Toujours moins d'enfants en France
La dénatalité plonge la France dans l'hiver démographique. Un nouveau rapport de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE,14/01/2025) confirme que « la chute vertigineuse » des naissances déjà constatée pour l'année 2023 (cf. LSDJ n°2334) se poursuit : « En 2024, 663 000 bébés sont nés en France. C'est 2,2 % de moins qu'en 2023 et 21,5 % de moins qu'en 2010, année du dernier pic des naissances. L'indicateur conjoncturel de fécondité s'établit à 1,62 enfant par femme, après 1,66 en 2023. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, cet indicateur n'a jamais été aussi bas », résume l'INSEE.
Si « la démographie, c'est le destin », selon la formule attribuée à Auguste Comte, « la France est dans un sacré pétrin » s'alarme Gabrielle Cluzel dans son éditorial de Boulevard Voltaire (15/01/2025). Mais la démographie est l'éléphant au milieu de la pièce que nos responsables politiques, à de rares exceptions près, feignent de ne pas voir. L'éditorialiste relève à ce propos que la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a reproché au Premier ministre de ne pas avoir parlé de la fin de vie dans son discours de politique générale (cf. LSDJ n°2376) alors qu'elle ne s'est pas inquiétée du mutisme de François Bayrou sur une politique familiale pouvant relever le défi de la crise démographique. La retraite et la mort paraissent fasciner nos parlementaires, tandis que les berceaux vides ne semblent pas les troubler. Il est vrai que les bébés ne votent pas, tandis que les retraités sont de précieux électeurs. Entre électoralisme et contrainte budgétaire, le financement des retraites — premier poste de dépenses publiques et première source d'endettement avec la santé — est au cœur des travaux (et des déchirements) de l'Assemblée nationale.
Mais comment résoudre ce problème majeur si l'on évacue la gigantesque transition démographique en cours en France et dans le monde entier ? Le taux de fécondité mondiale a été divisé par 2 en l'espace de 60 ans. « C'est une révolution absolument incroyable », souligne l'économiste Maxime Sbaihi, auteur de « Les balançoires vides — le piège de la dénatalité », dans une interview accordée à Europe 1 (22/01/2025). Certains pays vont être absorbés par ce « trou noir » : avec un taux de fécondité de 0,78 enfant par femme (2023), la Corée du Sud est purement et simplement menacée de disparition (Courrier International, 29/02/2024). Rappelons que le renouvellement des générations ne s'opère qu'à partir d'un indice de fécondité de 2,05 enfants par femme en mesure de procréer.
Les Français ont-ils pris conscience du « crash », du « suicide collectif » qui se profile ? Interviewés par Atlantico (16/01/2025), les démographes Anne Solaz (directrice de recherche à l'Ined) et Alain Parant (ancien chercheur de l'Ined, conseiller scientifique de Futuribles International) rappellent que la dénatalité n'a rien d'un accident : c'est une tendance mondiale et ancienne. S'agissant de la France, le seul « accident » notable dans une tendance générale à la baisse, c'est la remontée de la natalité entre 1946 et 1964. Alain Parant l'attribue au code de la famille de 1939, qui, à l'issue de la guerre, « a permis la mise en place d'une politique familiale particulièrement positive, reposant sur un effort collectif important ». La tendance inverse se manifeste d'une façon particulièrement brutale aujourd'hui. On peut attribuer l'ultime décrochage au coup de grâce donné par François Hollande à la politique familiale. Mais cet affaissement est l'aboutissement d'une décomposition qui a son origine dans les années 1968 avec la « libération sexuelle » favorisée par la pilule contraceptive et par la légalisation de l'avortement. 50 ans après la loi Veil, la France est privée de 240 000 naissances par an (243 623 IVG en 2023, selon Libération, 25/09/2024). On devine quels tabous il faudrait braver pour admettre le « décrochage » de la natalité.
Les débats parlementaires sur l'âge de départ à la retraite restent enfermés dans l'utopie des 62-64 ans, quand la plupart des pays européens ont fixé l'âge légal entre 65 et 67 ans... (Toute l'Europe, 22/01/2025). « Il y avait un contraste saisissant cette semaine entre les chiffres catastrophiques de la natalité produits par l'Insee (...) et l'absurde insistance de la moitié des partis politiques français à vouloir abroger une réforme des retraites pourtant minimale. Notre pyramide des âges est en train de s'inverser, le système par répartition est condamné par la dénatalité, mais des politiciens continuent à mentir à leurs électeurs et à sacrifier la jeunesse sur l'autel de promesses intenables », commente Eugénie Bastié (Le Figaro, 15/01/2025).
Il reste qu'en France comme ailleurs, « les femmes font de moins en moins d'enfants », constate Anne Solaz. Pourquoi ? Si la baisse de la fécondité s'explique universellement par des facteurs matériels et économiques, en Occident, la transition démographique a pour terreau « une évolution des normes et des valeurs au niveau individuel comme familial ». En résumé, « l'individualisme devient plus central, au détriment potentiel des valeurs familiales ou du couple ». L'hiver démographique s'installe d'abord dans les têtes et dans les mœurs.