IVG : no limit ?
Bioéthique

IVG : no limit ?

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1077, Publiée le 25/09/2020
L’avortement redeviendrait-il un sujet politique ? En France, c’est peu probable. Si aucun parti institué n’en parle ni ne songe à en parler, le combat s’intensifie à l’échelon des minorités organisées – qu’elles y soient favorables ou hostiles. 45 ans après la loi Veil, les partisans de l’IVG pourraient tranquillement jouir de leur triomphe. Car tous les indicateurs vont dans leur sens : le nombre d'avortements atteint son plus haut niveau en France depuis trente ans, selon une étude de la Drees publiée hier. Avec 232 000 actes pratiqués l’an dernier, c’est une IVG pour un peu plus de trois naissances ! Et depuis 1995, observe le service de l’Insee, « le taux global de recours à l’IVG (nombre d'avortements rapporté au nombre de femmes) suit une tendance à la hausse ». Depuis les années 2010, ce taux augmente chez les trentenaires mais diminue chez les moins de 20 ans. Les disparités varient « du simple au triple selon les régions ». Les recours sont plus élevés en Île-de-France, dans le Sud-Est, et outre-mer où le taux monte jusqu'à 39 pour 1000, comme en Guadeloupe et en Guyane (contre une moyenne de 15,6). Pour la première fois, la Drees croise ces données avec les situations fiscales. Ce sont « les femmes les plus précaires [qui] y recourent sensiblement plus que les plus aisées ». Près d’un acte chirurgical sur cinq est réalisé entre la 10e et la 12e semaine de grossesse, délai maximal légal. Les militants pro-IVG veulent en finir avec cette limite. Cette intention rejoint au fond la position des « pro-vie ». Ce qui compte, c’est l’importance que l’on donne à la conception. Le délai n’est qu’un curseur, arbitraire et mobile. Qu’un enfant à naître ou un amas de cellule soit détruit à tel ou tel moment de sa réalité prénatale n’est pas une question de principe mais de procédure.

Ce délai est fragilisé par deux mesures :

Dans la nuit du vendredi 31 juillet au samedi 1er août, les députés autorisèrent l’interruption médicale de grossesse (IMG) pour cause de « détresse psychosociale ». Permise pendant neuf mois, l’IMG contourne le délai que la loi assigne à l’IVG. Pour certains, grossesse, détresse et tristesse forment une trilogie. Comment une équipe médicale va-t-elle pouvoir éconduire une femme qui la supplie d’avorter même tardivement ? Dans une tribune au FigaroVox, le professeur d’obstétrique Israël Nisand affirme qu’« il n’y a pas de définition précise de la détresse psycho-sociale (…) comme il n’y a pas de liste de malformations qui permettent d’accéder à une IMG pour cause fœtale ». La loi se décharge sur l’appréciation des médecins et l’épithète-valise « psychosocial » n’aide en rien à leur discernement. Au demeurant, mettre en avant la détresse affaiblit le mythe féministe qui revendique un choix par-dessus tout.

L’autre initiative émane de la délégation aux droits des femmes, présidée par Marie-Pierre Rixain (LREM). Dans un rapport adopté mi-septembre, celle-ci recommande de porter le délai légal d’une IVG chirurgicale à 14 semaines, afin d'éviter que 3 à 5000 femmes soient obligées d'aller au Pays-Bas ou en Espagne, une fois les 12 semaines écoulées. Cette disposition fut rejetée à plusieurs reprises : en mai, le Sénat avait refusé un allongement temporaire en raison du coronavirus. Ces militantes pro-IVG souhaitent aussi que soit supprimée la clause de conscience, que chaque unité de gynécologie-obstétrique en hôpital public puisse pratiquer des IVG (même si les chefs de service n'y sont pas favorables) et que les sages-femmes aient droit de réaliser des IVG chirurgicales. Depuis quatre ans, elles peuvent pratiquer des avortements par voie médicamenteuse, une méthode utilisée dans deux tiers des cas.

Le discours des pro-IVG consiste à se victimiser. Pour étendre l’avortement, il suffit de dire qu’on y a de moins en moins accès. Ainsi la cause peut-elle refaire le plein du sentiment d’injustice, moteur de l’action humaine. Ce discours est-il fondé ? En partie seulement : les médecins, jeunes en particulier, acceptent de moins en moins de pratiquer l’avortement, comme l’illustra l’an dernier l’affaire de l’hôpital de Bailleul (Sarthe). Pour les y inciter, les pro-IVG veulent faire sauter la clause de conscience spécifique à cet acte extrême. Sans ôter la liberté de choix aux praticiens, cela permettrait de ne pas « stigmatiser » l'avortement. Déculpabiliser mais aussi punir : depuis 2014, le délit d'entrave à l'IVG réprime « les actions militantes ou de désinformation volontaire ». Malgré son influence sur la toile, le militantisme « pro-vie » n'arrive pas à faire de l'avortement un sujet politique. On mesure l'écart avec les États-Unis, où une catholique anti-IVG, Amy Cony Barrett, mère de 7 enfants, pourrait être nommée demain candidate à la Cour suprême.

La sélection
IVG : no limit ?
Avec une légère hausse en 2019, le taux de recours à l’avortement atteint son niveau le plus haut depuis trente ans
Le Monde
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