Paris, nid d'espions (russes)
« Pourquoi la France ? Dès 1944, Staline l'avait désignée comme une cible à déstabiliser dans tous les domaines. Le journalisme ne fit pas exception. » Mais Charles Hernu était loin d'être le seul à avoir ainsi été recruté par les services de l'est. Toujours dans L'Express, Étienne Girard vient en effet de révéler que Philippe Grumbach, ancien directeur du titre, aura été, à l'insu de tous, l'un des plus grands espions soviétiques de la Vème République. Ce proche de Mitterrand et de Giscard aura renseigné les services secrets de l'URSS pendant trente-cinq ans. Dans les documents laissés par Vassili Mitrokhine, ancien archiviste du KGB, qui ont permis ces révélations, on apprend que, dès 1946, le jeune homme de 22 ans est recruté par les Soviétiques. Au fil des ans, entre AFP, Libération. L'Express ou Le Figaro, il sera chargé par le Kremlin de missions de renseignement comme de déstabilisation politique. Pourquoi ? Pour l'argent : Il aurait touché plusieurs centaines de milliers d'euros contre des informations sur la vie politique française et ses dirigeants. De quoi faire de lui, avec ses contacts au plus haut niveau de l'État, « l'un des espions les plus appréciés » de Moscou. Démasqué en 1995, Philippe Grumbach ne sera jamais inquiété.
Pas plus qu'Albert-Paul Lentin, ancien résistant, compagnon de route de Jean Daniel mais pas assez payé au Nouvel Observateur. Il y gagnera 1000 francs de plus par mois. Ou Jean Clémentin, rédacteur en chef du Canard enchaîné… et informateur des services tchécoslovaques. Mort en 1993, cet ancien de Libération possédait un épais dossier dans les archives des services de la Tchécoslovaquie communiste. En février 2022, Vincent Jauvert, journaliste à L'Obs, révélait qu'il avait travaillé pendant douze ans dans le plus grand secret pour le compte des services de renseignement du Bloc de l'Est. La motivation de "Pipa" pour remettre au moins 300 notes au cours de 270 rencontres en France et à l'étranger : d'importants besoins financiers pour entretenir « cinq maîtresses »…
Le 1er mars dernier, Vincent Jauvert sortait son livre À la solde de Moscou (Seuil) qui révèle le nom d'informateurs français des services secrets tchèques et soviétiques. Journalistes, hauts fonctionnaires, politiques… Les archives des anciens services secrets tchécoslovaques constituent une véritable mine de renseignements en la matière. Tel Paul-Marie de La Gorce, futur chef du service diplomatique de Radio France, auteur de mémos pour le GRU de 1960 à 1963. Il « travaille consciemment »,« accomplit toutes les tâches dont nous le chargeons », se réjouissent ses nouveaux maîtres. Comme de participer en 1973 à une campagne de désinformation orchestrée par le KGB, visant à semer la zizanie entre UDR, parti gaulliste et centristes. Gérard Leconte, alias « Samo », est quant à lui conseiller du préfet de police de Paris. Il transmettra à l'est bon nombre de documents classifiés en provenance de la DST ou du SDECE. Mais aussi toutes les « notes blanches » des Renseignements Généraux sur les petits secrets du Tout-Paris de la politique et du show-business, que l'on pourra ainsi faire chanter.
Un nom surprend, dans ce florilège : celui de Gérard Carreyrou, qui aurait été recruté en 1981. Ami tant du secrétaire général de la présidence, Pierre Bérégovoy, que du porte-parole du président, Michel Vauzelle, il partageait chaque semaine un petit déjeuner avec François Mitterrand, et l'accompagnait dans presque tous ses voyages à l'étranger. Il est ainsi présenté comme une source fiable par les archives des services tchécoslovaques. Une accusation dont il se défend aujourd'hui.