Économie
Le retour de l’inflation ou le jour du jugement pour nos équilibres sociopolitiques
L’inflation est de retour. L’Europe prévoit une hausse des prix de 6 % cette année – à relever en cas d’embargo complet sur pétrole et gaz russes. Seuls les plus de 50 ans ont encore le souvenir de ce qu’a été l’inflation dans les années 1970 et début 1980, qui n’a été arrêtée que par une hausse violente des taux d’intérêt. Quelles leçons en tirer ?
Cette nouvelle conjoncture provient d'une combinaison de facteurs avec un résultat malheureusement durable. Pourquoi ce retour ? Ou plutôt : pourquoi si tard ? La gestion aventureuse de la politique monétaire date de plus de 20 ans. Elle n’était pas étrangère à la grande crise de 2008 ; mais la crise a conduit à son aggravation, le quantitative easing étant un arrosage monétaire massif. Or, selon la pensée économique et le bon sens, cela aboutit à de l’inflation. À vrai dire, il y a déjà bien eu une inflation des actifs (actions, obligations, immobilier, etc.) – ce qu’on appelle une « bulle » qui, à un moment donné, éclate, engendrant une crise financière. En revanche, les prix des biens et services restaient contenus. On explique en général cela par la mondialisation : la fourniture croissante et massive de biens par des pays en décollage, à des prix bien plus bas ; à cela s’ajoutent la faiblesse de la pression syndicale et les progrès technologiques.
Depuis, la situation s’est retournée sur trois plans. Le premier est la crise du Covid, d’où une accélération de la création monétaire et de l’endettement public ; la sortie de crise a ensuite débouché sur des goulots d’étranglement, sources de hausse de prix. Surtout, elle s’est combinée avec la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales pour conduire à une remise en question partielle de la mondialisation, du fait du risque d’interruption des approvisionnements désormais avéré. Deuxième facteur, cette guerre et les sanctions exercent une pression sur les prix de l’énergie et des matières premières. Un troisième facteur, à terme important, sera la lutte, par ailleurs légitime, contre le réchauffement.
Les autorités monétaires ont d’abord eu tendance à nier le fait que cette inflation soit durable. Depuis, elles se résignent à agir. Pour cela, la méthode est claire : la hausse des taux d’intérêt. Mais comme les années 1980 l’ont montré, il faut des hausses énergiques, et le coût politique en est élevé, surtout si – comme on peut le penser au vu de ce qui a été dit – le mouvement inflationniste actuel est puissant.
Il s'agit d'une remise en cause de nos équilibres sociopolitiques. Quel peut en être l’effet ? La hausse des taux d’intérêts frappe de plein fouet la dette publique, qui a atteint presque partout des niveaux aberrants, à l’époque jugés inoffensifs (avec des taux nuls et une abondance de liquidités). Une hausse des taux sur une longue durée augmentant la charge de la dette de 3 %, appliquée à une dette qui fait 120 % du PNB, dégraderait le solde budgétaire de 3,6 % du PNB (alors que le plafond européen est à 3 %). Naturellement, l’effet serait progressif, car les dettes sont à moyen et long terme (en France, 9 ans). Mais il pourrait être plus rapide et conduire à des crises, si les marchés s’affolaient et différenciaient les emprunteurs. Bien sûr, à terme long, l’inflation allègera de fait cette dette ; encore aura-t-il fallu pouvoir traverser la période sans dégât. Et dans tous les cas, tant pis pour les porteurs directs ou non d’obligations (en France, les titulaires d’assurance vie pour faire simple).
Des krachs des actifs financiers et immobiliers peuvent aussi se produire, la hausse des taux conduisant à leur dépréciation et à l’éclatement des bulles. Certes, à terme long, les actifs réels (actions et immobiliers) s’ajusteront, mais dans l’immédiat, c’est la correction qui l’emporte, donc un effet d’appauvrissement. En sens contraire, ceux qui se sont endettés pour acheter verront la charge de leur dette allégée en termes réels, à condition que leurs revenus suivent et qu’ils n’aient pas à se refinancer. Tous ne sont pas dans ce cas.
Quant à la hausse des prix, elle crée de fortes tensions sur le pouvoir d’achat, dont on a vu l’impact politique dans la présidentielle. Or, sur 30 ou 40 ans, on a noté que la capacité des différentes composantes de la population à défendre leur bout de gras était très variable. Certains pourront voir leur revenu salarial suivre, mais pas tous. De même entre les pays, qui ne sont pas également bien placés. D’où de belles secousses.
Au-delà, il y a une leçon plus philosophique à tirer de tout cela, qui s’annonce douloureuse. Au fond, un consensus social relatif a été acheté dans nos pays, surtout dans les 20 dernières années, par des politiques budgétaire et monétaire de plus en plus laxistes. Aujourd’hui, non seulement on en a atteint les limites, mais on subit les effets négatifs de cette dérive. Politiquement, ce peut être un tournant majeur. Et la France, divisée sur ce plan, refusant l’effort collectif, de moins en moins compétitive, n’est pas très bien placée dans cette bagarre.
