet de stigmatiser à peu de frais en évitant tout débat sur le fond, comme les bonnes vieilles accusations classiques (nazisme, fascisme, racisme, antisémitisme) ou nouvelles (homophobie, islamophobie, populisme).
Dans ce monde nouveau où ce sont maintenant les journalistes qui coupent les hommes politiques (avant c'était l'inverse !), les bisounours aux commandes voudraient nous faire croire que les complots - que l'on peut définir comme la coordination secrète d'un petit groupe de gens puissants planifiant et entreprenant dans leur intérêt une action affectant le cours des événements - n'existent pas.
Ah bon ?
N'y a-t-il pas eu sans cesse dans l'Histoire des formes de complot pour acquérir du pouvoir, de l'argent, des soumissions, des relations, des postes, des études scientifiques, des contrats ou des avantages ? Tout le monde est-il toujours transparent et honnête ? Est-ce que la corruption, les pots-de-vin, les sociétés secrètes, les révolutions, les coups d'État et les coups tordus n'existent pas ?
Non. Dans leur monde parallèle, Brutus a assassiné César sur un coup de tête, Kennedy s'est fait descendre par un tireur isolé, les ennuis fiscaux de Platini n'ont rien à voir avec son intention de briguer la FIFA, les charges retenues contre Carlos Ghosn n'ont rien à voir avec les problèmes de Renault-Nissan, l'élimination de François Fillon n'a rien à voir avec les intérêts de la campagne présidentielle, les ennuis judiciaires d'Alstom, Technip ou Alcatel qui ont permis de les racheter à peu de frais n'ont rien à voir avec la guerre économique et l'article « foireux » du Lancet n'a rien à voir avec la campagne des laboratoires contre l'hydroxychloroquine.
Selon cette vision que l'on voudrait nous imposer, ce n'est pas seulement impossible et de l'ordre du fantasme : c'est dangereux et il serait grave que certains osent penser autrement. Il est donc logique de censurer les terribles « complotistes » qui croient qu'il peut y avoir des méchants, des satanistes, des tordus, des idéologues, des personnes intéressées (et donc des conflits d'intérêt)…
Voilà où l'on en est !
Dans le passé, on menait des enquêtes sur les comportements suspects et les événements qui changent le cours des choses. On se demandait : à qui profite le crime ? Y a-t-il a un mobile ? Y a-t-il a une possibilité d'action et un intérêt pour certains ? Y a-t-il des éléments factuels bizarres qui méritent d'être étudiés ? Et à partir de cela on réfléchissait.
Maintenant non : on censure et on voudrait disqualifier par principe, sans débat, alors que les complots existent à l'évidence, depuis la nuit des temps : rien de plus normal parce que le monde réel est truffé de cupidité, de convoitise et d'intérêts divergents, à tous les niveaux !
- C'est vrai au niveau individuel : la Bible évoque par exemple les complots contre Naboth (1R 21,1-19) ou Suzanne (Dn 13,1-64), mais il y a eu, bien sûr, des multitudes de cas dans toute l'Histoire.
- C'est vrai au niveau des entreprises, des associations ou des institutions avec toutes les tentatives d'OPA, de prises de contrôle, de manœuvres de corruption ou de disqualification des adversaires qui sont également innombrables.
- C'est vrai au niveau des États de Néron (64) à l'incendie du Reichstag (1933) en passant par toutes les actions d'influence, les révolutions et les coups d'États qui sont, eux aussi, très courants.
En conclusion, il existe certes, beaucoup de pensées complotistes absurdes qui ne reposent sur rien (il paraît qu'une forte proportion de nos contemporains croit que la Terre est plate !), qui extrapolent hors de toute rationalité, ou qui simplifient à outrance. Mais assimiler toute théorie du complot à une thèse paranoïaque, comme le veut l'époque, est une façon commode d'étouffer la dénonciation des scandales et les lectures politiques dissidentes, en renvoyant au rang de chimères ce qui ne se conforme pas à la vulgate officielle des gouvernants ou des médias dominants.
Ridiculiser le complotisme ne sert en fait qu'à conforter la seule version autorisée de faits. Or, dans le monde d'aujourd'hui, dans lequel il y a des acteurs privés influents et puissants, d'énormes conflits d'intérêts, des dérives autoritaires et de nombreux prétextes pour limiter nos libertés individuelles (santé, terrorisme, islam, économie, écologie, etc.), cette habitude pourrait se révéler dangereuse.