International
Une ombre chinoise sur le « couple franco-allemand »
Le « couple franco-allemand » a-t-il jamais existé ? Pour les Français, peut-être, mais pas pour les Allemands qui préfèrent – ou préféraient – parler du « moteur franco-allemand ». Si couple il y a eu, le divorce est amorcé ; si le moteur a fonctionné, il est en panne. Et le voyage en cavalier seul du chancelier Scholz en Chine, la semaine dernière, alors qu’Emmanuel Macron avait souhaité s’y joindre, n’est pas de nature à rapprocher les deux grands voisins, ni d’ailleurs à redorer le blason de l’Allemagne aux yeux des autres membres de l’Union Européenne. Aucun autre dirigeant de l’UE n’était du voyage ; en revanche une cohorte d’hommes d’affaires allemands accompagnait le chancelier.
Cette première visite à Pékin, depuis trois ans, d’un chef d’un État membre de l’UE, a valu à Olaf Scholz une pluie de critiques en Europe, y compris en Allemagne. Ce voyage ne pouvait pas tomber plus mal, au lendemain du triomphe de Xi Jinping au 20e congrès du Parti communiste (qui a inscrit dans sa charte le refus de l’indépendance de Taïwan), et de l’annulation surprise du Conseil des ministres franco-allemand qui devait avoir lieu le 26 octobre (remplacé ce même jour par une simple rencontre à l'Élysée entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz). En choisissant de se rendre tout de même en Chine, le chancelier a confirmé que le véritable « moteur » allemand reste l’exportation, y compris vers la plus puissante dictature du monde. « Pourquoi ce serait mal ? L’Allemagne a toujours fait comme ça » avait ingénument rétorqué Olaf Scholz, interpellé sur la pertinence de ce déplacement lors du dernier sommet européen. Le fait est que le chancelier s’inscrit dans une longue tradition germanique d’opportunisme mercantile, exacerbé depuis deux décennies par le vertigineux marché chinois. Les grandes entreprises d’Outre-Rhin, BASF, Siemens, Volkswagen , BMW, en tirent actuellement entre 30 et 40 % de leurs chiffres d’affaires, et y investissent à tout-va. En retour, l’Allemagne importe massivement du « made in China », cède aux Chinois une entreprise de microprocesseurs, et permet à l’armateur chinois Cosco d’accroître son capital dans l’un des quatre terminaux du port de Hambourg.
Face à ce colossal business avec la Chine, que pèsent le sort des Ouïgours, les libertés à Hongkong, l’avenir de Taïwan, ou encore l’indulgence de Pékin envers Moscou ? Que vaut le traité de coalition entre Olaf Scholz et ses partenaires écologistes et libéraux qui prévoyait une nouvelle stratégie avec la Chine, une baisse de la dépendance économique, et une attention accrue aux droits de l’homme ? Les 20 et 21 octobre, lors de leur dernier sommet, les Vingt-Sept avaient longuement échangé sur la conduite à tenir face à Pékin. Les bonnes résolutions prises alors n’auront guère encombré Olaf Scholz lors de son voyage en Chine deux semaines plus tard. Au fond, si Berlin tient à l’Union européenne, est-ce vraiment pour ses « valeurs » ou pour les débouchés commerciaux qu’elle offre à l’industrie allemande ?
Certes, leur dépendance envers la Chine commence à inquiéter sérieusement les Allemands, privés du gaz russe et incertains de la fiabilité de l’oncle Sam pour les défendre. Au point qu’ils se réarment en mettant, pour commencer, 100 milliards d’euros au pot avec l’ambition de faire de leur armée « la force la mieux équipée d'Europe ». Mais le principal bénéficiaire de ces commandes passées en urgence, c’est l’industrie de l’armement américaine qui fait la pluie et le beau temps en Europe grâce à l’Otan ! Quoique producteurs d’armes sophistiquées (le Rafale, le char Leclerc, le canon César), les Français ne font pas le poids face aux Américains pour les vendre aux Européens.
Les achats d’armement ne sont pas la seule cause du désamour entre Paris et Berlin. La guerre en Ukraine est un révélateur de fractures anciennes. Après avoir privilégié pendant des décennies ses relations avec la Russie, l’Allemagne, aujourd’hui privée du gaz russe, s’offusque des tentatives d’Emmanuel Macron pour renouer le dialogue avec Moscou. Alors que la France plaide pour un plafonnement européen du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité, l'Allemagne s'y oppose au nom de l'autorégulation du marché mais annonce, sans concertation avec ses partenaires européens, un plan massif de soutien énergétique de 200 milliards d'euros pour plafonner les prix de l'énergie, soulager les consommateurs allemands face à l'inflation, et rendre ses entreprises encore plus compétitives au détriment des autres entreprises européennes.