Cette nouvelle conjoncture provient d'une combinaison de facteurs avec un résultat malheureusement durable. Pourquoi ce retour ? Ou plutôt : pourquoi si tard ? La gestion aventureuse de la politique monétaire date de plus de 20 ans. Elle n’était pas étrangère à la grande crise de 2008 ; mais la crise a conduit à son aggravation, le quantitative easing étant un arrosage monétaire massif. Or, selon la pensée économique et le bon sens, cela aboutit à de l’inflation. À vrai dire, il y a déjà bien eu une inflation des actifs (actions, obligations, immobilier, etc.) – ce qu’on appelle une « bulle » qui, à un moment donné, éclate, engendrant une crise financière. En revanche, les prix des biens et services restaient contenus. On explique en général cela par la mondialisation : la fourniture croissante et massive de biens par des pays en décollage, à des prix bien plus bas ; à cela s’ajoutent la faiblesse de la pression syndicale et les progrès technologiques.
Depuis, la situation s’est retournée sur trois plans. Le premier est la crise du Covid, d’où une accélération de la création monétaire et de l’endettement public ; la sortie de crise a ensuite débouché sur des goulots d’étranglement, sources de hausse de prix. Surtout, elle s’est combinée avec la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales pour conduire à une remise en question partielle de la mondialisation, du fait du risque d’interruption des approvisionnements désormais avéré. Deuxième facteur, cette guerre et les sanctions exercent une pression sur les prix de l’énergie et des matières premières. Un troisième facteur, à terme important, sera la lutte, par ailleurs légitime, contre le réchauffement.
Les autorités monétaires ont d’abord eu tendance à nier le fait que cette inflation soit durable. Depuis, elles se résignent à agir. Pour cela, la méthode est claire : la hausse des taux d’intérêt. Mais comme les années 1980 l’ont montré, il faut des hausses énergiques, et le coût politique en est élevé, surtout si – comme on peut le penser au vu de ce qui a été dit – le mouvement inflationniste actuel est puissant.
Il s'agit d'une remise en cause de nos équilibres sociopolitiques. Quel peut en être l’effet ? La hausse des taux d’intérêts frappe de plein fouet la dette publique, qui a atteint presque partout des niveaux aberrants, à l’époque jugés inoffensifs (avec des taux nuls et une abondance de liquidités). Une hausse des taux sur une longue durée augmentant la charge de la dette de 3 %, appliquée à une dette qui fait 120 % du PNB, dégraderait le solde budgétaire de 3,6 % du PNB (alors que le plafond européen est à 3 %). Naturellement, l’effet serait progressif, car les dettes sont à moyen et long terme (en France, 9 ans). Mais il pourrait être plus rapide et conduire à des crises, si les marchés s’affolaient et différenciaient les emprunteurs. Bien sûr, à terme long, l’inflation allègera de fait cette dette ; encore aura-t-il fallu pouvoir traverser la période sans dégât. Et dans tous les cas, tant pis pour les porteurs directs ou non d’obligations (en France, les titulaires d’assurance vie pour faire simple).
Des krachs des actifs financiers et immobiliers peuvent aussi se produire, la hausse des taux conduisant à leur dépréciation et à l’éclatement des bulles. Certes, à terme long, les actifs réels (actions et immobiliers) s’ajusteront, mais dans l’immédiat, c’est la correction qui l’emporte, donc un effet d’appauvrissement. En sens contraire, ceux qui se sont endettés pour acheter verront la charge de leur dette allégée en termes réels, à condition que leurs revenus suivent et qu’ils n’aient pas à se refinancer. Tous ne sont pas dans ce cas.
Quant à la hausse des prix, elle crée de fortes tensions sur le pouvoir d’achat, dont on a vu l’impact politique dans la présidentielle. Or, sur 30 ou 40 ans, on a noté que la capacité des différentes composantes de la population à défendre leur bout de gras était très variable. Certains pourront voir leur revenu salarial suivre, mais pas tous. De même entre les pays, qui ne sont pas également bien placés. D’où de belles secousses.
Au-delà, il y a une leçon plus philosophique à tirer de tout cela, qui s’annonce douloureuse. Au fond, un consensus social relatif a été acheté dans nos pays, surtout dans les 20 dernières années, par des politiques budgétaire et monétaire de plus en plus laxistes. Aujourd’hui, non seulement on en a atteint les limites, mais on subit les effets négatifs de cette dérive. Politiquement, ce peut être un tournant majeur. Et la France, divisée sur ce plan, refusant l’effort collectif, de moins en moins compétitive, n’est pas très bien placée dans cette bagarre.