Histoire

L'incroyable machine d'Anticythère qui remet en question nos conceptions de l'Antiquité

Par Xavier Bezançon. Synthèse n°2186, Publiée le 04/05/2024 - Crédits photo : Wikimedia Commons
Le mécanisme d'Anticythère est de très loin l'objet antique le plus complexe qui soit parvenu jusqu'à nous. Qui a pu créer cela, à partir de quel savoir extraordinaire et avec quelle technologie ?

Une épave d'une très grosse galère romaine de 40 mètres de long a été découverte à Pâques de l'an 1900 par des pêcheurs d'éponge grecs se mettant à l'abri sur la côte d'Anticythère, une île située en face de la célèbre île de Cythère, entre le Péloponnèse et la Crète. Rapidement, après avoir pu en extraire quelques morceaux de statues prometteurs, on a compris qu'on avait affaire à une découverte assez exceptionnelle.

Ce navire était d'un poids exceptionnel, estimé à environ 300 tonnes, et avait fait naufrage vers 60 av. JC. Dès 1901 et 1902, le gouvernement grec a organisé des opérations de fouille de l'épave située à 62 mètres de profondeur et mis à jour un véritable trésor de sculptures et d'objets précieux en bronze. Parmi eux, l'éphèbe d'Anticythère, des instruments de musique et aussi un curieux objet qui rentre dans un carré de 20 centimètres de côté, couvert d'inscriptions en grec et comportant des engrenages incrustés. Il s'agit en fait d'une fabrication en bronze composée de nombreuses roues dentées agglomérées en couches successives qui ressemble à un mécanisme plutôt complexe et très oxydé - et pour cause puisqu'il est resté environ deux mille ans au fond de la mer. Au total, trois gros morceaux de bronze et 82 fragments plus modestes sont extraits de l'épave.

Visible au Musée national archéologique d'Athènes, ce mécanisme, appelé « machine d'Anticythère », est une véritable énigme. Après les nombreuses études scientifiques qu'il a suscité au cours du vingtième siècle, il apparaît qu'il s'agit du plus vieux mécanisme à engrenages connu et que c'est même, en réalité, un calculateur analogique très précis. Il permet notamment de calculer les positions astronomiques des différents cycles solaires, lunaires et planétaires, ce qui fut entrevu dès 1905.

Comment un objet mécanique si ancien (environ 150 av. JC) a-t-il pu exister alors que les premiers objets à roues dentées connus datent du seizième siècle ? Les connaissances astronomiques sous-jacentes, l'aisance à fabriquer un objet mécaniquement aussi complexe posent d'immenses questions sur l'histoire même de la science grecque.

En 1959 un physicien américain, de Solla Price, découvre cette sidérante complexité des roues dentées sur plusieurs tambours, par radiographie avec des rayons gamma. Il montre que la machine était actionnée par une manivelle et que des aiguilles mobiles donnaient des indications sur des cadrans où figurent des inscriptions. Puis, en utilisant un énorme scanner à rayon X très puissant pour découvrir toutes les inscriptions et mieux comprendre son utilité, un astronome, Edmund, et un mathématicien, Freeth, associés à des scientifiques des universités grecques finissent par arriver à reconstituer l'ensemble du mécanisme et à déchiffrer les 2 200 caractères et lettres grecques figurant sur les roues dentées.

La machine est datée du deuxième siècle avant Jésus-Christ et il se confirme que ce calculateur analogique décrivait les éclipses, mouvements du soleil, de la lune et des planètes visibles. C'est au cours d'une conférence à Athènes en 2006 que l'équipe de chercheurs communique les résultats de leurs investigations sur cette machine fondée sur un modèle mathématique de la course des astres et comprenant notamment 365 jours du calendrier égyptien. Certains engrenages sont d'une rare technicité.

Qui a pu concevoir cet incroyable mécanisme supposant un niveau de savoir inimaginable pour la Grèce antique ? En 2022, des chercheurs de l'université Cornell pensent pouvoir affirmer que la date de mise en fonctionnement du mécanisme est le 23 décembre 178 av. JC, jour d'une éclipse solaire annulaire. Le concepteur pourrait être Archimède de Syracuse (287 à 212 av. JC), père de la mécanique ou bien un de ses disciples ; on pense également à Hipparque de Nicée (190 à 120), fondateur de la trigonométrie. La machine aurait pu être fabriquée à Rhodes, où vivait Hipparque, ou bien Syracuse, où vivait Archimède, sachant que la nature des inscriptions suggère une origine sicilienne.

En 2011, l'entreprise Hublot a reproduit la machine d'Anticythère à l'échelle d'une montre qui trône désormais au musée national archéologique d'Athènes. Il reste que cette machine incroyable constitue plus que jamais une énigme inexpliquée, susceptible de remettre en cause toutes les visions que nous avions jusqu'ici sur le niveau de science existant dans l'Antiquité. En attendant, cet objet très singulier a été mis spécialement à l'honneur récemment, dans le dernier opus de la saga Indiana Jones : c'est le fameux « Cadran de la Destinée », attribué à Archimède dans le film, objet de la dernière quête d'Harrison Ford...

La sélection
Qu'est-ce que l'intrigante machine d'Anticythère, objet de la quête d'Indiana Jones dans son dernier film ?
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