Une forteresse en Sibérie bouleverse nos connaissances anthropologiques
Les archéologues ont fait une découverte qui remet en cause la lecture « évolutionniste » de la préhistoire. Il était admis, sur la base de multiples sites étudiés en Europe, que nos ancêtres avaient en gros suivi un parcours linéaire, de l'âge de pierre (de 3 millions d'années jusqu'à 3000 ou 2000 ans avant J.C.) à l'âge de bronze (de 3300 à 1000 ans avant J.C.). L'ensemble de l'humanité était réputée formée de chasseurs-cueilleurs jusqu'à la période tardive du néolithique où les premières sociétés complexes apparaissaient grâce à la maîtrise de l'agriculture et la domestication des animaux. C'est en tout cas ce qu'on prenait pour établi… Mais des chercheurs ont étudié le site d'Amnya en Sibérie occidentale faisant partie d'un réseau déjà connu de fortifications, le plus septentrional au monde. À cause du présupposé mentionné plus haut, on considérait que cet ensemble de palissades, de fossés et de talus était trop élaboré pour avoir été construit par des chasseurs-cueilleurs. Son âge ne pouvait pas dépasser les 6000 ans, surtout dans cette région hostile et éloignée de la Méditerranée. Or, la dernière étude, publiée par la revue Antiquity (presse universitaire de l'université de Cambridge) révèle que cette forteresse a été fondée il y a environ 8000 ans, à l'époque où la population survivait grâce à la chasse, la pêche et la cueillette !
Dans cette grande taïga couverte de forêts de conifères, des constructions fortifiées sont donc apparues bien avant celles de l'Europe occidentale. L'archéologue, Tanja Schreiber, qui a dirigé la recherche avec l'Institut d'Archéologie de la « Freie Universität » a dit au magazine Newsweek (voir notre sélection) : « Nous partions tous du principe que les chasseurs-cueilleurs étaient incapables de transformer leur environnement. » Des structures fortifiées construites par des groupes nomades de chasseurs avaient déjà été trouvées à travers le monde - mais elles étaient moins anciennes et se trouvaient majoritairement à des points de passage spécifiques le long de côtes. Le travail sur le terrain d'Amnya s'est déroulé en 2019 et la datation au carbone confirme que la plus ancienne forteresse connue a été érigée loin des grands axes de migration connus, à l'est de l'Oural.
Les chasseurs-cueilleurs de cette région étaient aussi d'excellents potiers : les restes analysés par l'équipe de Schreiber démontrent qu'ils décoraient finement les récipients leur permettant de conserver les surplus de viandes et l'huile des poissons. Cette région qui nous semble aujourd'hui si hostile était un petit jardin d'Éden : ils pêchaient dans la rivière Amnya bordant leur colonie et chassaient le renne. L'abondance et la diversité de la nourriture étaient assurées par la migration des troupeaux et la montaison des poissons. Le site d'Amnya était parfaitement placé mais comment expliquer le besoin de se fortifier ? Une chose est sure : l'établissement de cette colonie coïncide avec une forte augmentation de la population…
Les théories divergent pour expliquer ce besoin de se sédentariser avant l'invention de l'agriculture. L'épisode de refroidissement climatique détecté il y a 8000 ans a pu intensifier la concurrence entre les clans pour accéder à la nourriture. L'abondance exceptionnelle des proies et des ressources a permis la conservation des surplus de nourriture et donc a poussé les chasseurs-cueilleurs à constituer des réserves. Des mouvements venant du Sud, facilités par les glaces, ont peut-être amené aussi les clans à protéger ce qu'ils considéraient comme leurs territoires… On sait aujourd'hui que ce site a été habité sur le long-terme et non comme une escale lors d'une migration. La preuve de destructions par le feu démontre qu'il y a eu des conflits.
Les découvertes à Amnya contribuent à changer la vision de l'histoire de l'humanité, qui est bien plus complexe qu'on ne le pensait. La maitrise de l'agriculture et de l'élevage n'est pas une étape obligée vers une structure sociale sophistiquée. Il faut souligner cependant que le cas d'Amnya ne remet pas en cause les parcours observés ailleurs : l'agriculture ne s'est jamais développée dans cette région sibérienne. Les chasseurs-cueilleurs d'Amnya nous montrent juste que les constructions monumentales, l'organisation d'une société complexe sont plus anciennes qu'on ne le pensait (comme on l'a vu avec la LSDJ 1994 sur le cimetière néolithique de Gurgy). C'est une nouvelle page de l'archéologie moderne qui s'ouvre pour mieux explorer les âges anciens.