Spiritualité
Et si nos morts avaient besoin de nous ?
Czyściec ? C'est du polonais et ça veut dire « purgatoire ». En français, le titre est plus sympa : Entre Ciel et Terre fait même un peu rêver, alors que purgatoire, avec sa terminaison grave et longue, effraie et refroidit, avant même d’y avoir touché.
Mais ne nous méprenons pas : malgré ce titre léger, le film de Michał Kondrat, en salle le 2 novembre, n’est pas divertissant. Ce documentaire ne ressemble en rien à celui du poète de la montagne Gaston Rébuffat (Entre terre et ciel, 1961), pas plus qu’à l’intrigue dépeinte par Oliver Stone entre un soldat US et une jeune vietnamienne (Heaven and Earth, 1983).
Pourtant, avec Czyściec, on gagne en altitude et on va au bout du monde, du nôtre, une fois franchie la porte de l’au-delà. Le synopsis pose la question qui tue mais que nul, sauf l’Église, n’ose sérieusement affronter : « Que se passe-t-il lorsque l’on quitte ce monde ? »
Certains sont sûrs que, tel Hibernatus, on entre dans un sommeil éternel. D’autres croient que l’être se dissout dans l’immensité du cosmos, où nul ne semble nous attendre. D’autres encore, si attachés à la terre, pensent y revenir, même en fourmi, et ça les rassure.
Entre Ciel et Terre ne se fatigue pas à comparer les religions et les croyances. En bon polonais, Michał Kondrat vit son catéchisme comme il vide son verre de vodka. Et s’il nous saoule un peu parce qu’il en fait trop, il nous touche par le récit qu’il arrive à construire sur un lieu dont l'existence n’est pas vérifiable par l’expérience.
Vraiment ? Pourtant, dit Kondrat, si nul « n'a réussi à percer ce secret, quelques personnes à travers les âges semblent en avoir découvert davantage – comme Sainte Faustine Kowalska, Saint Padre Pio ou encore Stanislas Papczyński ». Ce documentaire croise ainsi témoignages de mystiques et analyses de théologiens et de scientifiques. On sera surpris par la voix off inspirée des écrits d'une certaine Fulla Horak, mystique ukrainienne inconnue.
Au début, on se dit pourtant que c’est la science qui va parler tout du long. On se croirait même dans Novembre, tellement ça pulse quand Kondrat fait rimer purgatoire et bloc opératoire. Combien de gens meurent tous les jours ? s’interroge le cinéaste. Mais où diable vont-ils ? On s’oriente sur les fameuses EMI (expérience de mort imminente) déjà explorées par Pierre Barnérias dans Thanatos, l’ultime passage. Mais on en dévie rapidement pour glisser sur le terrain de la doctrine et, par maints endroits, marteler une certitude : nos morts sont encore en vie et on peut faire quelque chose pour eux. Pas les saints du paradis ni les âmes congelées de l’enfer. Pour ces deux catégories, il n'y a rien à entreprendre : la première n’a pas besoin de nos prières puisqu’elle inonde le monde des siennes. Quant à la seconde, elle rejette les prières que le monde pourrait lui adresser.
Entre les deux, dans la doxa catholique, il y a donc le purgatoire. Réussir à en parler pendant 1h36 serait une gageure s’il n’y avait pas le talent de certains personnages, comme Don Paul Denizot, recteur du sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon, le seul français interviewé. Kondrat se déplaça exprès dans le Perche pour recueillir son propos. Nul doute que le film lui doit beaucoup.
Alors qu’est-ce que le purgatoire puisque l’Église elle-même se mit à en parler tardivement ? Ce n’est pas une gare de triage mais une salle d’attente. Seules des images peuvent décrire ce qui est moins un lieu qu’un état. La seule consolation de s’y trouver est d’avoir la garantie d’en sortir. Attention, nous disent les experts en au-delà, le purgatoire n’est pas un enfer provisoire. La joie d’être un jour promu parmi les élus habite les âmes auxquelles le temps manqua pour arriver immaculées au banquet céleste. Dans cette lessive spirituelle, il faut sortir plus blanc que blanc. Et ça gratte un peu. Car on ne va pas jouir de la vie éternelle comme on libère un joueur d’une balle au prisonnier. C’est là que l’Église dérange, retrouve la beauté péremptoire que lui donne son rôle inquisitorial et sa dimension tragique, inévitable quand cette Antigone affirme détenir la Vérité.
Kondrat fait dire que la plus petite souffrance du purgatoire surpasse la plus grande souffrance terrestre. Bigre. Quand la paroissienne va entendre ça, elle va se précipiter sur les grains de son chapelet pour les faire pleuvoir sur ses proches défunts. Le film, c’est incontestable, donne envie d’aller prier pour eux. C’est l’effet recherché : nous dire qu’on peut ouvrir la cage où les âmes bouillent d’impatience, à l'heure où vous lisez ces lignes.
