L'offensive de Reporters sans frontières et du Conseil d'État contre CNews
Sollicité par l'ONG Reporters sans frontières (RSF), le Conseil d'État a mis en demeure l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom, ex-CSA) de surveiller la chaîne d'information CNews. La droite s'indigne (voir par exemple le « savon » passé sur Cnews, le 14 février, par Robert Ménard, co-fondateur et ancien directeur de RSF, à l'actuel directeur de cette ONG) et une partie de la gauche exulte (voir l'éditorial de Thomas Legrand sur Libération, 19 février). Mais chacun se demande à présent : à qui le tour ? Une fois ouverte la boîte de Pandore, quel organe d'information pourra échapper à l'inquisition des juges ? Aucun, si l'on en croit Roch-Olivier Maistre, le président de l'Arcom, qui vient d'assurer à La Tribune (18 février) que « cette décision ne concerne pas seulement CNews, mais l'ensemble des médias audiovisuels, qu'ils soient publics ou privés. » Soumettre tous les media, y compris ceux du service public, à une obligation de pluralisme de l'information, ce serait inédit... À gauche et dans les rangs de la majorité, plus d'un redoute un effet boomerang.
Rappelons le déroulement de cette tragi-comédie. En novembre 2021, Reporters sans frontières avait saisi l'Arcom pour qu'elle mette en demeure la chaîne CNews de respecter le pluralisme et l'indépendance de l'information. RSF accusait ce media de manquer à « ses obligations légales d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme de l'information ». RSF aurait voulu que l'Arcom classe sur l'échiquier politique et comptabilise toutes les interventions sur CNews, de celles des chroniqueurs à celles des éditorialistes et des invités. L'Arcom avait répondu que, pour apprécier le respect du pluralisme chez CNews ou tout autre media, elle ne comptabilisait que les temps de parole des personnalités politiques. RSF accusait aussi le propriétaire de CNews, Vincent Bolloré, d'ingérence éditoriale. Mais l'Arcom avait estimé que RSF ne donnait aucune preuve de cette ingérence. Elle avait donc rejeté sa requête le 5 avril 2022.
Ne s'avouant pas vaincue, l'association RSF avait saisi le Conseil d'État. Or, le 13 février dernier, à la surprise quasi-générale, celui-ci désavouait l'Arcom, estimant qu'elle devait décompter non seulement les temps de parole des personnalités politiques mais aussi de l'ensemble des intervenants, chroniqueurs, animateurs ou invités, quels qu'ils soient. S'agissant de l'indépendance des journalistes de CNews par rapport au propriétaire de la chaîne, le Conseil d'État jugeait qu'il appartenait à l'Arcom d'apprécier l'influence de Vincent Bolloré sur le fonctionnement de ce media et les caractéristiques de sa programmation. Le Conseil d'État a donc annulé la décision de l'Arcom et lui donne six mois pour réexaminer la requête de RSF visant à « mettre en demeure CNews de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information ». Pour montrer qu'il ne plaisante pas, le Conseil d'État a assorti cette injonction d'une pénalité de 3 000 euros à verser par l'Arcom à RSF en remboursement des frais engagés...
Dans une tribune au Figaro (14 février), Jean-Éric Schoettl, ancien directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel, critique la décision du Conseil d'État. Il estime qu'elle « condamne la doctrine raisonnable et constamment appliquée depuis trente-sept ans par le CSA, puis par l'Arcom en matière de pluralisme de l'information. Fondée sur la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cette doctrine distingue pluralisme interne et pluralisme externe. » Si en effet, le pluralisme externe s'impose à tous les media soucieux de donner une information véridique et complète (hors période électorale où le temps de parole des politiques est strictement décompté), seuls les médias du service public de l'audiovisuel, financés par tous les contribuables, devraient être tenus de recruter des journalistes de tous bords. En conséquence, Jean-Éric Schoettl s'étonne que « le Conseil d'État fasse peser les contraintes du pluralisme interne sur un opérateur privé ». En effet, explique-t-il, « il a toujours été admis (...) que chaque antenne privée a sa couleur propre, et il n'a jamais été exigé que les animateurs, journalistes, chroniqueurs et personnalités invitées à l'antenne représentent eux-mêmes toute la diversité des points de vue politiques. »
Laissons la conclusion (provisoire) au magazine Pour l'Éco (16 février) : « L'Arcom a désormais six mois pour réévaluer, à la lumière des nouveaux critères prescrits par le Conseil d'État, le respect du pluralisme et d'indépendance de l'information. Pour ce faire, le régulateur des médias doit concevoir un nouvel outil d'évaluation, valable pour toutes les chaînes et radios, pour prendre en compte l'ensemble des prises de parole et leurs auteurs. Est-ce possible ? » Poser la question, n'est-ce pas y répondre ? La difficulté qui attend l'Arcom a été bien résumée dans l'émission Cmediatique de France 5 du 18 février (lien ci-dessous).