Christianisme
Paris sur la mission
Comment les catholiques peuvent-ils proposer Dieu, du moins le leur, à un monde qui le rejette, n’y voit aucun intérêt et souhaite passer à autre chose ? Cette question n’est pas nouvelle. Comme la bourse, la religion obéit à des cycles. Faut-il attendre que ça remonte ? Certains pensent que le rebond ne se fera pas tout seul.
C’est l’objet du Congrès Mission dont la huitième édition se déroule ce week-end à Paris. 6000 personnes – surtout des jeunes autour de 20 ans – et une centaine d’associations participent à ce « salon national de l’évangélisation ». La Croix reconnaît que l’événement, à la fois carrefour et laboratoire, « s’est imposé sur la scène catholique ». On y décèle la patte de mouvements comme Anuncio, Alpha, Aïn Karem ou la communauté de l’Emmanuel, dont l’affirmative action porte les gênes du pentecôtisme anglo-saxon. Ne rêvant pas de curés avec des couettes, cette militance ne prétend pas réformer l’Église ni lui mettre la pression.
Ces laïcs décomplexés des réseaux « charismatiques » et « plutôt classiques » (La Croix) contrastent avec une institution malmenée par les affaires de mœurs et toujours engoncée dans une communication frileuse, comme l’atteste encore « l’inquiétude » dont l’épiscopat fit part à Emmanuel Macron au sujet de la fin de vie. Un terme très en-deçà de ce qu’il est permis de craindre.
Maintenant, ces missionnaires ont-ils une potion magique ? S’il y en avait une, ce serait trop simple. De toute façon, le caractère inédit de notre époque oblige à se réinventer. Et surtout à poser un bon diagnostic. Car la déchristianisation n’est comparable à aucune autre époque antérieure, même au plus fort du laïcisme républicain.
Pourquoi la voix des catholiques est-elle si peu entendue ? Des causes intrinsèques les pénalisent :
La première est le rapport à l’argent. Si les cathos sont culturellement marginaux, ils sont économiquement favorisés. Avec cet événement, est-ce la bonne bourgeoisie qui se réchauffe autour de ses codes ? Le catholicisme souffre d’une sociologie en U : d’un côté, les familles nombreuses engagées dans le scoutisme, etc. ; de l’autre, des communautés d’outre-mer. Les deux ne se fréquentent pas et, au milieu, il n’y a plus grand-chose. La première sociologie, à tort ou à raison et sans doute à l’excès, est présumée privilégiée. Et là se trouve le paradoxe : comment évangéliser, rejoindre autrui, quand le système économique dont on tire sa subsistance encourage l’égoïsme et fragmente le corps social en niches étanches les unes aux autres, séparées par une totale incommunicabilité ? Les catholiques deviennent une bulle parmi d’autres, par la force des choses, c’est-à-dire du marché. Les technologies segmentantes accroissent le phénomène.
La deuxième cause tient à la manière de concevoir l’engagement. Étant globalement installée et éduquée, cette sociologie est tenue au légalisme. C’est la condition de sa survie sociale, de la réussite de ses progénitures bien élevées. Rien ne lui déplaît tant que de sortir du cadre. Aussi se défausse-t-elle en spiritualisant ses combats, au lieu de les politiser. D’autres agissent inversement, en occupant une ZAD et en faisant reculer l’État. Les cibles sont alors définies et les objectifs clairs. La logique sacrificielle, y compris au sens physique, fait partie du jeu. C’est aussi le cas chez bon nombre de musulmans.
La troisième cause touche aux relations avec l'institution. À quoi bon réfléchir à la mission puisque l’enseignement catholique dispose de plus de deux millions de jeunes qui attendent qu’on leur parle ? 17% des âmes scolarisées vivent entre ses murs et les parents se prostitueraient pour qu'elles y restent. Il y a un paradoxe à chercher des solutions quand les structures vous en offrent mécaniquement et qu'il n'y aurait qu'à se baisser pour en ramasser. Mais on retombe sur les deux premières causes : l’embourgeoisement et la respectabilité. Les écoles catholiques sont-elles des ZAD de riches ou des lieux exigeants de transmission de la culture et de la foi ? Jouir de ses privilèges revient à consommer le temps présent. Pointons ici une notion soulevée dans La Croix par Andrea Riccardi, influent fondateur de la communauté Sant’ Egidio. L'universitaire cite le père Marie-Dominique Chenu, dominicain proche du PC dans les années 50 :
« Il disait qu’il y avait 86 citations du mot "histoire" dans le Concile, une nouveauté absolue pour les conciles œcuméniques. On parlait des signes des temps, on se posait la question de la politique, du tiers-monde, de la révolution, de la conservation. L’histoire était partout. »
« Notre époque, au contraire, a perdu le sens de l’histoire », note Riccardi. La peur de passer pour réac' évince la profondeur du temps et produit des mentalités amnésiques, phénomène propre à la société postchrétienne.
