
À Brégançon, un rendez-vous de « realpolitik » franco-russe
Le rééquilibrage géopolitique espéré pourrait se faire au détriment de la Chine mais aussi de l’Union européenne. Malmené par les Etats-Unis et par l’UE, Poutine s’est tourné vers la Chine, mais les Russes et les Chinois n’ont guère d’atomes crochus. L’emblème de la Russie a beau être l’aigle bicéphale, la tête qui scrute l’Europe domine historiquement et culturellement celle qui scrute l’Asie. Cependant, le tropisme européen de la Russie ne va pas jusqu’à la rendre sensible aux charmes de l’Union européenne : aujourd’hui comme hier, ou encore plus qu’hier, l’UE n’est pas tenue pour un interlocuteur crédible par Moscou, pas plus d’ailleurs que par Washington. Au Kremlin comme à la Maison blanche, on préfère traiter avec l’Allemagne, la France, le Royaume Uni, bref avec les Etats-nations, a fortiori à l’heure du Brexit. On aurait tort de n’y voir qu’une simple application de la vieille tactique consistant à diviser pour régner. Chacun à sa façon, Trump et Poutine partagent cet esprit national-conservateur qualifié de « lèpre populiste » par Macron, mais qui fait son chemin dans les pays européens en mal d’identité et confrontés à la pression croissante de l’immigration et de l’islam. Bon gré, mal gré, cette nouvelle donne, dont on a déjà vu les effets électoraux au cœur de l’Europe (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Autriche, Italie), oblige les chefs d’Etat européens à renouer avec la « realpolitik », que cela leur plaise ou non, et quoi qu’en disent les instances européennes.
Cela ne pouvait échapper au stratège du Kremlin qui a saisi la main tendue par Macron au moment où la Russie traverse une série de turbulences (problèmes économiques, écologiques, intempéries et accidents meurtriers, dont un nucléaire), alors que les complaisances de l’UE pour la Chine sont refroidies par la crise de Hong Kong, tandis que les grands pays européens, l’Allemagne (en pointe naguère pour appliquer à la Russie les sanctions post-Crimée), le Royaume Uni et l’Italie font face à de sérieuses difficultés internes. La France aussi, dira-t-on, mais Macron survivra à la crise des gilets jaunes. S’il l’a taclé à ce propos, Poutine n’oublie pas qu’au royaume des aveugles, les borgnes (fussent-ils éborgneurs…) sont rois !
Dans un entretien au Figaro (en lien ci-dessous), l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine approuve l’initiative diplomatique de Macron à l’égard de la Russie.