Les âmes des nôtres, les âmes des autres et, demain si tout va bien, la mienne et la vôtre.
Mais ne nous méprenons pas : malgré ce titre léger, le film de Michał Kondrat, en salle le 2 novembre, n’est pas divertissant. Ce documentaire ne ressemble en rien à celui du poète de la montagne Gaston Rébuffat (Entre terre et ciel, 1961), pas plus qu’à l’intrigue dépeinte par Oliver Stone entre un soldat US et une jeune vietnamienne (Heaven and Earth, 1983).
Pourtant, avec Czyściec, on gagne en altitude et on va au bout du monde, du nôtre, une fois franchie la porte de l’au-delà. Le synopsis pose la question qui tue mais que nul, sauf l’Église, n’ose sérieusement affronter : « Que se passe-t-il lorsque l’on quitte ce monde ? »
Certains sont sûrs que, tel Hibernatus, on entre dans un sommeil éternel. D’autres croient que l’être se dissout dans l’immensité du cosmos, où nul ne semble nous attendre. D’autres encore, si attachés à la terre, pensent y revenir, même en fourmi, et ça les rassure.
Entre Ciel et Terre ne se fatigue pas à comparer les religions et les croyances. En bon polonais, Michał Kondrat vit son catéchisme comme il vide son verre de vodka. Et s’il nous saoule un peu parce qu’il en fait trop, il nous touche par le récit qu’il arrive à construire sur un lieu dont l'existence n’est pas vérifiable par l’expérience.
Vraiment ? Pourtant, dit Kondrat, si nul « n'a réussi à percer ce secret, quelques personnes à travers les âges semblent en avoir découvert davantage – comme Sainte Faustine Kowalska, Saint Padre Pio ou encore Stanislas Papczyński ». Ce documentaire croise ainsi témoignages de mystiques et analyses de théologiens et de scientifiques. On sera surpris par la voix off inspirée des écrits d'une certaine Fulla Horak, mystique ukrainienne inconnue.
Au début, on se dit pourtant que c’est la science qui va parler tout du long. On se croirait même dans Novembre, tellement ça pulse quand Kondrat fait rimer purgatoire et bloc opératoire. Combien de gens meurent tous les jours ? s’interroge le cinéaste. Mais où diable vont-ils ? On s’oriente sur les fameuses EMI (expérience de mort imminente) déjà explorées par Pierre Barnérias dans Thanatos, l’ultime passage. Mais on en dévie rapidement pour glisser sur le terrain de la doctrine et, par maints endroits, marteler une certitude : nos morts sont encore en vie et on peut faire quelque chose pour eux. Pas les saints du paradis ni les âmes congelées de l’enfer. Pour ces deux catégories, il n'y a rien à entreprendre : la première n’a pas besoin de nos prières puisqu’elle inonde le monde des siennes. Quant à la seconde, elle rejette les prières que le monde pourrait lui adresser.
Entre les deux, dans la doxa catholique, il y a donc le purgatoire. Réussir à en parler pendant 1h36 serait une gageure s’il n’y avait pas le talent de certains personnages, comme Don Paul Denizot, recteur du sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon, le seul français interviewé. Kondrat se déplaça exprès dans le Perche pour recueillir son propos. Nul doute que le film lui doit beaucoup.
Alors qu’est-ce que le purgatoire puisque l’Église elle-même se mit à en parler tardivement ? Ce n’est pas une gare de triage mais une salle d’attente. Seules des images peuvent décrire ce qui est moins un lieu qu’un état. La seule consolation de s’y trouver est d’avoir la garantie d’en sortir. Attention, nous disent les experts en au-delà, le purgatoire n’est pas un enfer provisoire. La joie d’être un jour promu parmi les élus habite les âmes auxquelles le temps manqua pour arriver immaculées au banquet céleste. Dans cette lessive spirituelle, il faut sortir plus blanc que blanc. Et ça gratte un peu. Car on ne va pas jouir de la vie éternelle comme on libère un joueur d’une balle au prisonnier. C’est là que l’Église dérange, retrouve la beauté péremptoire que lui donne son rôle inquisitorial et sa dimension tragique, inévitable quand cette Antigone affirme détenir la Vérité.
Kondrat fait dire que la plus petite souffrance du purgatoire surpasse la plus grande souffrance terrestre. Bigre. Quand la paroissienne va entendre ça, elle va se précipiter sur les grains de son chapelet pour les faire pleuvoir sur ses proches défunts. Le film, c’est incontestable, donne envie d’aller prier pour eux. C’est l’effet recherché : nous dire qu’on peut ouvrir la cage où les âmes bouillent d’impatience, à l'heure où vous lisez ces lignes.
Les âmes des nôtres, les âmes des autres et, demain si tout va bien, la mienne et la vôtre.
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