Or, « seuls ceux qui ont la mémoire longue sont capables de penser l'avenir », disait... Nietzsche !
C’est l’objet du Congrès Mission dont la huitième édition se déroule ce week-end à Paris. 6000 personnes – surtout des jeunes autour de 20 ans – et une centaine d’associations participent à ce « salon national de l’évangélisation ». La Croix reconnaît que l’événement, à la fois carrefour et laboratoire, « s’est imposé sur la scène catholique ». On y décèle la patte de mouvements comme Anuncio, Alpha, Aïn Karem ou la communauté de l’Emmanuel, dont l’affirmative action porte les gênes du pentecôtisme anglo-saxon. Ne rêvant pas de curés avec des couettes, cette militance ne prétend pas réformer l’Église ni lui mettre la pression.
Ces laïcs décomplexés des réseaux « charismatiques » et « plutôt classiques » (La Croix) contrastent avec une institution malmenée par les affaires de mœurs et toujours engoncée dans une communication frileuse, comme l’atteste encore « l’inquiétude » dont l’épiscopat fit part à Emmanuel Macron au sujet de la fin de vie. Un terme très en-deçà de ce qu’il est permis de craindre.
Maintenant, ces missionnaires ont-ils une potion magique ? S’il y en avait une, ce serait trop simple. De toute façon, le caractère inédit de notre époque oblige à se réinventer. Et surtout à poser un bon diagnostic. Car la déchristianisation n’est comparable à aucune autre époque antérieure, même au plus fort du laïcisme républicain.
Pourquoi la voix des catholiques est-elle si peu entendue ? Des causes intrinsèques les pénalisent :
La première est le rapport à l’argent. Si les cathos sont culturellement marginaux, ils sont économiquement favorisés. Avec cet événement, est-ce la bonne bourgeoisie qui se réchauffe autour de ses codes ? Le catholicisme souffre d’une sociologie en U : d’un côté, les familles nombreuses engagées dans le scoutisme, etc. ; de l’autre, des communautés d’outre-mer. Les deux ne se fréquentent pas et, au milieu, il n’y a plus grand-chose. La première sociologie, à tort ou à raison et sans doute à l’excès, est présumée privilégiée. Et là se trouve le paradoxe : comment évangéliser, rejoindre autrui, quand le système économique dont on tire sa subsistance encourage l’égoïsme et fragmente le corps social en niches étanches les unes aux autres, séparées par une totale incommunicabilité ? Les catholiques deviennent une bulle parmi d’autres, par la force des choses, c’est-à-dire du marché. Les technologies segmentantes accroissent le phénomène.
La deuxième cause tient à la manière de concevoir l’engagement. Étant globalement installée et éduquée, cette sociologie est tenue au légalisme. C’est la condition de sa survie sociale, de la réussite de ses progénitures bien élevées. Rien ne lui déplaît tant que de sortir du cadre. Aussi se défausse-t-elle en spiritualisant ses combats, au lieu de les politiser. D’autres agissent inversement, en occupant une ZAD et en faisant reculer l’État. Les cibles sont alors définies et les objectifs clairs. La logique sacrificielle, y compris au sens physique, fait partie du jeu. C’est aussi le cas chez bon nombre de musulmans.
La troisième cause touche aux relations avec l'institution. À quoi bon réfléchir à la mission puisque l’enseignement catholique dispose de plus de deux millions de jeunes qui attendent qu’on leur parle ? 17% des âmes scolarisées vivent entre ses murs et les parents se prostitueraient pour qu'elles y restent. Il y a un paradoxe à chercher des solutions quand les structures vous en offrent mécaniquement et qu'il n'y aurait qu'à se baisser pour en ramasser. Mais on retombe sur les deux premières causes : l’embourgeoisement et la respectabilité. Les écoles catholiques sont-elles des ZAD de riches ou des lieux exigeants de transmission de la culture et de la foi ? Jouir de ses privilèges revient à consommer le temps présent. Pointons ici une notion soulevée dans La Croix par Andrea Riccardi, influent fondateur de la communauté Sant’ Egidio. L'universitaire cite le père Marie-Dominique Chenu, dominicain proche du PC dans les années 50 :
« Il disait qu’il y avait 86 citations du mot "histoire" dans le Concile, une nouveauté absolue pour les conciles œcuméniques. On parlait des signes des temps, on se posait la question de la politique, du tiers-monde, de la révolution, de la conservation. L’histoire était partout. »
« Notre époque, au contraire, a perdu le sens de l’histoire », note Riccardi. La peur de passer pour réac' évince la profondeur du temps et produit des mentalités amnésiques, phénomène propre à la société postchrétienne.
Or, « seuls ceux qui ont la mémoire longue sont capables de penser l'avenir », disait... Nietzsche !