International
Les atouts de la France
En ce pont de l’Ascension, levons les yeux et passons de l’autre côté d’une actualité morose avec l’enquête publiée récemment par La Croix sur les atouts de la France. Ceux-ci demeurent même si, observe le journal, « un an après le début d’une crise sans précédent, [et] un an avant la présidentielle, c’est un pays fatigué qui s’apprête à entrer en campagne ». Fatigué ? Essoré, (co)vidé, asphyxié serait plus juste mais La Croix répugne à toute surenchère verbale, sans doute de peur d’alimenter la machine populiste. D’ailleurs, le tabloïd prend soin de mettre « à distance l’angoisse du déclin et la nostalgie d’une grandeur révolue » pour montrer « le visage enviable d’un pays doté de réels atouts ». La Croix sollicite même ses lecteurs : « À l'échelle mondiale ou près de chez vous, sur quelles ressources la France peut-elle compter pour sortir de la crise ? » Gilets jaunes et grincheux s’abstenir.
Sans surprise, l’enquête valorise d’abord la french touch qui gagne. Les start-ups côtoient les success stories. La Croix zoome sur les pépites de la Tech for Good, « la technologie au service du bien » sur le modèle de BlaBlaCar, numéro un mondial du covoiturage. Une jeune HEC Mathilde Collin révolutionne l’e-mail en Californie, tandis que la pâtisserie française conquiert le Japon, « malgré des cultures culinaires très différentes ». Dans ce meilleur des mondes, talent rime avec argent. Ces winners profitent de l’image de marque de la France autant qu’ils font sa consistance et symbolisent son rayonnement.
À la différence de la fiabilité allemande, la France conjugue esthétisme et créativité. Notre pays « est incroyablement identifié », relève Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ex-directeur général de l’OMC. « Dans un monde qui se dématérialise à toute vitesse », insiste-t-il, « le "jus de cervelle" devient le carburant de la société et de l’économie ». L’un de nos principaux atouts, c’est élitisme scolaire. « Si l’on compare les moyennes, note Pascal Lamy, le système [éducatif] français n’est pas assez performant. Si vous comparez le top, il est hyperperformant (…) et forme des élites remarquables ».
Cette enquête regarde ensuite la géographie, discipline si maltraitée à l'école. La Croix insiste sur les voies navigables – peu exploitées comparé à l’Allemagne, le tourisme fluvial « en pleine expansion » et montagnard – à taille humaine comme à Abondance (Haute-Savoie), sans oublier l’or bleu avec le cobalt polynésien ou l’or blond avec « le club très fermé des exportateurs de blé ».
Ces atouts sont-ils compatibles avec l’UE ? Selon Pascal Lamy, « il faut seulement que les Français acceptent, ce qu’ils ont beaucoup de mal à faire, que l’Europe est autre chose qu’une grande France ». Oui mais quoi ? Cette « autre chose » fortifie-t-elle ou ignore-t-elle les atouts géographiques de la France à l’heure où la Chine ratisse les sous-sols ?
Et quid de l’influence française ? La Croix interroge Sanjay Subrahmanyam, natif de New Delhi, professeur au Collège de France. « Comparé au chinois, mais surtout à l’espagnol, à l’arabe et, bien sûr, à l’anglais-américain, le français en tant que langue de culture a perdu beaucoup de terrain », déplore l’historien. Il y a « une différence très nette entre la France de Valéry Giscard d’Estaing et celle d’Emmanuel Macron », remarque-t-il.
Cette considération débouche logiquement sur le troisième volet de cette enquête : les forces de l’esprit français. Touchante et nostalgique, l’académicienne Florence Delay vante un « ordre merveilleux propre à ce pays », dénonce l’anglicisation (Sorbonne Université au lieu d’université de la Sorbonne), voit la Sécu comme une « bénédiction » et préfère le néologisme « convivance » à l’« affreux » vivre-ensemble. Lucide et équilibré, Gérard Araud, ancien ambassadeur à Washington, « voit monter dans les milieux universitaires US une critique sur notre traitement des musulmans ». Par ailleurs, à l’ONU, le diplomate avoue « n’avoir jamais trouvé dans la francophonie la moindre valeur ajoutée pour les intérêts de la France ». Intéressant.
