La réforme judiciaire en Israël : vers une guerre civile ?
Depuis la formation de la coalition gouvernementale de Benjamin Nétanyahou à la fin de l'année 2022, de nombreux commentateurs ne cessent de répéter qu'Israël est en proie à sa plus grande crise interne depuis sa création en tant qu'État. L'attribution de postes clés à des partis ultra-nationalistes et religieux au sein du gouvernement, dont la survie dépend de leur soutien, a conduit à 29 semaines consécutives de manifestations populaires. L'adoption cette semaine d'une loi limitant la capacité de la Cour suprême à s'opposer à des mesures législatives jugées déraisonnables est le dernier incident en date à avoir provoqué des protestations de masse dans tout le pays. Selon un sondage effectué cette semaine, plus de 50 % des Israéliens craignent actuellement une guerre civile : l'opinion publique est divisé au point que certains parlent ouvertement de diviser l'État en deux, évoquant des parallèles bibliques. D'autres s'inquiètent devant la menace d'une attaque de l'extérieure, les forces militaires israéliennes étant potentiellement affaiblies par le refus de plus de 10 000 réservistes de continuer leur service en signe d'opposition à la politique de Nétanyahou.
Les partisans de la réforme judiciaire, dont la loi sur l'abrogation de la « clause de raisonnabilité » est le premier volet, ont fait valoir la nécessité de limiter ce qu'ils considèrent comme une ingérence du pouvoir judiciaire (non élu) dans la vie politique israélienne. Selon le ministre de la Justice Yariv Levin, les opinions personnelles des juges concernant le « caractère raisonnable » des mesures gouvernementales relèvent de leur vision subjective du monde et ne constituent pas une raison juridique valable pour les bloquer. Les opposants estiment toutefois qu'une réduction des pouvoirs de la Cour suprême et sa subordination effective au gouvernement pourraient ouvrir la voie à une dictature théocratique et permettre à Nétanyahou lui-même — qui fait actuellement l'objet d'un procès pour corruption — d'échapper à la justice.
D'importantes manifestations ont déjà eu lieu le week-end dernier lors des débats parlementaires sur la législation proposée, 90 000 personnes ayant participé à une marche à Jérusalem. Certains membres de la coalition au pouvoir, comme le ministre de la défense Yoav Gallant (qui avait réussi à faire suspendre la législation judiciaire en mars), ont proposé de poursuivre les discussions afin de trouver un compromis avant le vote à la Knesset. D'autres ont insisté que le gouvernement ne devait pas reculer face à la pression sociale et militaire. Ce sont leurs voix qui ont prévalu : après un débat marathon de 26 heures, la Knesset a voté 64-0 en faveur de la loi après que les 56 membres de l'opposition aient quitté la salle en bloc. L'ex-premier ministre Yair Lapid a accusé le gouvernement d'avoir entamé un programme visant à « annuler tout le système immunitaire de la démocratie israélienne ».
Répondant à un sondage organisé par la chaîne TV 13, 56 % des enquêtés ont dit qu'ils craignaient une guerre civile en Israël, 28 % disant qu'ils envisageaient de quitter le pays. Un autre sondage pour la chaîne publique Kan évoquait l'hypothèse de la création de deux États juifs, l'un libéral, l'autre religieux. Si 58 % des répondants ont affiché leur préférence pour le premier, 53 % des électeurs de la coalition gouvernementale ont exprimé leur volonté d'adhésion à un état religieux.
À l'étranger, les institutions financières se sont montrées préoccupées par les derniers développements : les banques américaines Citibank et Morgan Stanley ont déconseillé les investissements en Israël, tandis que l'agence de notation Moody's a émis un rapport négatif sur les perspectives économiques du pays. Les gouvernements américain et allemand ont également exprimé leur inquiétude.
Si la fracture sociale interne est largement reconnue comme une grande menace pour Israël dans l'avenir immédiat, les responsables militaires de Tsahal s'interrogent également sur le danger sécuritaire créé par la crise actuelle. Selon eux, c'est surtout l'action de protestation des réservistes qui pourrait profiter aux ennemis de l'État d'Israël. Lors d'un discours télévisé, le leader du groupe chiite Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah a décrit Israël comme étant « sur la voie de l'effondrement, de la fragmentation et de la disparition, si Dieu le veut ». La crise israëlienne a également été l'objet de discussions la semaine dernière entre Hamas et des militaires iraniens ; s'ils ont décidé de s'abstenir de toute ingérence afin de ne pas donner à Nétanhayou la possibilité d'unir l'opinion publique contre une menace externe, ils auraient néanmoins étudié d'éventuelles mesures pour améliorer leur « travail de résistance ». En Iran, le journal Kayhan s'est réjoui : « Nétanyahou au service de la République islamique ! La République islamique ne peut pas détruire Israël, mais Nétanyahou le peut, et c'est exactement ce qu'il fait en ce moment. »