International

Kaliningrad, nouveau casus belli pour la Russie ?

Par Peter Bannister. Synthèse n°1623, Publiée le 27/06/2022 - Photo :
L'enclave de Kaliningrad, ville natale d'Immanuel Kant devenue soviétique en 1945 avec l'expulsion de sa population germanique, pourrait-elle devenir un futur théâtre de guerre entre la Russie et l'Occident ? Abritant la principale base navale de la flotte baltique russe ainsi que des missiles de dernière génération, la région est séparée du reste de la Russie (ainsi que de la Biélorussie, alliée à Moscou) depuis l'accession des Pays Baltes à l'indépendance en 1991. La récente annonce par la Lituanie de l'application des sanctions de l'UE contre certaines marchandises russes transitant vers Kaliningrad vient de provoquer une réaction très vive de la part de Moscou : la Russie accuse la république balte d'avoir violé les accords internationaux en mettant en place un blocus, promettant de « sérieuses conséquences négatives » pour la Lituanie, tandis que le président biélorusse Alexandre Loukachenko a considéré la mise en œuvre des sanctions comme une sorte de déclaration de guerre.

En réalité, les commentateurs internationaux soulignent qu'il serait excessif de parler d'un véritable blocus de Kaliningrad à l'heure actuelle. Le transport de passagers n'est pas affecté et la région reste accessible au commerce maritime. Néanmoins, la véhémence des protestations de Moscou et ses menaces contre la Lituanie ont provoqué de nombreuses spéculations au sujet des intentions du Kremlin à long terme. Le 20 juin, Politico a publié un article décrivant le « couloir de Suwalki » – une zone de 65km de large au nord-est de la Pologne et au sud de la Lituanie qui sépare la région de Kaliningrad de la Biélorussie – comme l'endroit « le plus dangereux du monde », où un conflit entre la Russie et les forces de l'OTAN pourrait débuter dans un avenir proche. Le contenu plutôt « rassuriste » de cet article ne reflète pas son titre sensationnel, mais il est vrai que le couloir de Suwalki, considéré par certains comme le « talon d'Achille » de l'OTAN, est depuis longtemps un sujet récurrent dans les analyses géopolitiques. Par ailleurs, même avant l'invasion de l'Ukraine, l'idée de « fermer » militairement la zone a été publiquement discutée dans les médias officiels russes. Le 7 décembre 2021, une émission télévisée a décrit un scénario où des forces russes partant de Kaliningrad rejoindraient des troupes biélorusses pour contrôler le couloir afin de faciliter la prise des Pays Baltes. Comme l'a expliqué le général polonais Tomasz Drewniak, l'importance stratégique de la région réside dans le fait qu'elle constitue le seul accès terrestre pour des troupes de l'OTAN essayant de rejoindre les états baltes – membres de l'Alliance atlantique – en cas d'attaque. Une voie d'accès étroite qui peut facilement être fermée en la bombardant des deux côtés. Quant à l'éventuel projet russe de construire un « pont » entre Kaliningrad et la Biélorussie, un autre général polonais (retraité), Stanislaw Koziej, a comparé la situation de Kaliningrad sur la Mer Baltique avec celle de la Crimée sur la Mer Noire. Devenue également exclave russe depuis son annexation en 2014, l'armée russe essaie actuellement de relier la Crimée avec les républiques auto-proclamées de Donetsk et Lugansk à l'est de l'Ukraine. Une autre comparaison, cette fois avec l'enclave indépendantiste de Transdnistrie en Moldavie (où sont stationnés des soldats russes) a été évoquée sur la chaîne Rossija 1 le 21 mars lors de l'émission notoire de Vladimir Solovyov « 60 minutes », au cours duquel un des experts a appelé à relier militairement Kaliningrad avec la Biélorussie, tout en brandissant le spectre de la destruction de Varsovie en une demi-seconde.

Pour l'instant, le risque du déclenchement d'une opération militaire au Nord par Moscou paraît minime. Tant qu'une grande partie des forces armées reste engagée en Ukraine, il est hautement improbable que Moscou ouvre un deuxième front, surtout en impliquant plusieurs pays de l'OTAN (Pologne/Pays Baltes). Le climat diplomatique reste pourtant tendu. Même avant l'application des sanctions par Vilnius, un projet de loi a été déposé à la Douma russe appelant à l'abrogation de la reconnaissance de l'indépendance de la Lituanie ; plus au nord, l'Estonie vient de se plaindre non seulement de la violation de son espace aérien par un hélicoptère russe, mais aussi de la simulation d'une attaque de la part de Moscou. Quant à l'idée de bombarder l'Occident à partir de la région de Kaliningrad (les missiles étant capables d'annihiler Paris en 200 secondes, selon une présentatrice de Rossija 1), il s'agit presque certainement de simples propos de bravoure visant un public interne. Pourtant, juste avant l'invasion de l'Ukraine, des images ont été largement diffusées montrant l'arrivée de missiles hypersoniques Kinzhal dans la région de Kaliningrad, transportés par des MIG-31. Comme l'a noté l'ancien premier ministre suédois Carl Bildt, « en ces jours, nous n'avons pas le droit d'ignorer ce qu'on dit sur les chaînes d'État de la TV russe. Malheureusement, cela peut potentiellement devenir bien pire. »

Photo : A. Savin
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