L'hygiène devient la variable d'ajustement des ménages français
Une personne sur deux affirme devoir réduire sa consommation de produits d'hygiène. Par ailleurs, ce phénomène, qui touchait les plus pauvres auparavant, touche désormais « un public beaucoup plus varié » note Dominique Besançon, déléguée générale de Dons solidaires, l'association qui a mené cette enquête. Ainsi, de plus en plus, les Français doivent arbitrer entre leur hygiène ou leur alimentation, et c'est désormais un Français sur cinq qui doit faire cet arbitrage selon cette même étude. La proportion monte quasiment à la moitié (45 %) chez les plus précaires.
En parallèle, les associations solidaires traversent une crise sans précédent. On se rappelle l'appel à l'aide des Restos du Cœur en septembre dernier, rapidement rejoints par la Banque alimentaire et la Croix-Rouge. Les présidents de ces associations pointent l'inflation comme responsable de cette situation. Contraints d'augmenter leurs coûts, ils voient nombre de précaires se tourner vers les aides alimentaires et les dons réduire.
Cette double situation illustre bien la paupérisation de la France qui tend à s'enraciner. Ainsi, en janvier 2023, toujours selon Dons solidaires, un tiers des sondés disait se priver de produits d'hygiène à cause du contexte économique. Ce taux est désormais passé à la moitié des sondés. Notons que l'échantillon de mesure était plus grand et donc plus représentatif de la société française. Par ailleurs, la situation en 2023 était déjà une aggravation du précédent baromètre, en 2021, lorsque 1/6 des sondés répondait se priver de produits d'hygiène.
L'indice des prix à la consommation a augmenté de 3,1 % sur un an au mois de janvier dernier, contre 3,7 % en décembre dernier selon l'INSEE. S'il y a lieu de se réjouir de ce ralentissement, il reste beaucoup de chemin avant de crier victoire. Cette baisse de l'inflation ne traduit pas une baisse des prix – qui continuent d'augmenter – mais plutôt une décélération de cette augmentation des prix. Il nous faut donc étudier l'inflation sur un plus long terme pour nous rendre compte de ce phénomène. Ainsi, entre janvier 2021 et janvier 2024, les seuls prix de l'alimentation ont augmenté de 22,2 %, soit autant qu'entre 2008 et 2020. Cela explique le double constat évoqué plus haut.
Cette précarité risque d'être accentuée par l'entrée en vigueur très prochainement (le 1er mars) de la loi Descrozaille. Selon cette loi, à partir de cette date, les promotions sur les produits non alimentaires (principalement produits d'hygiène et d'entretien) seront plafonnées à 34 %, alors qu'elles n'étaient pas plafonnées jusque-là. L'objectif est de protéger les industriels, notamment les PME, qui devaient diminuer leurs marges à cause des méga-promotions des distributeurs. Cependant, dans un contexte inflationniste, cette loi est difficilement accueillie par nombre de consommateurs qui comptaient sur ces promotions pour bénéficier de produits d'hygiène.
D'autant plus que l'efficacité d'une telle loi pose question. Les distributeurs sont d'ailleurs vent debout contre elle. Alexandre Bompard, patron de Carrefour, fustige une loi « qui ne bénéficie qu'à trois grandes multinationales mondiales : eux vont augmenter leurs marges alors que la privation de consommation est là ». En effet, toujours selon lui, le secteur hygiène et entretien est « largement dominé par des multinationales étrangères ». Le seul effet serait donc d'augmenter les marges de ces multinationales tout en accentuant la pression sur les distributeurs et les consommateurs français.
Par ailleurs, cette précarité hygiénique touche tout particulièrement les étudiants et participe à l'accentuation de la précarité étudiante. Selon l'association Linkee, qui propose des distributions alimentaires hebdomadaires pour les étudiants, 75 % de ses bénéficiaires disposent de moins de 100 euros de « reste à vivre » par mois. Pour rappel, le reste à vivre est ce qu'il reste quand les charges fixes ont été payées (on inclut dans ce reste à vivre l'alimentation, la santé, la culture…). Ainsi, un étudiant sur cinq envisage d'arrêter ses études en raison des difficultés financières.
Cette précarité hygiénique n'est donc pas à négliger, d'autant qu'elle n'est pas un épiphénomène. Elle produit de la précarité sociale, avec 28 % des personnes touchées par la précarité hygiénique qui ne sortent plus de chez elles et 16 % de ces personnes qui préfèrent même ne pas aller travailler. Plus largement, la précarité est un phénomène qui s'auto-entretient selon un principe de cercle vicieux. La précarité hygiénique participe à la précarité sociale et donc à la précarité économique. Lutter contre la précarité implique donc de lutter contre toutes ses formes.