Justin Welby : la chute du leader emblématique de l'Église anglicane
Justin Welby est une figure religieuse et politique influente au Royaume-Uni. L'archevêque de Canterbury, primat de l'Église anglicane, est le premier de sa fonction à démissionner dans l'histoire de cette Église. Fondée par le roi Henri VIII en 1534, la Church of England est l'Église officielle de la monarchie britannique et possède des branches en Afrique, au Moyen-Orient, dans l'est de l'Asie et aux États-Unis, où elle est appelée Église épiscopalienne.
La démission soudaine de Justin Welby le 12 novembre, sous la pression de plusieurs évêques anglicans et d'une partie de son clergé, intervient après la publication du rapport Makin sur les abus sexuels et physiques d'un leader évangélique anglican, John Smyth. Ce dernier aurait abusé au moins 130 adolescents entre les années 1970 et les années 2000. Figure de l'évangélisme britannique, cet avocat était célèbre pour son charisme, ses activités de pastorale et les camps qu'il organisait pour des adolescents de la haute société britannique, dont plusieurs sont aujourd'hui pasteurs ou évêques au sein de l'Église anglicane. Les abus ont commencé au milieu des années 1970, lorsqu'il tenait un « Forum chrétien » à Winchester College, le pensionnat le plus prestigieux du Royaume-Uni. Smyth a commis des abus sur au moins 22 élèves du pensionnat. Exclu en 1982, le pasteur évangélique n'a jamais été poursuivi par la direction de Winchester College. Envoyé au Zimbabwe, Smyth y a poursuivi ses abus, sans jamais être inquiété par l'Église anglicane. Il est décédé en 2018, avant le début des premiers procès.
Smyth était une bonne connaissance de l'archevêque de Canterbury, l'un et l'autre faisant partie de la même branche de l'évangélisme anglican. Avant d'être ordonné pasteur, Welby avait même participé à l'un des camps organisés par Smyth en 1971 et était au courant de ses agissements dès 1981, apparemment en des termes vagues. De nouveau alerté sur les agissements de Smyth en 2013, Justin Welby a renoncé à lancer une enquête à son sujet, malgré la gravité confirmée de ses abus à ce moment-là.
Justin Welby était une figure appréciée au sein de l'Église anglicane et n'a rien d'un carriériste. Ancien cadre d'Elf Aquitaine, il a passé plusieurs années à défendre la cause des chrétiens persécutés dans plusieurs républiques d'URSS, une cause qui lui tenait à cœur durant ses années comme archevêque. Sa figure humble et à l'écoute était bien reçue par ses fidèles et son clergé, ainsi que chez les autres confessions chrétiennes. L'une des caractéristiques du primat était son intérêt pour l'œcuménisme, qu'il a manifesté par ses visites régulières auprès du pape François au Vatican. La dernière initiative commune des deux leaders religieux fut un voyage au Soudan, pour y promouvoir la paix. Revenant sur cet épisode et sur la primauté du pape dans l'hebdomadaire La Vie, Welby a reconnu que le pape était « détenteur de la primauté universelle ». Cette déclaration, audacieuse et inédite pour un chef religieux protestant, ne doit cependant pas cacher les divergences théologiques entre l'Église anglicane et l'Église catholique, particulièrement sur la primauté et l'autorité du pape et de nombreux points de doctrine. L'une des fiertés de Welby était par exemple l'accession des femmes à l'épiscopat, validée en 2014, une perspective exclue dans l'Église catholique.
Mais le bilan de Justin Welby demeure celui d'une Communion anglicane plus divisée que jamais sur les sujets de morale sexuelle, de théologie et de liturgie. Contrairement au pape, l'archevêque de Canterbury ne possède pas le rôle de gardien de la doctrine. Les réformes, y compris doctrinales, au sein de l'Église anglicane, sont toujours prises par des assemblées synodales, qui réunissent la Communion anglicane, c'est-à-dire l'ensemble des branches de l'Église anglicane dans le monde. Parmi les éléments qui divisent les courants évangéliques progressistes et les anglicans plus traditionnels figure le mariage des homosexuels, vivement débattu lors du dernier synode de novembre 2023.
Justin Welby, prudent sur les évolutions trop brutales de la doctrine ou de la morale, mais favorable à des évolutions, a tenté de préserver un semblant d'unité au sein de son Église pendant ses onze années à la tête de l'Église anglicane, en se montrant le plus conciliant possible sur les sujets de morale, au risque d'être qualifié de « woke » par certains pasteurs. Welby a notamment insisté sur l'importance de reconnaître les fautes du Royaume-Uni sur la question de l'esclavage et a apporté son soutien au mouvement Black Lives Matter. Pendant ce temps, la pratique dominicale des anglicans a connu sa chute la plus brutale depuis les années 1970, passant de 788 000 en 2013 à moins de 557 000 en 2022. Le confinement est l'une des causes de ce déclin rapide de pratique religieuse, causé en partie par la fermeture stricte de toutes les églises à la demande de Justin Welby lui-même. C'est une décision qu'il a regrettée dès 2022 et qu'il regrette encore.
La nomination du prochain archevêque prendra plusieurs mois. Un nom devra être proposé par la Crown Nominations Commission, composée d'évêques, de pasteurs et de laïcs. Un nom sera ensuite proposé au roi Charles III puis, si ce dernier donne son aval, le Premier ministre annoncera le nom du nouvel archevêque de Canterbury.