Sport
Nirmal Purja ou le triomphe de la volonté
C’était il y a un an, le 16 janvier : un certain Nirmal Purja réussissait la première ascension hivernale du K2, deuxième plus haut sommet du monde (8611 mètres). La « montagne sans pitié » résistait depuis si longtemps. La première tentative remontait à 1987. Les assauts de l’école polonaise, emmenée par l'inoxydable Krzysztof Wielicki, avaient failli faire tomber la pyramide du Karakoram (Pakistan). En huit ans, ces chasseurs d’altitude – les Ice Warriors – avaient conquis en hiver sept sommets de plus de 8000 ! Mais muré dans son froid polaire, le K2 tenait bon.
Nirmal Purja n’était pas seul mais son équipe comprenait uniquement des alpinistes népalais, comme lui. Le K2 en hiver s’ajoutait à l’exploit qui lui valut une reconnaissance internationale. Car deux ans plus tôt, il fut l’homme le plus rapide à escalader les quatorze sommets de plus de 8000 mètres.
En six mois et six jours. Cela vous paraît long ?
Les précédents records se comptaient en années. Ils étaient détenus par un Coréen, Kim Chang-ho, mort en 2018 sur les pentes du Dhaulaghiri. En sept ans, dix mois et six jours, il avait détrôné d’un mois la légende de l’himalayisme polonais Jerzy Kukuczka, mort en 1989 sur la face sud du Lhotse. Pour une fois, ce qui est rare en sport, les records furent pulvérisés, même si « Nims » utilisa des bouteilles d’oxygène. Ce « style » lui attira quelques reproches dans ce milieu de la haute montagne où la tête grossit avec l’altitude. « L’homme a plié les quatorze 8000 en moins de temps qu’il ne faut à une deuxième vague de coronavirus pour se déclencher – six mois. Les 14×8000 ont été une performance historique réalisée avec oxygène, cela dit », lit-on ainsi sur le blog de Jocelyn Chavy.
L’épopée de Nirmal Purja donna lieu à un tournage intitulé « 14 peaks » que Montagne-Magazine présente ainsi : « Cet illustre inconnu népalais a su mener son équipage d'amis là où personne ne les attendait : l'impossible devint ainsi le "projet possible" (Project Possible). Ce documentaire, le premier consacré à l'alpinisme à sortir en exclusivité sur l'emblématique plateforme mondiale Netflix, s'évite l'écueil du film adressé au microcosme montagnard, et c'est tant mieux. »
Mais pourquoi donc ?
D’abord parce que Nims, népalo-britannique, rompt avec les codes aristocratiques de l’alpinisme occidental. Edward Whymper, vainqueur de l’Aiguille Verte à Chamonix, n’eut jamais accompli sa prouesse sans que les guides ne lui eussent taillé des marches jusqu’au sommet. La gloire – cette couronne insécable – auréola Whymper, tandis que le prolétariat, les « petits pieds » dirions-nous comme on parle des « petites mains », resta dans l’ombre. Les sherpas et autres coolies connurent le même sort. Ils eurent le rôle de porteurs, d’auxiliaires du prestige de l’explorateur occidental et de son inextinguible soif de conquête. Bref, tout ce monde était invisibilisé. Purja incarne leur revanche. Son exploit fut interprété par les Népalais comme une victoire sociale et nationale. L’Européen cédait enfin de sa superbe et se faisait même doubler sur le podium.
Mais ne poussons pas trop loin cette lecture. Au moins pour deux raisons :
La première, c’est que Nirmal Purja est à l’Himalaya ce que Mike Horn est à l’équateur ou au cercle polaire : une personnalité hors norme, malgré un visage assez peu expressif et une taille moyenne (1 m 70). Comme Mike le Sud-Africain, il vient des forces spéciales. Serait-ce le minimum requis pour espérer aller si haut si vite ? En 2009, il fut le premier Gurkha à intégrer le Special Boat Service, unité d’élite de la Royal Navy. Son expérience de théâtres d’opération comme l’Afghanistan l’immergea dans des conditions extrêmes qui lui étaient déjà familières. Il devint instructeur de combat en environnement froid. Les exigences de son métier militaire lui permirent de rattraper un certain retard. Car Purja n’avait jamais chaussé de crampons d’alpinisme avant l’âge de 29 ans ! Son exploit peut aussi être attribué au soldat de l’extrême, enfant de la Couronne britannique. Soyons corrosif : sans la colonisation anglaise – qui fut pourtant impitoyable – jamais ce Népalais issu d’une famille pauvre de la province de Gandaki (celle du Dhaulagiri) n’aurait pu imaginer une telle destinée. Sans ascension sociale, Purja n’aurait pas accompli ses rêves d’ascension tout courts.
