Éducation
Emmanuel Macron veut « supprimer » l'ENA
Les Français sont bourrés de paradoxes : envieux et colériques, leur passion maladive pour l’égalité les pousse à brûler les châteaux, noyer les prêtres, taguer l’Arc de Triomphe ou saccager des banques. Mais au pays de Tartuffe et de Louis XIV, une autre de leur passion – l’élitisme monarchique – leur fait toujours adorer l’Ancien Régime. Il n’y a qu’en France où la grande école et le diplôme remplacent la rente foncière et l’anoblissement. L’esprit de cour est encore tellement présent : quelle jouissance de s’autoriser ce que l’on interdit aux autres, de goûter caviar et champagne sous les ors d’un palais parisien, quand les mêmes petits marquis punissent le peuple pour un verre de rosé sur une plage ! Le « en même temps » rend un bel hommage à l’art de l’hypocrisie. L’égalité, c’est toujours pour les autres. Les Français plébiscitent l’élite, votent pour elle tout en lui crachant dessus et en rêvant d’y appartenir.
Partant de là, comment interpréter la suppression de l’ENA annoncée hier par Emmanuel Macron ? Après la crise des Gilets jaunes, le chef de l’État s’était mis en tête de sacrifier des symboles de l’arrogance du pouvoir, en l’espèce l’École nationale d'administration et les grands corps (Conseil d'État, Cour des Comptes, Inspection des finances, Mines, Ponts etc.). La démarche peut surprendre. Les Gilets jaunes se battaient pour le pouvoir d’achat. S’ils s’en prenaient aux lieux de pouvoir, ils ne s’attaquaient pas au principe d’être gouvernés par des institutions puissantes, pour peu que celles-ci fussent au service d’un État souverain soucieux de leurs intérêts. La suppression de l'ENA relève d'une décision « politique et démagogique », estime la journaliste Alix Etournaud, auteur du documentaire ENA, pourquoi tant de haine ? diffusé ce soir sur Public Sénat. « On sait très bien, argue-t-elle, que les élections se profilent, que la campagne vaccinale a connu beaucoup de ratés et on a besoin de symboles forts pour dire "je vous ai compris, c'est la faute des élites" ».
D’ailleurs, Emmanuel Macron ne veut pas supprimer l’ENA, seulement la réformer. Un retour aux sources s’impose. « Quel enfant du peuple a jamais pu être ambassadeur ? », s’écriait Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale du Front populaire. Assassiné par la milice en 1944, l'avocat vit son idée reprise par Michel Debré qui la proposa au général de Gaulle. Après les errements de l’administration vichyste, la première promotion fut réservée aux résistants et aux déportés. Le concours d’accès unique à la fonction publique démocratisa le recrutement. Dans une France à reconstruire, l’ENA renouait avec la tradition colbertiste et bonapartiste. Cet « âge d’or » dura jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. Après lui, l’école acquit le statut de classe prépa des carrières politiques. La vocation administrative passa au second plan et l’énarchie s’imposa. Puis, avec la vague néolibérale et le projet européen, l’ENA se mua progressivement en business school. « L'ambition personnelle prit le pas sur la recherche du bien-être collectif », relève Alix Etournaud.
Emmanuel Macron veut renommer l’école « Institut du service public ». Plusieurs orientations notables se dessinent :
- « On ne verra plus de jeunes de 25 ans propulsés à des postes à haute responsabilité : les diplômés de l'ISP devront d'abord passer plusieurs années (…) sur le terrain », explique le chef de l'État ;
- l’ISP assurera le socle commun pour les élèves de treize écoles du service public, qu'ils soient préfets, ambassadeurs, recteurs ou directeurs des administrations et des grands corps ;
- l’ISP sélectionnera « des profils moins déterminés socialement ». Quelles seront les critères de ce recrutement diversitaire ? On ne le sait pas ;
- autre point : l'ISP sera aussi un centre de formation continue sur le modèle de l'École de guerre, afin de « prévoir un rendez-vous de carrière avant d'accéder à d'éminentes responsabilités », précise Emmanuel Macron. On ne sait pas s’il sera mis fin à la réintégration dans le corps d’origine qui permet à tant d’énarques de faire de la politique sans prendre les risques du privé.
Cette réforme suffira-t-elle à contrer la reproduction sociale ? Pas sûr. Et pour deux raisons :
1. Avant l’ENA, il y a l’école. C’est là que tout se décide, entre 5 et 15 ans. L’enseignement supérieur ne peut changer les choses qu’à la marge.
2. Tant que l’accès au premier cycle de l’université sera non sélectif, la pression sur les grandes écoles ne diminuera pas et l’élitisme – appelons-le « méritocratie républicaine » – perdurera.
