International
À Brégançon, un rendez-vous de « realpolitik » franco-russe
Que retenir de la rencontre entre Macron et Poutine au fort de Brégançon ? Encore loin d’une nouvelle alliance franco-russe, ce fut une relance des relations entre la Russie et la France inaugurées par le rendez-vous de Versailles, fin mai 2017. Du côté du président français, ce but était clair : « Réarrimer la Russie à l’Europe, parce que c’est son histoire, son destin et notre intérêt ». Même objectif du côté du président russe, toujours sur la réserve et prêt à la contre-attaque comme l’a rappelé sa sortie sur les « gilets jaunes » en réponse à un journaliste qui l’avait titillé sur la répression de manifestants à Moscou. Poutine espère voir la fin des sanctions économiques et de l’ostracisme politique (qui l’exclut notamment du prochain G8 devenu de ce fait le G7, à Biarritz) infligés à la Russie après la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée. Ce sujet épineux devrait faire l’objet, selon les deux dirigeants, d’un nouveau sommet réunissant la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine dans les prochaines semaines, la donne pouvant changer avec le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky désireux de faire la paix, contrairement à son prédécesseur. Il paraît toutefois totalement irréaliste de croire que la Russie pourrait renoncer à la Crimée et à son port de Sébastopol qui lui offre un débouché sur la Mer noire depuis le XVIIIe siècle. Sur la Syrie, rien de nouveau, Macron réclamant l’arrêt des combats à Idlib, et Poutine rétorquant, impavide, que la Russie poursuivra jusqu’au bout sa lutte contre les terroristes.
Le rééquilibrage géopolitique espéré pourrait se faire au détriment de la Chine mais aussi de l’Union européenne. Malmené par les Etats-Unis et par l’UE, Poutine s’est tourné vers la Chine, mais les Russes et les Chinois n’ont guère d’atomes crochus. L’emblème de la Russie a beau être l’aigle bicéphale, la tête qui scrute l’Europe domine historiquement et culturellement celle qui scrute l’Asie. Cependant, le tropisme européen de la Russie ne va pas jusqu’à la rendre sensible aux charmes de l’Union européenne : aujourd’hui comme hier, ou encore plus qu’hier, l’UE n’est pas tenue pour un interlocuteur crédible par Moscou, pas plus d’ailleurs que par Washington. Au Kremlin comme à la Maison blanche, on préfère traiter avec l’Allemagne, la France, le Royaume Uni, bref avec les Etats-nations, a fortiori à l’heure du Brexit. On aurait tort de n’y voir qu’une simple application de la vieille tactique consistant à diviser pour régner. Chacun à sa façon, Trump et Poutine partagent cet esprit national-conservateur qualifié de « lèpre populiste » par Macron, mais qui fait son chemin dans les pays européens en mal d’identité et confrontés à la pression croissante de l’immigration et de l’islam. Bon gré, mal gré, cette nouvelle donne, dont on a déjà vu les effets électoraux au cœur de l’Europe (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Autriche, Italie), oblige les chefs d’Etat européens à renouer avec la « realpolitik », que cela leur plaise ou non, et quoi qu’en disent les instances européennes.
Cela ne pouvait échapper au stratège du Kremlin qui a saisi la main tendue par Macron au moment où la Russie traverse une série de turbulences (problèmes économiques, écologiques, intempéries et accidents meurtriers, dont un nucléaire), alors que les complaisances de l’UE pour la Chine sont refroidies par la crise de Hong Kong, tandis que les grands pays européens, l’Allemagne (en pointe naguère pour appliquer à la Russie les sanctions post-Crimée), le Royaume Uni et l’Italie font face à de sérieuses difficultés internes. La France aussi, dira-t-on, mais Macron survivra à la crise des gilets jaunes. S’il l’a taclé à ce propos, Poutine n’oublie pas qu’au royaume des aveugles, les borgnes (fussent-ils éborgneurs…) sont rois !
Dans un entretien au Figaro (en lien ci-dessous), l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine approuve l’initiative diplomatique de Macron à l’égard de la Russie.
Le rééquilibrage géopolitique espéré pourrait se faire au détriment de la Chine mais aussi de l’Union européenne. Malmené par les Etats-Unis et par l’UE, Poutine s’est tourné vers la Chine, mais les Russes et les Chinois n’ont guère d’atomes crochus. L’emblème de la Russie a beau être l’aigle bicéphale, la tête qui scrute l’Europe domine historiquement et culturellement celle qui scrute l’Asie. Cependant, le tropisme européen de la Russie ne va pas jusqu’à la rendre sensible aux charmes de l’Union européenne : aujourd’hui comme hier, ou encore plus qu’hier, l’UE n’est pas tenue pour un interlocuteur crédible par Moscou, pas plus d’ailleurs que par Washington. Au Kremlin comme à la Maison blanche, on préfère traiter avec l’Allemagne, la France, le Royaume Uni, bref avec les Etats-nations, a fortiori à l’heure du Brexit. On aurait tort de n’y voir qu’une simple application de la vieille tactique consistant à diviser pour régner. Chacun à sa façon, Trump et Poutine partagent cet esprit national-conservateur qualifié de « lèpre populiste » par Macron, mais qui fait son chemin dans les pays européens en mal d’identité et confrontés à la pression croissante de l’immigration et de l’islam. Bon gré, mal gré, cette nouvelle donne, dont on a déjà vu les effets électoraux au cœur de l’Europe (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Autriche, Italie), oblige les chefs d’Etat européens à renouer avec la « realpolitik », que cela leur plaise ou non, et quoi qu’en disent les instances européennes.
Cela ne pouvait échapper au stratège du Kremlin qui a saisi la main tendue par Macron au moment où la Russie traverse une série de turbulences (problèmes économiques, écologiques, intempéries et accidents meurtriers, dont un nucléaire), alors que les complaisances de l’UE pour la Chine sont refroidies par la crise de Hong Kong, tandis que les grands pays européens, l’Allemagne (en pointe naguère pour appliquer à la Russie les sanctions post-Crimée), le Royaume Uni et l’Italie font face à de sérieuses difficultés internes. La France aussi, dira-t-on, mais Macron survivra à la crise des gilets jaunes. S’il l’a taclé à ce propos, Poutine n’oublie pas qu’au royaume des aveugles, les borgnes (fussent-ils éborgneurs…) sont rois !
Dans un entretien au Figaro (en lien ci-dessous), l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine approuve l’initiative diplomatique de Macron à l’égard de la Russie.