La seconde, c’est que l’exploit de l'ex-soldat des forces spéciales britanniques, à 36 ans, tenait en deux mots : défi et délai. Les deux étaient surhumains. Il s’agissait de faire un sprint-marathon en zone de la mort. Qui pouvait sérieusement mettre toute son énergie au service de cette folie ? Mais Purja n'en fit pas un succès exclusivement personnel. Son esprit militaire estampilla ses victoires d'un sceau patriotique et fraternel. Quelle divinité se niche en pareil individu pour faire preuve d'une telle capacité de récupération et aller au bout de l'impossible ?
Et surtout d’en sortir vivant.
Nirmal Purja n’était pas seul mais son équipe comprenait uniquement des alpinistes népalais, comme lui. Le K2 en hiver s’ajoutait à l’exploit qui lui valut une reconnaissance internationale. Car deux ans plus tôt, il fut l’homme le plus rapide à escalader les quatorze sommets de plus de 8000 mètres.
En six mois et six jours. Cela vous paraît long ?
Les précédents records se comptaient en années. Ils étaient détenus par un Coréen, Kim Chang-ho, mort en 2018 sur les pentes du Dhaulaghiri. En sept ans, dix mois et six jours, il avait détrôné d’un mois la légende de l’himalayisme polonais Jerzy Kukuczka, mort en 1989 sur la face sud du Lhotse. Pour une fois, ce qui est rare en sport, les records furent pulvérisés, même si « Nims » utilisa des bouteilles d’oxygène. Ce « style » lui attira quelques reproches dans ce milieu de la haute montagne où la tête grossit avec l’altitude. « L’homme a plié les quatorze 8000 en moins de temps qu’il ne faut à une deuxième vague de coronavirus pour se déclencher – six mois. Les 14×8000 ont été une performance historique réalisée avec oxygène, cela dit », lit-on ainsi sur le blog de Jocelyn Chavy.
L’épopée de Nirmal Purja donna lieu à un tournage intitulé « 14 peaks » que Montagne-Magazine présente ainsi : « Cet illustre inconnu népalais a su mener son équipage d'amis là où personne ne les attendait : l'impossible devint ainsi le "projet possible" (Project Possible). Ce documentaire, le premier consacré à l'alpinisme à sortir en exclusivité sur l'emblématique plateforme mondiale Netflix, s'évite l'écueil du film adressé au microcosme montagnard, et c'est tant mieux. »
Mais pourquoi donc ?
D’abord parce que Nims, népalo-britannique, rompt avec les codes aristocratiques de l’alpinisme occidental. Edward Whymper, vainqueur de l’Aiguille Verte à Chamonix, n’eut jamais accompli sa prouesse sans que les guides ne lui eussent taillé des marches jusqu’au sommet. La gloire – cette couronne insécable – auréola Whymper, tandis que le prolétariat, les « petits pieds » dirions-nous comme on parle des « petites mains », resta dans l’ombre. Les sherpas et autres coolies connurent le même sort. Ils eurent le rôle de porteurs, d’auxiliaires du prestige de l’explorateur occidental et de son inextinguible soif de conquête. Bref, tout ce monde était invisibilisé. Purja incarne leur revanche. Son exploit fut interprété par les Népalais comme une victoire sociale et nationale. L’Européen cédait enfin de sa superbe et se faisait même doubler sur le podium.
Mais ne poussons pas trop loin cette lecture. Au moins pour deux raisons :
La première, c’est que Nirmal Purja est à l’Himalaya ce que Mike Horn est à l’équateur ou au cercle polaire : une personnalité hors norme, malgré un visage assez peu expressif et une taille moyenne (1 m 70). Comme Mike le Sud-Africain, il vient des forces spéciales. Serait-ce le minimum requis pour espérer aller si haut si vite ? En 2009, il fut le premier Gurkha à intégrer le Special Boat Service, unité d’élite de la Royal Navy. Son expérience de théâtres d’opération comme l’Afghanistan l’immergea dans des conditions extrêmes qui lui étaient déjà familières. Il devint instructeur de combat en environnement froid. Les exigences de son métier militaire lui permirent de rattraper un certain retard. Car Purja n’avait jamais chaussé de crampons d’alpinisme avant l’âge de 29 ans ! Son exploit peut aussi être attribué au soldat de l’extrême, enfant de la Couronne britannique. Soyons corrosif : sans la colonisation anglaise – qui fut pourtant impitoyable – jamais ce Népalais issu d’une famille pauvre de la province de Gandaki (celle du Dhaulagiri) n’aurait pu imaginer une telle destinée. Sans ascension sociale, Purja n’aurait pas accompli ses rêves d’ascension tout courts.
La seconde, c’est que l’exploit de l'ex-soldat des forces spéciales britanniques, à 36 ans, tenait en deux mots : défi et délai. Les deux étaient surhumains. Il s’agissait de faire un sprint-marathon en zone de la mort. Qui pouvait sérieusement mettre toute son énergie au service de cette folie ? Mais Purja n'en fit pas un succès exclusivement personnel. Son esprit militaire estampilla ses victoires d'un sceau patriotique et fraternel. Quelle divinité se niche en pareil individu pour faire preuve d'une telle capacité de récupération et aller au bout de l'impossible ?
Et surtout d’en sortir vivant.