Spiritualité

Le métis de Dieu

Par Benoit Bertan de Balanda. Synthèse n°2073, Publiée le 29/12/2023 - Le Cardinal Jean-Marie Lustiger dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Photo Philippe Lissac/Godong / Photononstop via AFP)

Jean Marie Lustiger est issu d'une famille juive ashkénaze ayant fui les pogroms polonais. Il naît en 1926 à Paris. En 1940, un événement bouleverse sa vie : il demande et reçoit le baptême. Son père n'acceptera pas ouvertement son choix durant toute sa vie, première fracture d'une double identité souvent douloureuse mais toujours féconde.

Il vivra toute sa vie, tiraillé entre ses origines juives, marquées par son père qui n'a jamais réellement accepté sa conversion, au milieu de la guerre, et son appartenance sans ambigüités à l'Eglise catholique dans laquelle il deviendra l'un des prélats les plus écoutés. Ce tiraillement, que d'aucuns auraient pu considérer comme une faiblesse, Aron Jean-Marie Lustiger a su en faire une force, faisant sien ce verset de saint Paul : « Mais Il m'a déclaré : “Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse” » (2 Corinthiens 12, 9).

C'est cette tension que Chantal de Rudder, scénariste du téléfilm « Le métis de Dieu » pour Arte, met magistralement en scène, donnant à voir un juif passionné et un chrétien convaincu qui a appris à lier ces deux identités pour que l'une nourrisse l'autre. Pour lui, sa conversion ne signifiait en rien un renoncement à son identité juive. Il était lui-même l'image de cette réconciliation. Sa judéité était magnifiée par son christianisme. Il n'a eu de cesse de se revendiquer juif, tout en étant archevêque de Paris, envers et contre les critiques, justement parce qu'étant juif, il était d'autant plus chrétien. Pour lui, ces deux identités ne s'opposaient pas mais se complétaient.

En 1985, l'installation d'un carmel à Auschwitz, là où sa mère a été assassinée en 1943, va mettre à l'épreuve, encore plus que le reste, sa double identité. La communauté juive internationale s'émeut de cette installation, y voyant le déni de la Shoah. Le pape Jean-Paul II y voit plutôt une tête de pont pour soutenir la résistance au communisme athée dans les pays de l'Est de l'Europe. Le cardinal Lustiger est alors tiraillé entre ses deux appartenances, mais il se découvre idéalement situé, à la frontière entre deux mondes, pour les rapprocher, développer une compréhension mutuelle, trouver une solution et rendre le dialogue judéo-chrétien d'autant plus fécond. Image s'il en faut de la vigueur de son combat intérieur, le réalisateur met en scène une confession dans laquelle il avoue au cardinal Decourtray avoir été dans l'impossibilité de prier lors de sa première visite à Auschwitz, là où sa mère, juive, est morte, assassinée « par la méchanceté des hommes ».

Le cardinal Lustiger est resté quasiment 25 ans archevêque de Paris et pendant tout aussi longtemps, il a eu l'oreille de Jean Paul II, avec qui il partageait la même vision de l'Eglise : une Eglise réfléchie mais dans l'action. Chantal de Rudder prête ces mots à propos de Jean Paul II : «  Le pape est un homme qui se hâte lentement », ce à quoi répondent, comme un écho, les actions que d'aucuns estiment révolutionnaires, du cardinal Lustiger à Paris en faveur de l'évangélisation. Qu'on pense par exemple, à la création de Radio Notre-Dame, ou l'idée des JMJ qu'on sent poindre chez le cardinal, encore évêque d'Orléans, lorsqu'il rencontre des jeunes sur la route.

« Nous sommes parvenus à un moment historique où un vrai dialogue, interrompu il y a presque deux millénaires, peut à nouveau commencer. Chrétiens et Juifs se découvriront nécessaires les uns aux autres dans une vision plus vive et plus forte de la grandeur du don de Dieu et de la beauté de la destinée de l'homme », estimait l'homme d'Eglise. Ainsi, lors de son enterrement à Notre-Dame de Paris le 10 août 2007, en présence de plusieurs personnalités, dont le président de la République, Nicolas Sarkozy, le kaddish, la prière hébraïque des morts, résonne pour la première fois devant la cathédrale de Paris. Il résonne comme une dernière leçon de celui à qui Chantal de Rudder prête ses mots : « J'ai voulu être le corps de la réconciliation entre juifs et chrétiens. […] Je suis le métis de Dieu  ».

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