Quant au « moule idéologique » dont Sciences-Po est déjà la caricature, il n’est pas l’apanage de l’ENA. Normal Sup, par exemple, est aussi touchée, notamment par la vague féministe. Alix Etournaud note que les étudiants d’aujourd’hui « n'ont rien à voir avec les jeunes des années 80 ou ceux des années 60 et sont beaucoup plus proches de leurs ancêtres de 1945, qui étaient bien plus désintéressés ». À voir.
Partant de là, comment interpréter la suppression de l’ENA annoncée hier par Emmanuel Macron ? Après la crise des Gilets jaunes, le chef de l’État s’était mis en tête de sacrifier des symboles de l’arrogance du pouvoir, en l’espèce l’École nationale d'administration et les grands corps (Conseil d'État, Cour des Comptes, Inspection des finances, Mines, Ponts etc.). La démarche peut surprendre. Les Gilets jaunes se battaient pour le pouvoir d’achat. S’ils s’en prenaient aux lieux de pouvoir, ils ne s’attaquaient pas au principe d’être gouvernés par des institutions puissantes, pour peu que celles-ci fussent au service d’un État souverain soucieux de leurs intérêts. La suppression de l'ENA relève d'une décision « politique et démagogique », estime la journaliste Alix Etournaud, auteur du documentaire ENA, pourquoi tant de haine ? diffusé ce soir sur Public Sénat. « On sait très bien, argue-t-elle, que les élections se profilent, que la campagne vaccinale a connu beaucoup de ratés et on a besoin de symboles forts pour dire "je vous ai compris, c'est la faute des élites" ».
D’ailleurs, Emmanuel Macron ne veut pas supprimer l’ENA, seulement la réformer. Un retour aux sources s’impose. « Quel enfant du peuple a jamais pu être ambassadeur ? », s’écriait Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale du Front populaire. Assassiné par la milice en 1944, l'avocat vit son idée reprise par Michel Debré qui la proposa au général de Gaulle. Après les errements de l’administration vichyste, la première promotion fut réservée aux résistants et aux déportés. Le concours d’accès unique à la fonction publique démocratisa le recrutement. Dans une France à reconstruire, l’ENA renouait avec la tradition colbertiste et bonapartiste. Cet « âge d’or » dura jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. Après lui, l’école acquit le statut de classe prépa des carrières politiques. La vocation administrative passa au second plan et l’énarchie s’imposa. Puis, avec la vague néolibérale et le projet européen, l’ENA se mua progressivement en business school. « L'ambition personnelle prit le pas sur la recherche du bien-être collectif », relève Alix Etournaud.
Emmanuel Macron veut renommer l’école « Institut du service public ». Plusieurs orientations notables se dessinent :
- « On ne verra plus de jeunes de 25 ans propulsés à des postes à haute responsabilité : les diplômés de l'ISP devront d'abord passer plusieurs années (…) sur le terrain », explique le chef de l'État ;
- l’ISP assurera le socle commun pour les élèves de treize écoles du service public, qu'ils soient préfets, ambassadeurs, recteurs ou directeurs des administrations et des grands corps ;
- l’ISP sélectionnera « des profils moins déterminés socialement ». Quelles seront les critères de ce recrutement diversitaire ? On ne le sait pas ;
- autre point : l'ISP sera aussi un centre de formation continue sur le modèle de l'École de guerre, afin de « prévoir un rendez-vous de carrière avant d'accéder à d'éminentes responsabilités », précise Emmanuel Macron. On ne sait pas s’il sera mis fin à la réintégration dans le corps d’origine qui permet à tant d’énarques de faire de la politique sans prendre les risques du privé.
Cette réforme suffira-t-elle à contrer la reproduction sociale ? Pas sûr. Et pour deux raisons :
1. Avant l’ENA, il y a l’école. C’est là que tout se décide, entre 5 et 15 ans. L’enseignement supérieur ne peut changer les choses qu’à la marge.
2. Tant que l’accès au premier cycle de l’université sera non sélectif, la pression sur les grandes écoles ne diminuera pas et l’élitisme – appelons-le « méritocratie républicaine » – perdurera.
Quant au « moule idéologique » dont Sciences-Po est déjà la caricature, il n’est pas l’apanage de l’ENA. Normal Sup, par exemple, est aussi touchée, notamment par la vague féministe. Alix Etournaud note que les étudiants d’aujourd’hui « n'ont rien à voir avec les jeunes des années 80 ou ceux des années 60 et sont beaucoup plus proches de leurs ancêtres de 1945, qui étaient bien plus désintéressés ». À voir.