En plein Tour de France, Vestager la Danoise organise un coup d'État pro-US en Europe
Un Danois peut en cacher un autre. Pendant que Jonas Vingegaard battait des records d'audience sur le Tour, Margrethe Vestager organisait en catimini un coup d'État pro-US à Bruxelles. Loin des caméras, l'affaire Scott-Morton (11-19 juillet) ne reçut pas l'écho médiatique qu'elle méritait. Si sa manœuvre capota, l'eurocrate fustigea un « complot antiaméricain ». Mais de quoi donc était-elle redevable à l'égard de l'Oncle Sam ?
Coupe Kiwi, air obstiné, fille de pasteur luthérien, la Danoise émule de Bismarck a le côté réfrigérant des femmes hyperpuissantes. Commissaire à la concurrence depuis neuf ans, elle est aussi « vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l'ère du numérique ». En 2019, on la pressentait, avec Michel Barnier, à la présidence de la Commission européenne.
Que voulait-elle cette fois-ci ? Recruter Fiona Scott-Morton, 56 ans et de nationalité américaine, au poste-clé de chef économiste. Comble du comble, le commissaire était soutenu par son N+1, Ursula von der Leyen elle-même ! « Elles espéraient, écrit Jean Quatremer dans Libération, que la désignation sans précédent d'une Américaine pour occuper un poste sensible (...) passerait inaperçue au cœur des vacances d'été. (...) Elles n'auraient pas dû dissimuler sa nationalité au collège des vingt-sept commissaires, qui l'ont découverte sur Twitter. » Les fonctionnaires européens doivent être ressortissants d'un État membre de l'UE. « Fiona Scott Morton a bénéficié d'une dérogation rarissime, jusque-là jamais utilisée pour un poste de ce niveau », observe Virginie Malingre, correspondante du Monde à Bruxelles. La nomination de la nouvelle recrue est annoncée le 11 juillet.
Sous Obama, ce professeur à l'université de Yale patronnait l'analyse économique à la division antitrust du ministère de la Justice américain. Quoi de plus normal qu'elle arbitre les choix des grandes entreprises européennes ! Fiona Scott-Morton était aussi consultante pour Amazon, Apple et Microsoft. Quoi de plus logique qu'elle régule les géants de la tech, cible d'amendes record pour abus de position dominante ! Bref, l'Américaine faisait tâche à l'heure où l'UE disait nourrir de grandes ambitions législatives pour le numérique. Le risque de conflits d'intérêts et d'une ingérence de Washington était patent.
Margrethe Vestager resta sourde aux protestations émanant toutes, soulignons-le, de ministres français. Le 17 juillet, elle fait dire à Emmanuel Macron qu'elle ne voit « aucune raison » de reculer. « C'est son passeport qui [leur] pose problème », répéta la Danoise. Leur ? Ce sont les cinq commissaires qui avaient écrit à Ursula von der Leyen pour faire annuler cette embauche – dont Thierry Breton. Silence radio des 22 autres eurocrates. Même mutisme chez les États membres accros à la subvention communautaire : « Beaucoup de pays (…) se cachent derrière la France. Surtout quand ils attendent des autorisations d'aides d'État de la Commission », explique un haut fonctionnaire européen cité par Le Monde.
Le 19 juillet, après une semaine de polémique, Fiona Scott-Morton renonce à son poste. Auditionnée la veille au Parlement européen, Margrethe Vestager s'y était mal défendue en disant notamment que « Mme Scott-Morton ne pourra pas travailler pendant trois ans sur des cas auxquels elle a été associée dans son travail de consultante ». L'eurodéputée libérale (Renew) Stéphanie Yon-Courtin avait alors répondu : « Quelle serait la plus-value d'engager une experte qui ne pourra pas travailler sur 25 % des dossiers sur lesquels elle est pourtant recrutée ? Et après ces trois ans, Mme Scott-Morton retournera-t-elle chez Amazon avec toutes ses informations confidentielles ? »
Bref, on n'imagine pas les États-Unis et la Chine nommer des Européens « au cœur de [leurs] décisions », pour reprendre le mot d'Emmanuel Macron sur l'absence de « réciprocité » de la part de ces grandes puissances. Reste que, prise en flagrant délit de dopage des intérêts US, Margrethe Vestager ne s'est pas amendée, et il n'y a aucune suite. Nul ne parle de démission.
Mais ne lui fait-on pas un mauvais procès, elle qui infligea en 2017 à Google une amende de 2,4 milliards d'euros pour pratique anticoncurrentielle ? Après tout, le passeport ne préjuge pas de la loyauté. Ne peut-on pas être américain, aider et aimer l'Europe ? Margrethe Vestager justifia son choix par la rareté des compétences disponibles. L'UE est dans la gestion, l'Amérique dans l'innovation. Emmanuel Macron s'en étonna d'ailleurs : « Si nous n'avons aucun chercheur de ce niveau pour être recruté par la Commission, ça veut dire que nous avons un très grand problème avec tous les systèmes académiques européens », déplora-t-il.
Margrethe Vestager avait-elle le choix ? Si oui, elle a privilégié l'Amérique au détriment de la souveraineté numérique de l'UE. Mais à quoi rimaient alors ses saillies anti-Gafam ? Si elle ne l'avait pas, elle aurait dû alerter l'UE sur ses carences pour qu'elle les combatte.