10 ans après la mort de Mandela, la « nation arc-en-ciel » est à la dérive
Nelson Mandela, décédé le 5 décembre 2013, est une icône, à l'image de Martin Luther King. Après avoir passé des années dans les geôles du régime ségrégationniste de Prétoria, il est devenu le premier Président noir en Afrique du Sud de 1994 à 1999. Symbole de la résistance au régime honni de l'apartheid, il a surtout marqué le monde par sa volonté inébranlable de réconcilier son pays. Pour l'Occident des années 90, ivre de sa victoire face au bloc communiste, la « nation arc-en-ciel » était la promesse tenue d'un multiculturalisme heureux… Las, ce n'était qu'un rêve vite évanoui après la mort de « Madiba » rapporte Brian Pottinger pour UnHerd (voir notre sélection). L'ombre souriante de Mandela a caché la montée d'une génération d'extrémistes rassemblés sous la bannière de la Radical Economic Transformation - « RET ».
On aurait tort de sous-estimer le petit miracle réalisé par les deux anciens ennemis : le Président sortant de Klerk et son successeur Mandela. Le désastre actuel au Moyen Orient doit nous rappeler que l'Afrique du Sud aurait pu être le théâtre d'un déchainement de violence. Or, le quinquennat de Mandela, d'un charisme extraordinaire, a fait croire que ce miracle ouvrait une nouvelle ère. Il a en effet interdit aux revanchards de l'ANC (le principal parti de la résistance anti-apartheid) d'exercer des représailles. La transition a été pacifique – justement parce que « Madiba » a eu soin de ne pas conduire une révolution. Bien au contraire, il a profité de l'appareil sécuritaire de l'ancien régime pour tenir le pays. Mais les profondes fractures n'ont pas été effacées par son sourire, et les piliers qui avaient maintenu l'ordre allaient vite s'effondrer avec ses successeurs…
Mandela avait tenté de réformer la doctrine économique de l'ANC – restée marxiste. En mai 1990, il avait exhorté son parti à moderniser son programme fondé sur la nationalisation des entreprises et la redistribution autoritaire des richesses. Il fallait faire mentir ceux qui prédisaient que l'Afrique du Sud imiterait la ruine de nombreux pays africains, une fois l'ANC au pouvoir. Après 30 ans de politiques redistributives et racialistes, l'échec est tel qu'on se rapproche d'un scénario vénézuélien. Au bout des 6 premiers mois de l'année financière en cours, le déficit budgétaire de l'État a augmenté de 50 % (53 milliards de rands ou 2,65 milliards d'euros). À ce rythme, les seuls intérêts de la dette pèseront plus de 12 milliards d'euros cette année. L'arc-en-ciel a coulé derrière le mur des dépenses sociales dispendieuses (45 % des Sud-Africains reçoivent des aides) et les salaires de la fonction publique qui sont en moyenne 2 fois plus élevés que dans le secteur privé. Les revenus tirés des impôts sur les sociétés se sont écroulés à cause de la déliquescence des infrastructures : les coupures d'électricité seules coûtent 5 % du PIB et les ports en ruine retranchent 4,9 % à la richesse nationale. La Banque Mondiale estime de surcroit que le crime organisé détourne 10 % du PIB… Le chômage (32 % de la population active) n'a jamais été aussi haut. À l'heure de l'urgence écologique, 36 % de l'eau potable dans les villes s'échappe de canalisations défectueuses.
Dans le même temps, le gouvernement investit sans compter dans la micro-économie, les PME et les coopératives rurales – en ligne avec la vision de « Madiba ». Le gâchis est immense à cause d'une corruption généralisée et l'incompétence des acteurs. Malgré cette prodigalité, le nombre d'entrepreneurs noirs issus des classes populaires reste faible. Comment s'en étonner quand les transferts sociaux massifs sont garantis par l'État ? Pourtant, Mandela et son successeur Mbeki avaient nommé des ministres des Finances compétents : croissance et emploi étaient au rendez-vous au point où les dettes héritées de l'apartheid (à cause des sanctions internationales) étaient effacées au début des années 2000. La « nation arc-en-ciel » était promise à un bel avenir, entre l'Australie et Singapour… Le programme de « transformation radicale » de l'ANC a tout cassé : le dirigisme étatique profite à 1 % de la nouvelle petite élite dans un contexte de rivalités claniques.
Typique d'un processus de décolonisation, on a vu d'abord le transfert de richesses de capitalistes blancs au bénéfice d'un petit nombre de figures dirigeantes de la communauté noire. Le « déploiement des cadres » de l'ANC, souvent incompétents et corrompus, au sein des structures publiques a fait le reste. En ajoutant la montée vertigineuse de la criminalité, on compte près d'un quart du PIB perdu. Les « Business forums » - par exemple - sont des cartels qui extorquent 30 % de la valeur des projets immobiliers. Par comparaison, l'Ukraine assiégée et en guerre a vu son PIB baisser de 30 % en 2022…
La vision de Mandela a été trahie. L'actuel Président Ramaphosa élu il y a 5 en promettant de remettre le pays sur ses rails s'est montré incapable de nettoyer les écuries d'Augias. « Il faut que tout change pour que rien ne change » semble être sa politique…