Il s’ensuit trois entretiens. Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, déplore que notre esprit critique « nous porte aussi vers les passions tristes » et regrette sur le Covid que « les oppositions n’aient pas été à la hauteur de la situation ». Femme de terrain, Carole Delga, présidente PS de la région Occitanie, pense que « la transformation du pays viendra des territoires. Il y a là un rendez-vous ne pas manquer », ajoute-t-elle. Plus charpenté, le philosophe et député LR François-Xavier Bellamy juge que « l’on garde une forme d’assurance en décalage avec la réalité » et qu’« on a le sentiment que tout ce dont on hérite est en train de se déliter ». Et il glisse cette phrase : « Le sursaut viendra du peuple, si une offre politique le rend possible. »
L'ascension a ses limites. On a beau parler de nos atouts, on en revient toujours à la peur de les perdre.
Sans surprise, l’enquête valorise d’abord la french touch qui gagne. Les start-ups côtoient les success stories. La Croix zoome sur les pépites de la Tech for Good, « la technologie au service du bien » sur le modèle de BlaBlaCar, numéro un mondial du covoiturage. Une jeune HEC Mathilde Collin révolutionne l’e-mail en Californie, tandis que la pâtisserie française conquiert le Japon, « malgré des cultures culinaires très différentes ». Dans ce meilleur des mondes, talent rime avec argent. Ces winners profitent de l’image de marque de la France autant qu’ils font sa consistance et symbolisent son rayonnement.
À la différence de la fiabilité allemande, la France conjugue esthétisme et créativité. Notre pays « est incroyablement identifié », relève Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ex-directeur général de l’OMC. « Dans un monde qui se dématérialise à toute vitesse », insiste-t-il, « le "jus de cervelle" devient le carburant de la société et de l’économie ». L’un de nos principaux atouts, c’est élitisme scolaire. « Si l’on compare les moyennes, note Pascal Lamy, le système [éducatif] français n’est pas assez performant. Si vous comparez le top, il est hyperperformant (…) et forme des élites remarquables ».
Cette enquête regarde ensuite la géographie, discipline si maltraitée à l'école. La Croix insiste sur les voies navigables – peu exploitées comparé à l’Allemagne, le tourisme fluvial « en pleine expansion » et montagnard – à taille humaine comme à Abondance (Haute-Savoie), sans oublier l’or bleu avec le cobalt polynésien ou l’or blond avec « le club très fermé des exportateurs de blé ».
Ces atouts sont-ils compatibles avec l’UE ? Selon Pascal Lamy, « il faut seulement que les Français acceptent, ce qu’ils ont beaucoup de mal à faire, que l’Europe est autre chose qu’une grande France ». Oui mais quoi ? Cette « autre chose » fortifie-t-elle ou ignore-t-elle les atouts géographiques de la France à l’heure où la Chine ratisse les sous-sols ?
Et quid de l’influence française ? La Croix interroge Sanjay Subrahmanyam, natif de New Delhi, professeur au Collège de France. « Comparé au chinois, mais surtout à l’espagnol, à l’arabe et, bien sûr, à l’anglais-américain, le français en tant que langue de culture a perdu beaucoup de terrain », déplore l’historien. Il y a « une différence très nette entre la France de Valéry Giscard d’Estaing et celle d’Emmanuel Macron », remarque-t-il.
Cette considération débouche logiquement sur le troisième volet de cette enquête : les forces de l’esprit français. Touchante et nostalgique, l’académicienne Florence Delay vante un « ordre merveilleux propre à ce pays », dénonce l’anglicisation (Sorbonne Université au lieu d’université de la Sorbonne), voit la Sécu comme une « bénédiction » et préfère le néologisme « convivance » à l’« affreux » vivre-ensemble. Lucide et équilibré, Gérard Araud, ancien ambassadeur à Washington, « voit monter dans les milieux universitaires US une critique sur notre traitement des musulmans ». Par ailleurs, à l’ONU, le diplomate avoue « n’avoir jamais trouvé dans la francophonie la moindre valeur ajoutée pour les intérêts de la France ». Intéressant.
Il s’ensuit trois entretiens. Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, déplore que notre esprit critique « nous porte aussi vers les passions tristes » et regrette sur le Covid que « les oppositions n’aient pas été à la hauteur de la situation ». Femme de terrain, Carole Delga, présidente PS de la région Occitanie, pense que « la transformation du pays viendra des territoires. Il y a là un rendez-vous ne pas manquer », ajoute-t-elle. Plus charpenté, le philosophe et député LR François-Xavier Bellamy juge que « l’on garde une forme d’assurance en décalage avec la réalité » et qu’« on a le sentiment que tout ce dont on hérite est en train de se déliter ». Et il glisse cette phrase : « Le sursaut viendra du peuple, si une offre politique le rend possible. »
L'ascension a ses limites. On a beau parler de nos atouts, on en revient toujours à la peur de les perdre.