Écologie

Incendies ravageurs au Portugal, une conséquence de l'exode rural

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2293, Publiée le 14/10/2024 - Photo : Shutterstock
Les régions du nord et du centre du Portugal ont pris feu pendant plusieurs jours à la mi-septembre. Derrière l'argument passe-partout du réchauffement climatique, le cas portugais révèle des décennies d'irresponsabilité politique et les conséquences dramatiques de l'exode rural. Les collines portugaises sont de moins en moins défrichées par les chèvres alors que des pyromanes rôdent...

Quelques jours d'enfer ont ravagé le nord et le centre du Portugal entre le 14 et le 18 septembre. Le bilan est lourd : 94 000 hectares brûlés et surtout cinq morts (dont quatre pompiers) et 90 blessés. Les émissions de carbone ont battu tous les records pour un mois de septembre – selon l'observatoire européen Copernicus – avec pour conséquence des panaches de fumées atteignant l'Espagne et la France… Le Portugais Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, s'est empressé de pointer du doigt la « crise climatique », qui rendrait encore plus dévastatrice ce type de catastrophe…

La focalisation sur les changements climatiques est telle qu'on passe rapidement sur une information essentielle : quatorze personnes ont été arrêtées, soupçonnées d'avoir allumé des dizaines de foyers (voir BFM TV). Des départs de feux en pleine nuit, dispersés : les autorités portugaises n'ont pas de doute sur les causes criminelles de ces incendies. Les intérêts économiques (brûler des forêts pour racheter les surfaces à bas coût) sont pointés du doigt mais aussi la santé mentale puisque les pyromanes semblent de plus en plus nombreux…

Quel peut être l'impact des changements climatiques observés en Europe du Sud (voir l'article de The Critic) ? On a pris l'habitude d'entendre les bulletins catastrophistes qui alertent sur les canicules en été. Or, que les reliefs boisés du pourtour méditerranéen ou même atlantique soient susceptibles de brûler, rien de nouveau sous le soleil… Les chaleurs estivales assèchent les sols et la végétation : la fin de l'été est la période la plus dangereuse. Mais l'intensité d'une canicule ne change pas grand-chose à cette situation : qu'il fasse 34°C ou 38°C, un été méditerranéen est toujours suffisamment sec et chaud pour que le risque d'incendie soit très élevé. Le problème des changements en cours tient plutôt à la répétition d'hivers plus doux et plus humides. On observe par exemple que les inondations sont plus fréquentes et importantes. Plus de pluie en hiver signifie une végétation plus vivace dès le printemps. Ce n'est pas tant l'intensité de la chaleur que l'abondance du combustible qui aggrave les départs de feux.

Tout comme les causes pour la plupart criminelles des départs de feux, la responsabilité des pouvoirs politiques est elle aussi masquée par l'argument apocalyptique du « changement climatique ». Dans le cas portugais, on a laissé faire pendant des décennies les plantations d'eucalyptus très inflammables. Mais la cause profonde la plus grave est la désertification rurale. Depuis trente ans les régions du nord et du centre du pays ont perdu près de la moitié de leurs habitants. Ceux qui restent sont les plus anciens ! Résultat : plus assez de bras pour défricher les côteaux remplis de ronces et de fougères. Le miracle économique portugais (le pays était en 1966 aussi pauvre que la Grande-Bretagne en 1888) a provoqué un exode massif vers la capitale. Lisbonne compte aujourd'hui 25 % de la population totale – des jeunes qui prennent des emplois tertiaires quand les collines ne sont plus occupées que par les plus âgés. Et derrière ce phénomène démographique, ce sont les chèvres qui se font rares. Entre 2013 et 2019, le cheptel caprin portugais a chuté de 21 %. Or, ces petits ruminants sont les meilleurs sapeurs de ces collines. Dotés d'un estomac « tout terrain », aucune broussaille piquante ne leur résiste ! La baisse rapide du nombre d'élevages caprins affecte d'autant plus le Portugal qu'ils sont de petite taille. Il y en a encore 22 800 (contre 8 100 en France) mais comprenant en moyenne seulement 16,3 bêtes contre 156 en France (chiffres de 2021 FranceAgriMer). Un chevrier portugais qui prend sa retraite et c'est la végétation qui envahit de manière anarchique les alentours des villages désertés… C'est donc le développement économique – bien plus que des changements climatiques – qui cause de telles catastrophes. Cela ne signifie pas que les solutions soient faciles à trouver. La mise en place d'AOR (Appellation d'Origine Contrôlée) pour protéger les chèvres portugaises a à peine freiné cette tendance. Comme on l'a vu avec le retour de la vie sauvage en Italie (voir LSDJ 2143), on peut cependant en conclure que la lutte contre l'exode rural devrait être une priorité politique pour des raisons sociales et écologiques.

L'obsession médiatique et politique autour du « réchauffement climatique » a des conséquences sur la santé mentale. Dans un climat aux accents apocalyptiques, est-il surprenant d'observer la multiplication des pyromanes ? L'impact du climat sur notre psyché ne date pas d'hier. Il suffit d'explorer les panthéons des dieux païens pour le constater. Et la récurrence de sacrifices humains dans le monde celte... Le rite des baptêmes chez les Saxons au IXème siècle demandait de rejeter Thunor – le terrible dieu de l'orage – témoignant de l'importance de ces croyances chez nos ancêtres. Associée à l'essor de nouvelles superstitions, la glorification de l'individu pousse les plus fragiles à mettre le feu. Pour paraphraser Jean-Paul Sartre (Le Mur), on se souvient d'Érostrate, l'incendiaire du temple d'Artémis il y a 2 300 ans, pas du nom de son architecte…

La sélection
Portugal and the missing goats
Lire l'article sur The Critic
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