Spiritualité
Fin de parcours pour le Patriarche Kirill ?
Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, de nombreux leaders religieux ont fermement condamné cette « opération militaire spéciale » menée par Moscou, à une exception près : le patriarche Kirill de l'Église orthodoxe russe. Allié de longue date de Vladimir Poutine, Kirill s'est publiquement aligné avec ses troupes, fustigeant l’Occident et les « forces du mal » rangées contre la Russie dans un conflit d’ordre non seulement militaire mais « métaphysique ».
De tels propos, ainsi que l'apparente surdité de Kirill aux appels à persuader Poutine de mettre fin à la guerre en Ukraine, ont ravivé les interrogations troublantes concernant les rapports du patriarche moscovite avec le pouvoir d’État. La question n'est pas nouvelle : il est largement connu que l’ensemble de sa carrière depuis l'ère communiste a été intimement liée au Kremlin. D'une certaine façon, cela ne devrait pas surprendre : jusqu'en 1991 le Patriarcat de Moscou – réorganisé par Staline en 1943 – fonctionnait sous la supervision directe de l'État, d'abord du Comité Central du Parti communiste, puis du Conseil des affaires religieuses de l’URSS.
Selon l’article « The Mikhailov Files » du chercheur Felix Corley, écrit en 2018 à partir de documents d'archives, Kirill était déjà un agent du KGB en 1972, à l'âge de 25 ans (nom de code « Mikhailov »). Par la suite, en tant que représentant du Patriarcat de Moscou auprès du Conseil œcuménique des Églises à Genève, Kirill était subordonné au KGB de Leningrad ; ses tâches consistaient notamment à encourager les personnalités ecclésiastiques d'Europe centrale et orientale à adopter des positions loyales envers l'État soviétique.
À la tête du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou à partir de 1989, la carrière de Kirill a pris un autre virage. Il s'est considérablement enrichi dans la période post-communiste grâce à diverses activités qui, selon Forbes, comprenaient notamment des importations et reventes lucratives d'alcool et de tabac (rendues possibles par le statut d'exonération fiscale de l'Eglise), dont un commerce de cigarettes très rentable avec l'Irak à l'époque de l'embargo commercial américain. En 2006, 3 ans avant sa nomination en tant que Patriarche, la fortune personnelle de Kirill était estimée à 4 milliards de dollars.
Au niveau institutionnel, on pourrait dire que la controverse actuelle autour de Kirill n'a fait qu'accentuer les tensions au sein de l'Orthodoxie qui étaient déjà vives au moment de la décision du patriarche Bartholomée de Constantinople d'accorder le « tomos » d'autocéphalie (indépendance) à l'Église orthodoxe d'Ukraine en 2019, mettant ainsi fin à 300 ans de juridiction ecclésiale russe. La condamnation immédiate par Bartholomée de l'invasion de l'Ukraine n'est donc qu'une confirmation de sa rupture avec Moscou. Toutefois, l'opposition à Kirill ne se limite pas à l'Église orthodoxe ukrainienne indépendante, mais provient également du Patriarcat de Moscou lui-même, le métropolite Onuphre de Kiev qualifiant également la guerre de « répétition du péché de Caïn » sans justification possible. Le 10 avril, l'archiprêtre Andrei Pinchuk a publié en ligne un texte signé par 190 personnalités ecclésiastiques demandant que le patriarche Kirill soit traduit devant un tribunal d’Eglise et déchu de son autorité patriarcale, citant comme précédent le cas du patriarche Nikon de Moscou en 1666. La lettre fait notamment appel à une évaluation très négative par 500 érudits orthodoxes de la doctrine du « monde russe » (selon laquelle les Ukrainiens et Biélorusses seraient des Russes même sans le savoir), la qualifiant de dérive théologique grave.
Pourtant, le patriarche Kirill estime clairement que le Ciel est de son côté. Le 13 mars, il a donné sa bénédiction à Viktor Zolotov, commandant-en-chef de la Garde Nationale Russe, lui offrant également une icône de la Vierge Marie qui, selon Zolotov, « accélérera notre victoire » contre les « nazis » en Ukraine. Pour beaucoup de fidèles, une telle invocation d’images religieuses pour sacraliser une cause militaire serait non seulement blasphématoire, mais aussi une arme à double tranchant. Car le dimanche précédent, comme l’a noté l’Orthodox Peace Fellowship, une autre icône célèbre de « Marie qui adoucit les cœurs mauvais », avait été apportée par des militaires à l'église principale des forces armées russes et d'elle avait mystérieusement émané un liquide rouge, semblable à du sang. Si pour certains l'interprétation de tels phénomènes - scientifiquement inexpliqués - comme des signes célestes relève de la superstition, le monde orthodoxe les prend très au sérieux. Etant donné que du sang serait déjà apparu sur l'icône en question lors de la catastrophe du sous-marin Koursk en 2000 ou le massacre des otages de Beslan en 2004, il est logique que les croyants aient perçu cette nouvelle effusion comme un cri de lamentation, présage d’une tragédie plutôt que bénédiction et approbation d'une guerre meurtrière. Le patriarche Kirill n'a pas commenté l'incident.