Une majorité d’observateurs semble convaincue qu’il s’agit d’un coup de froid passager et que la France et l’Allemagne sont condamnées à s’entendre. Mariage de raison entre une Cendrillon et un ploutocrate ? Le déséquilibre industriel et financier croissant entre les deux partenaires renvoie à cette boutade attribuée à Sacha Guitry : « Dans le mariage, l'homme et la femme ne feront plus qu'un. Oui, mais lequel ? »
Cette première visite à Pékin, depuis trois ans, d’un chef d’un État membre de l’UE, a valu à Olaf Scholz une pluie de critiques en Europe, y compris en Allemagne. Ce voyage ne pouvait pas tomber plus mal, au lendemain du triomphe de Xi Jinping au 20e congrès du Parti communiste (qui a inscrit dans sa charte le refus de l’indépendance de Taïwan), et de l’annulation surprise du Conseil des ministres franco-allemand qui devait avoir lieu le 26 octobre (remplacé ce même jour par une simple rencontre à l'Élysée entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz). En choisissant de se rendre tout de même en Chine, le chancelier a confirmé que le véritable « moteur » allemand reste l’exportation, y compris vers la plus puissante dictature du monde. « Pourquoi ce serait mal ? L’Allemagne a toujours fait comme ça » avait ingénument rétorqué Olaf Scholz, interpellé sur la pertinence de ce déplacement lors du dernier sommet européen. Le fait est que le chancelier s’inscrit dans une longue tradition germanique d’opportunisme mercantile, exacerbé depuis deux décennies par le vertigineux marché chinois. Les grandes entreprises d’Outre-Rhin, BASF, Siemens, Volkswagen , BMW, en tirent actuellement entre 30 et 40 % de leurs chiffres d’affaires, et y investissent à tout-va. En retour, l’Allemagne importe massivement du « made in China », cède aux Chinois une entreprise de microprocesseurs, et permet à l’armateur chinois Cosco d’accroître son capital dans l’un des quatre terminaux du port de Hambourg.
Face à ce colossal business avec la Chine, que pèsent le sort des Ouïgours, les libertés à Hongkong, l’avenir de Taïwan, ou encore l’indulgence de Pékin envers Moscou ? Que vaut le traité de coalition entre Olaf Scholz et ses partenaires écologistes et libéraux qui prévoyait une nouvelle stratégie avec la Chine, une baisse de la dépendance économique, et une attention accrue aux droits de l’homme ? Les 20 et 21 octobre, lors de leur dernier sommet, les Vingt-Sept avaient longuement échangé sur la conduite à tenir face à Pékin. Les bonnes résolutions prises alors n’auront guère encombré Olaf Scholz lors de son voyage en Chine deux semaines plus tard. Au fond, si Berlin tient à l’Union européenne, est-ce vraiment pour ses « valeurs » ou pour les débouchés commerciaux qu’elle offre à l’industrie allemande ?
Certes, leur dépendance envers la Chine commence à inquiéter sérieusement les Allemands, privés du gaz russe et incertains de la fiabilité de l’oncle Sam pour les défendre. Au point qu’ils se réarment en mettant, pour commencer, 100 milliards d’euros au pot avec l’ambition de faire de leur armée « la force la mieux équipée d'Europe ». Mais le principal bénéficiaire de ces commandes passées en urgence, c’est l’industrie de l’armement américaine qui fait la pluie et le beau temps en Europe grâce à l’Otan ! Quoique producteurs d’armes sophistiquées (le Rafale, le char Leclerc, le canon César), les Français ne font pas le poids face aux Américains pour les vendre aux Européens.
Les achats d’armement ne sont pas la seule cause du désamour entre Paris et Berlin. La guerre en Ukraine est un révélateur de fractures anciennes. Après avoir privilégié pendant des décennies ses relations avec la Russie, l’Allemagne, aujourd’hui privée du gaz russe, s’offusque des tentatives d’Emmanuel Macron pour renouer le dialogue avec Moscou. Alors que la France plaide pour un plafonnement européen du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité, l'Allemagne s'y oppose au nom de l'autorégulation du marché mais annonce, sans concertation avec ses partenaires européens, un plan massif de soutien énergétique de 200 milliards d'euros pour plafonner les prix de l'énergie, soulager les consommateurs allemands face à l'inflation, et rendre ses entreprises encore plus compétitives au détriment des autres entreprises européennes.
Une majorité d’observateurs semble convaincue qu’il s’agit d’un coup de froid passager et que la France et l’Allemagne sont condamnées à s’entendre. Mariage de raison entre une Cendrillon et un ploutocrate ? Le déséquilibre industriel et financier croissant entre les deux partenaires renvoie à cette boutade attribuée à Sacha Guitry : « Dans le mariage, l'homme et la femme ne feront plus qu'un. Oui, mais lequel ? »