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Mort de Jimmy Carter : une colombe qui a couvé des faucons

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2367, Publiée le 08/01/2025 - Jimmy Carter à la convention nationale démocrate de 1992. Crédit photo : Shutterstock.
L'ancien Président américain Jimmy Carter vient de s'éteindre. Déconsidéré, voire méprisé par son peuple au terme de son seul mandat, il a été encensé pour son engagement humanitaire ensuite. Son héritage est plus complexe : sa politique a jeté les bases d'un redressement économique spectaculaire alors que ce « faiseur de paix » a fait des États-Unis le gendarme du monde...

Jimmy Carter est mort centenaire le 29 décembre 2024 – un peu plus d'un an après Rosalynn, son épouse depuis 77 ans. Le souvenir de cet ancien président américain (1976 – 1980) est pour le moins contrasté. Moqué, détesté comme l'un des plus mauvais dirigeants de la première puissance mondiale, il est au contraire célébré comme un grand humaniste et un infatigable artisan de paix depuis sa défaite en 1980 face à Ronald Reagan. Son engagement humanitaire l'a conduit à voyager partout dans le monde – il a été l'ambassadeur de l'ONG « Habitat for Humanity » en particulier – et dans le cadre de son travail à la tête de The Carter Center depuis 1982. Cette vie post-présidentielle au service des pays pauvres et de la paix a été récompensée par le prix Nobel de la paix en 2002. Il n'a pas mérité une réputation aussi calamiteuse concernant son unique mandat alors que son pays était plongé dans la dépression post-Vietnam. Pour autant, son engagement sincère pour la paix pendant 40 ans ne doit pas masquer que son manque de discernement a permis le retour des « néo-conservateurs » aux affaires. Forcés de reculer après le désastre vietnamien, Carter les a laissés reprendre les rênes de la politique étrangère américaine. Avec des conséquences, en Afghanistan, en Iran et au Proche-Orient, dont on subit aujourd'hui encore les effets (voir l'article de The American Conservative) …

Jimmy Carter venait du vieux Sud conservateur et démocrate. D'extraction modeste et réserviste dans l'US Navy, il pouvait apparaître comme un symbole de « l'American Dream » lors de son élection face au républicain Gerald Ford en 1976. Mais ce n'était pas un « politique », il ne comprenait pas les codes de Washington et de la communication grand public. Il eut tôt fait de se mettre à dos le Congrès qui se sentait négligé et le peuple qui entendait à la télévision un homme ennuyeux les sermonnant sur leur manque de courage et qui paraissait obnubilé par les affaires étrangères. La sanction fut sans appel en 1980 avec une déroute face à Ronald Reagan (qui remporta 44 États). La sévérité de l'opinion publique et de la droite républicaine est injuste pour une bonne part. Carter, qui était un pragmatique, a dirigé un pays plongé dans la dépression et traumatisé par le Vietnam. Or, c'est sous sa présidence que des décisions majeures ont été prises qui allaient permettre le rebond économique triomphal de l'ère Reagan. Pour combattre l'inflation, il a nommé (contre les pressions politiques) Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale. C'est surtout l'homme qui allait casser les carcans étatiques sur l'industrie du transport : le Airline Deregulation Act de 1978 est la fondation sur laquelle les compagnies aériennes américaines allaient prospérer. Jimmy Carter est aussi l'ingénieur de formation qui a sauvé le programme de la navette « Shuttle ». La NASA était largement discréditée et la pression politique voulait couper dans les budgets : Carter a su sauver le programme tout en imposant une gestion plus rigoureuse à l'agence gouvernementale. La « guerre des étoiles » de Reagan face aux Soviétiques n'aurait peut-être pas été gagnée sans lui…

C'est le désastre iranien (le fiasco de l'opération visant à sauver les otages dans l'ambassade américaine de Téhéran) qui allait condamner Carter à une défaite cinglante en 1980. À l'image de cette affaire, le « pacifique » Carter a permis aux « faucons » de diriger la politique étrangère. Il a en particulier nommé Zbigniew Brzezinski comme conseiller en sécurité nationale — qui allait faire les beaux jours des « sales coups » de la CIA et du complexe militaro-industriel. C'est sous ses auspices que les services américains ont abreuvé d'armes les « moudjahidines » pour contrer l'intervention soviétique en 1980. Or, Brzezinski a admis ensuite (voir l'interview donnée en 1998 au Nouvel Observateur) que la CIA était présente en Afghanistan pour soutenir les rebelles face au pouvoir en place proche de Moscou — avant que les Soviétiques ne réagissent ! La « doctrine Carter » inspirée des faucons considérait la région du golfe persique comme un protectorat ouvrant la voie à toutes les guerres « contre la terreur » des 25 dernières années. Le manque de discernement de l'administration Carter a été aussi mis en évidence par l'affaire iranienne. Alors que la révolution installait Khomeiny au pouvoir depuis le début de l'année, Washington a décidé de l'inviter en octobre 1979 officiellement pour se faire soigner — contre l'avis de plusieurs spécialistes de la région… Cet asile offert a permis aux « mollahs » de mobiliser les foules contre le « Satan américain » jusqu'à la prise de l'ambassade en novembre 1979. Épisode clôturé par l'échec de l'opération de sauvetage. Le seul grand succès diplomatique de Carter — les accords de Camp David rapprochant l'Égypte et Israël — n'a pas eu de lendemains : ils ont été vus par les Palestiniens comme une opération de renforcement de l'État juif dans la région. Et les disciples de Brzezinski, Susan Rice et surtout Hillary Clinton, ont amplifié le rôle de « gendarme mondial » avec des interventions partout où Washington avait des intérêts. Au nom de la « pax americana »…

La sélection
The untold story of Carter’s fateful foreign policy
Lire l'article sur : The American Conservative
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