De tels propos, ainsi que l'apparente surdité de Kirill aux appels à persuader Poutine de mettre fin à la guerre en Ukraine, ont ravivé les interrogations troublantes concernant les rapports du patriarche moscovite avec le pouvoir d’État. La question n'est pas nouvelle : il est largement connu que l’ensemble de sa carrière depuis l'ère communiste a été intimement liée au Kremlin. D'une certaine façon, cela ne devrait pas surprendre : jusqu'en 1991 le Patriarcat de Moscou – réorganisé par Staline en 1943 – fonctionnait sous la supervision directe de l'État, d'abord du Comité Central du Parti communiste, puis du Conseil des affaires religieuses de l’URSS.
Selon l’article « The Mikhailov Files » du chercheur Felix Corley, écrit en 2018 à partir de documents d'archives, Kirill était déjà un agent du KGB en 1972, à l'âge de 25 ans (nom de code « Mikhailov »). Par la suite, en tant que représentant du Patriarcat de Moscou auprès du Conseil œcuménique des Églises à Genève, Kirill était subordonné au KGB de Leningrad ; ses tâches consistaient notamment à encourager les personnalités ecclésiastiques d'Europe centrale et orientale à adopter des positions loyales envers l'État soviétique.
À la tête du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou à partir de 1989, la carrière de Kirill a pris un autre virage. Il s'est considérablement enrichi dans la période post-communiste grâce à diverses activités qui, selon Forbes, comprenaient notamment des importations et reventes lucratives d'alcool et de tabac (rendues possibles par le statut d'exonération fiscale de l'Eglise), dont un commerce de cigarettes très rentable avec l'Irak à l'époque de l'embargo commercial américain. En 2006, 3 ans avant sa nomination en tant que Patriarche, la fortune personnelle de Kirill était estimée à 4 milliards de dollars.
Au niveau institutionnel, on pourrait dire que la controverse actuelle autour de Kirill n'a fait qu'accentuer les tensions au sein de l'Orthodoxie qui étaient déjà vives au moment de la décision du patriarche Bartholomée de Constantinople d'accorder le « tomos » d'autocéphalie (indépendance) à l'Église orthodoxe d'Ukraine en 2019, mettant ainsi fin à 300 ans de juridiction ecclésiale russe. La condamnation immédiate par Bartholomée de l'invasion de l'Ukraine n'est donc qu'une confirmation de sa rupture avec Moscou. Toutefois, l'opposition à Kirill ne se limite pas à l'Église orthodoxe ukrainienne indépendante, mais provient également du Patriarcat de Moscou lui-même, le métropolite Onuphre de Kiev qualifiant également la guerre de « répétition du péché de Caïn » sans justification possible. Le 10 avril, l'archiprêtre Andrei Pinchuk a publié en ligne un texte signé par 190 personnalités ecclésiastiques demandant que le patriarche Kirill soit traduit devant un tribunal d’Eglise et déchu de son autorité patriarcale, citant comme précédent le cas du patriarche Nikon de Moscou en 1666. La lettre fait notamment appel à une évaluation très négative par 500 érudits orthodoxes de la doctrine du « monde russe » (selon laquelle les Ukrainiens et Biélorusses seraient des Russes même sans le savoir), la qualifiant de dérive théologique grave.
Pourtant, le patriarche Kirill estime clairement que le Ciel est de son côté. Le 13 mars, il a donné sa bénédiction à Viktor Zolotov, commandant-en-chef de la Garde Nationale Russe, lui offrant également une icône de la Vierge Marie qui, selon Zolotov, « accélérera notre victoire » contre les « nazis » en Ukraine. Pour beaucoup de fidèles, une telle invocation d’images religieuses pour sacraliser une cause militaire serait non seulement blasphématoire, mais aussi une arme à double tranchant. Car le dimanche précédent, comme l’a noté l’Orthodox Peace Fellowship, une autre icône célèbre de « Marie qui adoucit les cœurs mauvais », avait été apportée par des militaires à l'église principale des forces armées russes et d'elle avait mystérieusement émané un liquide rouge, semblable à du sang. Si pour certains l'interprétation de tels phénomènes - scientifiquement inexpliqués - comme des signes célestes relève de la superstition, le monde orthodoxe les prend très au sérieux. Etant donné que du sang serait déjà apparu sur l'icône en question lors de la catastrophe du sous-marin Koursk en 2000 ou le massacre des otages de Beslan en 2004, il est logique que les croyants aient perçu cette nouvelle effusion comme un cri de lamentation, présage d’une tragédie plutôt que bénédiction et approbation d'une guerre meurtrière. Le patriarche Kirill n'a pas commenté l'incident.