Écologie

Nucléaire : le double aveuglement français

Par Jean Staune. Synthèse n°2183, Publiée le 01/05/2024 - Photo : En fin d'après-midi, scène avec vue sur la rive avec le réacteur nucléaire Doel, Port d'Anvers, Belgique. (Shutterstock)
D'ici à 2040 la consommation française d'électricité va exploser à cause de l'interdiction de vendre des véhicules à essence neufs à partir de 2035. Il faudrait 10 à 15 nouvelles centrales EPR pour faire face à la demande supplémentaire alors qu'il est probable qu'aucune d'entre elle ne soit raccordée au réseau d'ici 15 ans. D'autres solutions existent mais il nous faudrait changer nos conceptions du nucléaire.

En 2035, on ne pourra plus acheter de voitures à essence. Or, il faut bien plus d'énergie électrique pour faire bouger une voiture que pour faire fonctionner une machine à laver ! Une explosion de la demande en énergie est donc totalement inévitable. Historiquement, la politique de la France était de baisser le nombre de centrales nucléaires en espérant de « miraculeuses » économies d'énergie « inspirées » par les écologistes. Mais, en 2022, un tournant stratégique a été effectué, Emmanuel Macron annonçant la mise en chantier de six nouveaux réacteurs EPR.

Hélas, nous sommes loin d'être tirés d'affaire. Bruno Lemaire vient de taper sur la table devant les dérives annoncées des coûts de construction de ces six réacteurs qui passeraient de 51,7 à 67,4 milliards d'euros, soit plus de 11 milliards l'unité. Et encore, cela reste bien trop optimiste ! Le premier EPR construit en France — celui de Flamanville — sera raccordé au réseau cette année avec 12 ans de retard, pour un coût estimé à plus de 19 milliards d'euros. Soit une multiplication par 4 du délai et par 5 du coût. Certes, vous me direz que c'était un exemplaire de pré-série et que ce genre de dérive est systématique dans ce domaine. Mais EDF est en train de construire deux réacteurs EPR au Royaume-Uni qui, eux, ne sont plus considérés comme des prototypes. Leur coût initialement prévu était de 21 milliards d'euros, soit proche du coût estimé à l'unité, même après dérive, des six EPR français... Sauf qu'on annonce maintenant un coût de 54 milliards d'euros pour les deux, soit 27 milliards d'euros par réacteur ! De plus, il faut savoir qu'un an après son inauguration, un réacteur comme l'EPR est arrêté pendant un an pour une grande vérification avant sa véritable mise en service. Ainsi, les prévisions de production d'EDF pour 2026 n'incluent pas encore l'EPR de Flamanville ! Le réseau électrique français pourra donc compter sur un apport réel de l'EPR en 2027… soit 20 ans exactement après le début de sa construction.

Nous avons, malheureusement, un scoop pour les lecteurs de LSDJ  : contrairement à l'annonce d'Emmanuel Macron en 2022 sur la mise en service du premier EPR de la nouvelle série en 2035, nous pouvons affirmer qu'aucun nouveau EPR français ne fonctionnera réellement… en 2040. Il est exclu qu'en 16 ans un seul réacteur soit mis en service en raison des recours écologistes, de la bureaucratie et surtout des difficultés de construction rencontrées... Il en faudrait pourtant entre 10 et 15 pour que nous puissions tous rouler en voiture électrique !

Or, s'il y a une explosion de la demande d'électricité sans augmentation de l'offre, il y aura forcément explosion du prix et faire recharger sa voiture électrique sera hors de portée d'une majorité de français. Ce qui nous mettra dans une situation infiniment plus grave que celle ayant généré la crise des gilets jaunes. Alors que faire ?

L'Estonie nous montre la voie, en projetant de construire d'ici 9 à 11 ans, pour moins d'un milliard d'euros, un réacteur de 300 mégawatts. Il s'agit d'une autre façon d'aborder le nucléaire : construire des petites centrales, simples à faire fonctionner et beaucoup plus sûres, car ayant une «  sécurité passive  » (même en cas de coupure du système de refroidissement elles n'exploseront pas). Ainsi, pour 11 à 27 fois moins cher qu'un EPR, on peut espérer construire plus vite une centrale plus sûre, produisant seulement 5 fois moins d'électricité que l'EPR. De plus, ces centrales sont modulaires, c'est-à-dire que l'on peut produire en série des modules dans une usine, pour les envoyer à assembler en différents endroits au lieu de tout construire sur place comme on le fait actuellement. Emmanuel Macron a annoncé qu'un milliard d'euros allait être investi pour envisager ce type de centrale en France, mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans la « mer » des budgets du nucléaire. Même un acteur « classique » du nucléaire commence à parler de l'intérêt de ces réacteurs tout en précisant, idéologie quand tu nous tiens, qu'ils n'ont pas vocation à remplacer les grands réacteurs.

Robert Oppenheimer nous avait prévenus  : il y a une inclination des ingénieurs à favoriser des réalisations complexes, chères et dangereuses, plutôt que des solutions petites et simples, car elles sont plus valorisantes pour ceux qui les bâtissent ! La Chine vient d'inaugurer un réacteur refroidi à hélium qui serait bien plus sûr que les centrales refroidies à l'eau utilisées en Occident. Des centrales au thorium, elles aussi à sécurité passive, produiraient moins de déchets nucléaires et pourraient même retraiter certains de ces déchets. Il est à craindre que l'aveuglement d'un petit nombre de personnes en charge du nucléaire amène la France dans une impasse dramatique, aussi bien pour les particuliers que pour nos industriels, vu les conséquences d'une hausse brutale du prix de l'énergie. En sonnant ainsi l'alarme, Bruno Lemaire montre qu'il a parfaitement identifié le problème. Malheureusement, il est à craindre que personne ne lui souffle à l'oreille la solution.

La sélection
Le coût des futurs EPR français s’envole, Bruno Le Maire s’agace
Lire l'article sur Le Figaro
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2 commentaires
Yves
Le 17/05/2024 à 17:44
pas de commentaire je change mon adresse mail
Le 02/05/2024 à 16:52
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