Loi immigration : un vote symbolique qui reste à concrétiser
La loi sur l'immigration, votée le 19 décembre après 18 mois de clameurs et de fureurs surjouées, entérine une prise de conscience et ouvre une voie. Mais, même si elle n'était pas déconstruite par le Conseil constitutionnel comme Emmanuel Macron semble l'appeler de ses vœux, elle n'aura guère d'effets sur les flux migratoires qui inquiètent une large majorité de Français.
Vaines alarmes ? Gérald Darmanin lui-même évoquait la « pression migratoire » dans l'exposé des motifs de son projet de loi. Selon les dernières données statistiques compilées par Le Figaro (22 décembre), les immigrés atteignent 10, 3 % de la population nationale contre 7,4 % en 1975, avant le regroupement familial. Or il s'agit là de l'immigration légale. S'y ajoutent les demandeurs d'asiles, dont le nombre a bondi de 16,5 % entre 2021 et 2022, avec plus de 2,3 millions de visas demandés en 2022 dont seulement 500 000 ont été refusés...ce qui ne les aura pas empêchés de rester sur le sol national.
L'agence Frontex a comptabilisé 330.000 passages illégaux aux frontières de l'Europe l'an passé. Face à ces marées humaines, quels effets peut-on espérer de la loi immigration ? L'article instaurant des quotas migratoires n'inclut pas les demandeurs d'asile ni, bien entendu, les clandestins. Il soumet en outre le vote du nombre d'immigrés admis pour des raisons économiques, tous les trois ans, à « l'objectif en matière d'immigration familiale (...) établi dans le respect des principes qui s'attachent à ce droit ». Nationaux ou internationaux, les juges y veilleront !
L'immigration familiale donne lieu actuellement à quelque 100.000 délivrances de titres de séjour par an. La mesure qui a provoqué des crises de nerf à gauche consiste à allonger de 18 à 24 mois le délai pour qu'un étranger fasse venir sa famille en France. Les candidats devront certes justifier d'une compréhension minimale du français, mais qui croit vraiment au sérieux d'un tel examen de passage ? Enfin, troisième bête noire de la gauche, le « droit du sol » pour les enfants nés en France de parents étrangers (30 000 naturalisés par an actuellement) ne sera plus automatique, mais ceux qui désireront obtenir la nationalité française devront en faire la demande entre 16 et 18 ans. Seuls les distraits ou les réfractaires à toute démarche administrative seront théoriquement évincés.
S'agissant des clandestins, le Sénat a supprimé la mesure phare du projet de loi : la régularisation automatique des clandestins ayant trouvé un emploi dans des métiers dits « en tension ». Mais les employeurs pourront tout de même demander au préfet la régularisation de leurs salariés clandestins travaillant dans l'un de ces métiers depuis au moins un an. Et l'on ne voit pas les préfets multiplier les refus en se mettant à dos le patronat qui en restera aux « 10.000 régularisations de sans-papiers par an » visées par le projet de Gérald Darmanin pour les métiers « en tension ». Interviewé par Atlantico (notre sélection) David Lisnard (LR), président des maires de France, conjure le patronat français de ne pas reproduire l'erreur de son homologue allemand qui a voulu l'accueil de millions d'immigrés dont l'Allemagne, aujourd'hui, ne veut plus.
Passons sur les mesures symboliques que sont la suspension du droit du sol pour les mineurs ayant commis des crimes, et l'expulsion des étrangers reconnus coupables de crimes ou délits passibles d'au moins 5 ans d'emprisonnement. Il serait miraculeux que les autorités françaises parviennent à relever le taux des expulsions en franchissant les barrages juridictionnels et en tordant le bras des pays qui refusent de récupérer leurs ressortissants. La droite sénatoriale a certes réduit l'attractivité des prestations sociales mais une trentaine d'autorités départementales de gauche ont déjà annoncé qu'elles s'appliqueraient à contourner ces barrages, qu'il s'agisse du versement de l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou de celui de l'Aide personnalisée au logement (APL) Mais ni la Protection universelle maladie (PUM) ni l'Aide médicale d'État (AME) ne sont réformées par la loi immigration. Rien non plus dans la loi immigration pour réduire le nombre de « titres de séjour pour soins » (30.000 bénéficiaires actuellement, autre record détenu par la France).
Difficile enfin d'oublier l'éléphant au milieu de la pièce : les Algériens restent exonérés des dispositions prévues par la loi immigration, depuis l'accord bilatéral signé en 1968 entre la France et l'Algérie (Causeur, 22 décembre). Or ils constituent le principal contingent d'immigrés légaux : 23.000 et 30.000 Algériens obtiennent chaque année un titre de séjour en France. N'oublions pas non plus cet autre éléphant, ou plutôt ce mammouth, qu'est la primauté juridictionnelle d'autorités supranationales dépendant ou non de l'UE (telle la Cour européenne des droits de l'homme – CEDH- juridiction internationale instituée en 1959 par le Conseil de l'Europe). Tant que la France n'aura pas recouvré sa souveraineté, l'impact de cette trentième loi sur l'immigration restera cosmétique.