Fortes tensions autour de la réforme judiciaire en Israël : chronique d'une crise existentielle
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Fortes tensions autour de la réforme judiciaire en Israël : chronique d'une crise existentielle

Par Peter Bannister. Synthèse n°1862, Publiée le 01/04/2023 - Photo : Oren Rozen / Wikimedia Commons
Israël a-t-il atteint un moment de « crise existentielle », comme l’affirment de nombreux commentateurs suite aux protestations massives contre la réforme judiciaire proposée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou ? Retour sur une semaine riche en événements et aux ramifications considérables, non seulement à l’intérieur d’un pays miné par des divisions de plus en plus intenses, mais aussi par l'état de ses relations avec ses alliés internationaux, les États-Unis en tête.

Les protestations contre la réforme du système judiciaire ne sont pas nouvelles et reposent essentiellement sur deux objections principales. D’abord, les opposants accusent la coalition de Netanyahou, considérée comme le gouvernement le plus à droite depuis la création de l’État d’Israël, de porter atteinte à la démocratie en voulant réduire le rôle de la Cour suprême, vue par beaucoup comme le seul véritable contre-pouvoir dans un pays sans constitution écrite. Deuxièmement, certains craignent également que le programme de réforme de Netanyahou ne soit motivé par des intérêts personnels. Depuis 2020, il fait l’objet d’un examen judiciaire pour corruption (notamment concernant des produits de luxe d’une valeur de 180 000€ qu’il aurait reçus en échange de faveurs), ce qui pourrait mener à son incarcération. Plusieurs anciens dirigeants politiques israéliens ont connu la prison, dont l’ancien président Moshe Katsav en 2010, et le premier ministre Ehud Olmert, condamné pour corruption en 2015. Selon ses détracteurs, Netanyahou chercherait à éviter leur sort par une ruse législative, tout en profitant pour l’instant d’une immunité grâce à sa fonction, qu’il essaierait logiquement de prolonger à tout prix. Selon cette hypothèse, cela expliquerait également ses concessions aux partis ultranationalistes au sein d’une coalition hétéroclite, bâtie avec grande difficulté suite aux élections de novembre 2022.

Cependant, ce qui a mis le feu aux poudres dans une situation déjà tendue a été le limogeage dimanche par Netanyahou du ministre de la Défense Yoav Gallant, qui s’était prononcé la veille en faveur d’une pause dans la réforme judiciaire. L’objection de Gallant (pourtant issu du Likoud, le même parti que Netanyahou) était avant tout qu’elle représentait un danger pour la sécurité d’Israël, danger lié au refus depuis quelques semaines d’un certain nombre de réservistes de servir dans les forces armées en raison de leur opposition à la politique gouvernementale. En réponse à l’action de Netanyahou, des dizaines de milliers de personnes sont immédiatement descendues dans la rue ; lundi, Histadrout, le principal syndicat israélien, a appelé à la grève générale. C’est donc dans un pays au bord de la paralysie que Netanyahou a annoncé mardi qu’il mettait en suspens la réforme judiciaire afin d’éviter une « guerre civile ».

Si cette décision du Premier ministre a été largement saluée, les analystes s’accordent à dire que la crise est loin d’être terminée. D’abord parce que les débats sur la réforme judiciaire reprendront à la Knesset au mois de mai, mais également à cause de tensions majeures au sein du gouvernement et de la société israélienne. Beaucoup considèrent ces divergences comme irréconciliables, car elles découlent de deux visions difficilement compatibles de l’État d’Israël – l’une laïque, modelée sur les sociétés occidentales, l’autre religieuse, voire théocratique.

Dans ce contexte, on note avec inquiétude les actions récentes du très controversé ministre de la sécurité Itamar Ben-Gvir, décrit par l'ex-Premier ministre Yaïr Lapid comme l’homme « le plus irresponsable du Moyen-Orient » pour ses prises de position radicales et provocatrices par rapport aux Palestiniens. Lundi, Ben-Gvir a menacé de démissionner du gouvernement (ce qui provoquerait la chute de Netanyahou) en cas du report de la réforme judiciaire (il intervenait lors d'une contre-manifestation de quelque 10 000 personnes en faveur de la réforme). Suite à des pourparlers avec Netanyahou, il s’est toutefois dit satisfait de l’annonce faite mardi par le Premier ministre : on présume que les deux auraient conclu entretemps un accord concernant la création très contestée d’une « garde nationale » sous le contrôle de Ben-Gvir. Moshe Karadi, ancien chef de la police, a qualifié cette nouvelle formation de « milice privée », disant que Ben-Gvir serait « en train de démanteler la démocratie israélienne ». Ben-Gvir a par ailleurs réagi de manière combative aux tentatives du gouvernement américain de pousser Netanyahou au compromis, disant que les États-Unis « doivent comprendre qu’Israël est un pays indépendant et qu’il n’est plus une étoile sur le drapeau américain ». Face à ces propos du leader de la droite radicale, la crainte des opposants israéliens est que le Premier ministre en difficulté cède au chantage des ultranationalistes, qui pourraient s’avérer bien plus dangereux pour la sécurité d'Israël que des réservistes réfractaires dans le cas d'un embrasement de la situation dans les territoires occupés.
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