Société

Dépénalisation des drogues : une « fausse bonne idée » selon Bruno Retailleau et Nicolas Prisse

Par Peter Bannister. Synthèse n°2407, Publiée le 25/02/2025 - Photo : Bruno Retailleau (à gauche) et Nicolas Prisse (à droite) lors d'une conférence de presse sur le narcotrafic, Place Beauvau à Paris, le 6 février 2025. Crédits : Thomas Samson / AFP
La récente proposition des députés Ludovic Mendes (EPR) et Antoine Léaument (LFI) de légaliser le cannabis et de dépénaliser d'autres drogues a suscité de fortes réactions, notamment de la part du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau. Nous examinons les deux côtés d'un débat souvent passionné face au problème croissant et apparemment irrésoluble de la consommation des drogues.

Devant l'incapacité manifeste d'arrêter le fléau de la consommation de stupéfiants en France, le débat concernant la dépénalisation, voire la légalisation de certaines drogues, revient de façon récurrente. Il s'est à nouveau invité sur le terrain législatif le lundi 17 février dernier, quand les députés Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (EPR) ont présenté un rapport sur le narcotrafic à l'Assemblée nationale et déclenché une vive polémique en recommandant de légaliser le cannabis et de « dépénaliser l'usage simple de stupéfiants », dont la cocaïne. La sénatrice Anne Souyris (écologiste) a également soumis au Sénat une proposition de loi analogue. La réaction du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a pourtant été très ferme : pour lui, consommateurs et trafiquants font partie d'un même « écosystème » à combattre.

L'argument principal de ceux qui proposent ce changement radical de stratégie, dont certaines associations comme Fédération Addiction, est que la politique du « tout répressif » a échoué. On cite les statistiques montrant que la France est en tête en Europe concernant l'usage du cannabis (en 2021, 44,8 % des Français de 15 à 64 ans l'auraient déjà expérimenté) et que la consommation de cocaïne est en forte progression (1,1 million de consommateurs en 2023). Tout en s'accordant sur la nécessité de lutter contre les trafiquants, les partisans de la dépénalisation disent qu'il faut regarder le problème comme une question de santé plutôt que sous un aspect sécuritaire. Selon cette logique, il faudrait orienter les toxicomanes vers un accompagnement médico-psychologique  à distinguer de l'injonction thérapeutique, au lieu de les menacer de poursuites pénales, ce qui enferme les consommateurs dans la marginalisation sociale.

Si on parle souvent de la légalisation du cannabis en Allemagne, au Canada et aux Etats-Unis (où 24 États permettent son usage récréatif), le modèle proposé par Anne Souyris est le Portugal, où la détention de drogues en petites quantités à usage personnel n'est plus un délit depuis le 1er juillet 2001. Il faudrait préciser qu'il ne s'agit pas d'une légalisation : la possession de stupéfiants reste interdite, mais constitue une infraction administrative plutôt que pénale. La loi portugaise votée en 2000, a été motivée par l'impuissance d'une politique répressive face à une véritable « épidémie » d'héroïne au Portugal et la réticence des toxicomanes à demander des traitements médicaux par peur de sanctions légales. Le changement de paradigme, conçu par le médecin João Goulão, consistait à les voir comme des malades plutôt que des délinquants. La dépénalisation étant pourtant accompagnée d'un fort investissement public dans des campagnes de prévention, de réinsertion sociale et de mesures contre les trafiquants.

La réussite initiale du programme portugais a été spectaculaire : en 2021, le nombre d'héroïnomanes était 30 000 par rapport à 100 000 en 2000 ; en 2018 les infections par le VIH liées aux injections avaient chuté de 90 %. Cependant, les chiffres plus récents sont moins encourageants. Selon Gregory Shea (Wharton Center for Leadership and Change Management), le nombre de surdoses a doublé à Lisbonne depuis 2019, où les eaux usées révèlent également des traces de cocaïne et de kétamine parmi les plus élevées en Europe, surtout les week-ends (sans doute à cause du soi-disant « Calvin Klein », très à la mode au niveau international, qui combine ces deux substances). Le financement des campagnes de prévention a baissé pour des raisons économiques, amenant João Goulão à dire en 2022 que le Portugal n'était « plus un exemple pour personne ». Il avait déjà averti en 2018 que l'accès aux traitements était la pierre d'angle de son programme et que « si vous ne faites rien d'autre que de décriminaliser toutes les drogues, les choses vont empirer ».

Si Anne Souyris suggère que les meilleurs aspects de l'approche portugaise pourraient être transposés au contexte français actuel, Bruno Retailleau prône une tout autre ligne. Il a lancé une « campagne de culpabilisation » afin de créer un « électrochoc » face aux effets nocifs de la drogue non seulement sur la santé, mais aussi dans l'ordre public (citant l'exemple d'incidents criminels graves à Marseille impliquant des mineurs). Pour lui, il n'est pas question de déresponsabiliser les consommateurs en les traitant uniquement comme des victimes. Avec le médecin Nicolas Prisse du MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), il a présenté un clip vidéo de 30 secondes, destiné à la télévision et aux réseaux sociaux, qui commence par une prise de drogue et se termine dans des flammes, avec le slogan : « chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue que vous achetez ». Qualifiant la légalisation du cannabis de « fausse bonne idée », Nicolas Prisse a d'ailleurs insisté sur les dangers des dépendances et les ravages pour les jeunes cerveaux dus aux drogues. Un rappel qui fera sans doute écho chez beaucoup de familles dévastées par les addictions, y compris celles liées à la consommation de cannabis. S'il est souvent souligné (à juste titre) qu'il est généralement moins nocif pour la santé que le tabac, le cannabis peut néanmoins générer chez certains des troubles psychiatriques que l'on aurait tort de banaliser, dont la psychose et la schizophrénie.

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Cannabis : vers la légalisation en France ?
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1 commentaire
Jean-Marie
Le 26/02/2025 à 14:27
Il y bien longtemps l’État Français a réglementé et même nationalisé le tabac est ce pour autant que les fumeurs ont cessé de fumer, à ma connaissance la consommation a augmenté, jusqu'à qu'il prenne des disposition anti-tabac. Mais le problème n'est toujours pas réglé et le tabagisme est toujours important, malgré le cancer, autres inconvénients dû au tabac. Donc éviter de légaliser les drogues.
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