Le discret retour en France de « revenantes » du djihad et de leurs enfants
Politique

Le discret retour en France de « revenantes » du djihad et de leurs enfants

Par Philippe Oswald. Synthèse n°1646, Publiée le 23/07/2022
Cinquante et une personnes, seize femmes de djihadistes âgées de 22 à 39 ans et trente-cinq mineurs (7 sont orphelins de leurs deux parents), ont été ramenées de Syrie le 5 juillet. Elles étaient détenues dans des camps gardés par des Kurdes, dans des conditions de vie jugées « épouvantables » par l’ONU – dont le Comité des droits de l’homme a condamné la France pour y avoir trop longtemps laissé ses ressortissants. Ce retour groupé est une première : la France avait déjà rapatrié des enfants de Syrie mais sans leurs mères. S’agissant d’adultes, les précédentes « exfiltrations » se faisaient au cas par cas ou à la faveur du protocole Cazeneuve permettant d’extrader des djihadistes de Turquie. Le total de ces « revenants » de la zone syro-irakienne commence à faire nombre : 320 adultes, dont 108 femmes, et 200 mineurs ont été rapatriés depuis 2012, sur un effectif total de 1450 ressortissants français partis pour soutenir Daech en Syrie ou en Irak (la France a fourni à son corps défendant le plus important des contingents de djihadistes venus d’Europe). Environ 400 d’entre eux sont considérés comme décédés et 300 ont disparu.

Alors que la doctrine française officielle était de laisser les personnes accusées de terrorisme être jugées et punies dans les pays où leurs exactions auraient été commises, les autorités invoquent aujourd’hui « une logique purement humanitaire » en faveur de ces femmes et de leurs enfants. C’est l’explication avancée par Laurent Nuñez, alors Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (il est, depuis le 20 juillet, le nouveau préfet de police de Paris). Relevons au passage que, s’agissant de ressortissants de l’UE ayant rallié l’État islamique, le mythe d’une « parité » homme/femme absolue n’a brusquement plus cours en France comme ailleurs : « Aucun des pays de l’Union n’a décidé de rapatrier les hommes, ni la Belgique, ni l’Allemagne ou le Danemark » a souligné Laurent Nuñez. Mais il y a une explication complémentaire à ce revirement des autorités françaises : « Les forces kurdes, qui administrent ces camps, n’avaient pas les moyens d’organiser des procès, ni d’assurer la détention de ces personnes très nombreuses dans de bonnes conditions », a indiqué à La Croix (en lien ci-dessous) Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme. Une quinzaine de femmes réputées très radicalisées ont d’ailleurs réussi à s’enfuir de ces camps.

Cette arrivée groupée sur le sol national de femmes et d’enfants ayant connu – et parfois encouragé ou même perpétré – les horreurs du « djihad » de Daech, est salué comme « un premier pas » par les familles de ces « revenants » de la zone syro-irakienne. Mais il faut noter que les deux associations des victimes des attentats du 13-Novembre 2015 approuvent le rapatriement des enfants et de leurs mères de Syrie. Les enfants, parce qu’âgés de moins de 12 ans pour 90% d’entre eux, ils sont avant tout des victimes (ce qui n’exclut pas leur potentielle dangerosité) ; les mères, pour qu’elles répondent de leurs actes devant la justice.

D’autres opérations du même type suivront. En l’état actuel de la justice et des prisons, elles posent un problème sécuritaire redoutable. Parmi les « revenantes » incarcérées dès leur retour figure par exemple Emilie König, 37 ans, originaire de Bretagne, partie en Syrie en 2012 où sont nés trois de ses cinq enfants (rapatriés en France début 2021). Placée par l'ONU sur sa liste noire des combattants les plus dangereux, elle a agi en recruteuse pour Daech et a appelé à commettre des attaques en Occident dans des vidéos. De tels « profils » font courir des risques à l’ensemble des Français, y compris à la population carcérale. Il y a quelques mois, Yvan Colonna, condamné à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac, était assassiné par un codétenu islamiste. Mais le risque principal au sein des prisons est celui de la contagion islamique. Et il serait naïf de croire les femmes moins dangereuses que les hommes. Si 15 des 16 « revenantes » du début de ce mois, y compris Émilie König ont tenu le même discours de repentance devant les enquêteurs (l’une, ancienne épouse d’un des bourreaux de Daech a campé sur ses positions), le Parquet national antiterroriste a appris à faire la différence entre celles qui sont rentrées en France avant la chute de l’État islamique en 2019, et celles qui sont restées en Syrie ou en Irak après cette date. Si beaucoup des premières ne font plus parler d’elles, d’autres continuent de pratiquer un islam rigoriste en détention. Depuis des années, les syndicats de gardiens de prison réclament à cor et à cri des quartiers « étanches » d’incarcération et d’évaluation. Les premiers ne sont apparus qu’à l’automne dernier. Là encore, le « retard à l’allumage » des pouvoirs publics est flagrant. Déjà débordés, le Parquet national antiterroriste, l’administration pénitentiaire et, s’agissant des mineurs, l’Aide sociale à l’enfance, ont du pain sur la planche…
La sélection
Le discret retour en France de « revenantes » du djihad et de leurs enfants
Rapatriements de Syrie, un premier pas salué par les familles
La Croix
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