
« Submersion migratoire », « grand remplacement » : deux tabous violés par Bayrou et Mélenchon
Deux expressions politiquement et médiatiquement proscrites ont fait irruption à quelques jours d'intervalle dans le débat public : « submersion migratoire » et « grand remplacement ». Mais ce n'est pas tant leur énonciation qui a créé la surprise que la personnalité des locuteurs : la première a été prononcée par le Premier ministre François Bayrou ; la seconde par le chef auto-proclamé de l'opposition d'extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon.
Lundi 27 janvier, sur le plateau de LCI, François Bayrou a prononcé l'expression officieusement interdite : « submersion migratoire ». À vrai dire, il l'a atténuée d'emblée en parlant d'un « sentiment de submersion » et en ayant soin de se présenter en partisan d'une immigration régulée : « Je pense que la rencontre des cultures est positive, a-t-il déclaré. Mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là vous avez rejet. »
Ce simple constat d'un « sentiment de submersion » chez les Français a provoqué un tollé à gauche, et des malaises en série au centre, ébranlant le socle gouvernemental, constate France info (28 janvier) : «De nombreux parlementaires et figures de la gauche se sont montrés offusqués. L'insoumise Mathilde Panot ou le socialiste Boris Vallaud disent y entendre des mots de l'extrême droite. Mais ces mots dérangent au sein même du socle parlementaire qui soutient le gouvernement. » À commencer par la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui a déclaré sur BFM (28 janvier) à propos du terme « submersion » : « C'est un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je n'aurais jamais tenu ces propos et ils me gênent... » Mêmes réactions au sein des députés Renaissance et MoDem, dont des députés ont interpellé le Premier ministre. « Son entourage rappelle que François Bayrou avait déjà tenu un propos semblable sur l'immigration dans sa discussion de politique générale en évoquant "la nécessaire proportion dans l'accueil" et explique qu'il "n'a fait que relayer les préoccupations de certains Français" en parlant de ce "sentiment"... » rapporte encore France info. Les sondages confirment l'accord largement majoritaire des Français sur ce point: « Selon un nouveau sondage "L'Opinion en direct", piloté par l'institut Elabe pour BFMTV et publié ce mercredi 29 janvier, 67 % des Français jugent, à titre personnel, qu'il y a une "submersion migratoire" en France », indique BFM (29/01/2025).
Estimant sans doute lui aussi que les esprits sont mûrs, du moins chez ses ouailles, Jean-Luc Mélenchon a franchi le Rubicon en assumant l'expression interdite entre toutes, en raison de ses origines d'extrême droite (elle a été forgée et popularisée par l'écrivain Renaud Camus) : « grand remplacement ». À Toulouse, le chef de La France Insoumise, a violé le tabou en s' emparant de l'expression maudite pour la brandir comme un totem après l'avoir retournée positivement. Dans l'amphithéâtre de l'université Jean-Jaurès, à Toulouse, « devant un auditoire enthousiaste, Jean-Luc Mélenchon a affirmé vendredi 31 janvier que le "grand remplacement" est effectivement une réalité, mais dans un cadre qu'il redéfinit. "Oui, M. Zemmour, oui, M. Bayrou, il y a un grand remplacement" », rapporte Le Monde (02/02/2025). Quel grand remplacement ? « "Celui d'une génération qui vient après l'autre et qui ne ressemblera jamais à la précédente" » a ajouté Mélenchon, en précisant que le changement qui le réjouissait était la «créolisation de la France », constate Sud Radio, 03/02/2025). Un concept qu'il a développé le lendemain devant des « militants des quartiers dits sensibles » de la Ville rose, explique Le Point (02/02/2025): « Vous êtes la nouvelle France », lance le septuagénaire aux venus des banlieues lointaines ou toulousaines pour plancher toute la journée sur la meilleure manière de préparer les élections municipales. Mais, très vite, l'orateur déborde du thème imposé pour développer son concept d'une France “créolisée”. Une étape a donc été franchie au cours de ces 24 heures toulousaines, souligne le JDD (03/02/2025) : « Le chef de file de La France insoumise a non seulement fait sienne la notion de "grand remplacement”, mais a appelé à un changement de population dans les territoires ruraux. »
L'auteur de cet article (en lien également ci-dessous), Arnaud Benedetti, professeur associé à la Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, estime que le discours de Jean-Luc Mélenchon présente des affinités avec l'idéologie mondialiste portée par le bloc central. Sous d'évidentes différences de ton et de postures, mélenchonistes et macronistes ont un ennemi commun : « La tradition, le passé, la France d'hier et encore d'aujourd'hui, qu'il [Mélenchon] dénonce comme une vieille fripe à jeter aux orties... » En quoi les uns et les autres se posent en héritiers des révolutionnaires de 1793 qui, « tout en étêtant l'aristocratie et autres suspects de différentes couches urbaines, n'avaient guère plus d'indulgence pour une paysannerie soupçonnée de superstitions et d'attachement à la foi catholique. »