Sciences

Il y a 75 ans, on comprenait l'origine des atomes

Par Janus Maat. Synthèse n°2119, Publiée le 17/02/2024 - Image : Shutterstock

Le trait est vif, caractéristique du dessin de presse et de son auteur Herbert Block. Une bombe atomique est assise sur un canapé, le Washington Post en main qui titre « des scientifiques disent que l'Univers a été créé en 5 minutes ». Nous sommes le 16 avril 1948. Deux semaines plus tôt, la revue Physical Review venait de publier un article révolutionnaire, expliquant comment 5 petites minutes ont suffi à l'Univers pour former les noyaux atomiques les plus légers, ceux d'hydrogène et d'hélium, briques fondamentales à la formation des étoiles. Dans ce papier George Gamow affirme que tout l'hydrogène présent dans l'Univers a été formé dans les 5 premières minutes. Et cela tient presque du miracle. Quelques minutes de plus, et nous n'aurions plus d'hydrogène en quantité suffisante pour former les étoiles et les planètes.

La fenêtre de tir est étroite pour deux raisons : d'un côté, l'Univers à ses débuts est tellement chaud qu'il est plongé dans un bain thermique constitué de particules élémentaires très énergétiques qui passent leur temps à se heurter violemment à la manière d'auto-tamponneuses. Au milieu de ce chaos, certaines particules comme les protons et les neutrons aimeraient partager une vie à deux. Mais impossible d'initier la moindre danse pour faire connaissance. À peine s'accrochent-elles main sur la taille, qu'une troisième déboule à pleine vitesse et les heurte violemment pour les séparer. Mais le temps joue en leur faveur. Au bout d'une minute environ, la température a suffisamment baissé pour que les particules ralentissent, les particules excitées se calment enfin, les couples se forment. On assiste alors à un véritable speed dating primordial, auxquels s'accrochent protons et neutrons, comme des enfants, parce que protons et neutrons sont de nature grégaire. Deux protons et deux neutrons, l'hélium fait son apparition. Mais attention, il faut que cette réaction ne dure pas trop longtemps, sinon il n'y aurait plus assez de protons célibataires pour initier le feu des futures étoiles. Passées 5 minutes, la température de l'Univers est tellement basse que tout se fige, glacé. Plus d'accouplement. 25 % des protons ont trouvé leur partenaire et sont en couple, 75 % sont restés célibataires. Ce sont ces célibataires endurcis qui formeront le combustible de nos étoiles. C'est cette valse à trois temps que décrit Gamow, et c'est aussi exactement ce qui a été récemment observé dans le ciel : 75 % d'hydrogène pour 25 % d'hélium ! La danse est belle mais ne s'arrête pas là.

En effet, certains firent la remarque que quelque chose ne tournait pas rond dans ce bal musette. Le bois est fait de carbone (6 protons), l'air que l'on respire d'oxygène (8 protons), nos os de calcium (20 protons), la tour Eiffel de fer (26 protons), comment ont-ils pu engager des danses aussi peu orthodoxes entre multipartenaires alors que tout était gelé au bout de 5 minutes ? C'est là qu'intervient un deuxième physicien de génie, le britannique Fred Hoyle. Ce dernier note que dans l'Univers, il existe un endroit où la température peut dépasser celle de l'Univers 5 minutes après le Big-Bang : le cœur des étoiles.

Une étoile ressemble plus à un ring de combat qu'à une piste de danse. Sur ce ring se retrouvent les 75 % d'atomes d'hydrogène célibataires qui n'ont qu'une seule envie, trouver enfin leur partenaire. Mais cette fois-ci le combat est rude et engage deux forces opposées : à ma gauche la force de gravité attractive qui n'a qu'un objectif, que le nuage d'hydrogène s'effondre sur lui-même ; à ma droite l'énergie nucléaire libérée sous forme de pression à chaque fois que deux noyaux d'hydrogène fusionnent pour former de l'hélium. Mais ce combat est inégal. Alors que les noyaux d'hydrogène célibataires se raréfient, la gravité est toujours présente. L'étoile lutte, mais a bien compris qu'au final la gravité l'emportera sur la pression nucléaire. Le cœur de l'étoile se transforme alors en une véritable fournaise. Il chauffe tellement que se forment des trios de danseurs peu orthodoxes 3 héliums qui fusionnent à leur tour pour donner du carbone (6 protons) puis de l'oxygène, du calcium... jusqu'au fer, l'élément stable le plus lourd dans la nature.

Mais l'étoile s'arrête là, le fer ne fusionne pas. La gravité prend la main et ne la lâchera plus. Le soleil s'épuise, il jette l'éponge. Alors que le cœur implose en naine blanche, étoile à neutron ou trou noir suivant sa masse, la couche externe va s'étendre en géante rouge ou supernova, expulsant les produits du four stellaire dans l'espace intersidéral. Ceux-ci formeront finalement les premières roches de carbone, de fer et d'autres éléments, qui donneront par la suite les premières planètes, dont la Terre. Rendons alors hommage à Gamow et Hoyle, deux génies qui nous ont appris que nous ne sommes tous que des poussières d'étoiles, issues des cendres du Big Bang, dans une danse qui dura les 5 minutes qu'il vous a fallu pour lire cet article.

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