Politique

Colère et désarroi des paysans : « On marche sur la tête ! »

Par Philippe Oswald. Synthèse n°2064, Publiée le 19/12/2023 - Photo : France, Les Brouzils, 2023-11-22. Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP

Excédés par la hausse des taxes, la prolifération des normes, la paperasserie dont ils sont accablés, les atteintes à notre souveraineté alimentaire, et découragés par le sentiment d'être incompris et abandonnés, des paysans français ont mis à l'envers quelque 10 000 panneaux d'entrée de commune. Cette campagne nationale organisée par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), premier syndicat agricole, et les Jeunes Agriculteurs (JA), est destinée à envoyer un message au gouvernement. « C'est une manière de dénoncer que l'on marche sur la tête en France. Plutôt que d'aider l'agriculture à se développer et assurer la souveraineté alimentaire du pays, les pouvoirs publics français nous imposent des contraintes européennes encore plus fortes qui nous affaiblissent  », dénonce Céline Imart, agricultrice et responsable de la FNSEA dans le Tarn (Le Figaro,16 novembre). Cette forme de protestation, spectaculaire mais ni destructrice, ni violente, semble largement approuvée par la population, y compris par les maires de village. D'autant que les agriculteurs ont promis de remettre rapidement les panneaux à l'endroit. Mais la coupe est pleine et risque de déborder dans un mouvement du type « Gilets jaunes ».

La mobilisation a gagné toutes les régions agricoles, du Nord au Sud, d'Ouest en Est, et des départements aussi contrastés que le Finistère, le Lot-et-Garonne, le Loiret, l'Hérault, la Haute-Loire, les Landes… La protestation s'accompagne ici et là de démonstrations plus « musclées » ou du moins paralysantes, tel le blocage de préfectures et autres bâtiments administratifs avec des tracteurs, des bœufs et des chevaux (La Roche-sur-Yon, Vendée), des palettes et des bottes de foin (Pau, Pyrénées-Atlantiques) ou des pneus enflammés (sous-préfecture de Castelsarrasin, Tarn-et-Garonne).

Comme pour le mouvement des « Gilets jaunes » déclenché par la limitation de vitesse à 80 km/heure sur certaines routes secondaires et la hausse des carburants, c'est la fin progressive à compter du 1er janvier de l'exonération fiscale sur le gazole non routier annoncée par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, qui a mis le feu aux poudres. Selon Valeurs Actuelles (11 décembre), cette mesure multiplierait par sept la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) d'ici à 2030 : elle passerait de 3,86 centimes par litre actuellement à 23,81 centimes. Bien qu'amortie par d'autres aides, elle entraînerait un surcoût moyen évalué à 2 000 euros pour une exploitation agricole de 100 hectares qui consomme 10 000 litres de gazole par an.

En moyenne, depuis la guerre en Ukraine, la facture énergétique des agriculteurs a triplé. A quoi va s'ajouter l'explosion annoncée de la redevance sur le prélèvement d'eau pour l'irrigation inscrite dans le projet de loi de finances 2024 (elle pourrait doubler ou tripler selon les régions) et donc aussi, dans ce même projet de loi de finances, la fin de l'exonération fiscale sur le gazole non routier. Le tout contrôlé avec zèle par une administration inquisitrice qui contraint les paysans à consacrer près du tiers de leur temps à remplir des paperasses ou à payer des comptables pour les remplir !

A ces maux bien français s'ajoutent des calamités européennes, « les incohérences du plan Écophyto d'alternatives aux pesticides, le futur règlement SUR (pesticides) de la Commission européenne, l'accord avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) qui favorise les importations, le financement de la transition énergétique dans l'éolien, la biomasse, le solaire… », résume Valeurs Actuelles. Comment accepter que soient mis sur le marché des produits importés qui ne répondent pas aux normes imposées à nos paysans ?

Toutes ces pesanteurs et ces incohérences se traduisent par un déclin de la France agricole inscrit dans les chiffres : - 5 % pour la production de lait au premier semestre 2023 , - 6 % pour les porcs , - 4 % pour les volailles (la France importe 70 % des poulets qu'elle consomme !). Et la filière bio est carrément en crise : - 12 % de la production et de la consommation pour le lait, - 30 % pour le porc. Si le président de la République veut recevoir un bon accueil au prochain Salon de l'agriculture, il va falloir qu'il se bouge, prévient-on à la FNSEA. Annoncée pour l'été 2023 puis pour septembre, puis pour décembre, la future loi d'orientation agricole a été décalée en 2024... « Pour les agriculteurs français, la situation est intenable et inacceptable : plus ils en font, plus on leur demande ! Tout se passe comme si les autorités et la société ignoraient la réalité d'une profession pleinement engagée dans la transition écologique, qui doit continuer à produire pour nous nourrir, tout en sécurisant son revenu », dénonce dans un entretien à Atlantico (en lien ci-dessous) Sylvie Brunel, docteur en économie, agrégée de géographie, maître en droit public, spécialiste des questions alimentaires et de développement durable. (Son dernier livre : Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre ! Buchet-Chastel, 2023, a reçu le grand prix du livre éco 2023).

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Explosion en vue ? La révolte gronde chez les agriculteurs français dans l’indifférence du reste du pays
Lire l'interview sur : Atlantico
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2 commentaires
Le 20/12/2023 à 10:04
Ayant la chance de vivre à proximité d'une importante exploitation agricole qui ouvre ses champs à la cueillette, il y a beau temps que je consomme pendant une longue période de l'année, presque uniquement, les produits de cette cueillette. L'hiver venu je reprends le chemin des commerces classiques pour acheter LOCAL et SAISONNIER. Ce qui peut se pratiquer toute l'année d'ailleurs. Le plaisir de cueillir, ramasser, sortir de terre les fruits et légumes choisis ne se mesure pas. Alors l'ail d'Argentine et les haricots verts du Kenya, non merci.
Le 20/12/2023 à 09:19
Cette colère des agriculteurs se comprend d'autant mieux lorsqu'on se souvient d' où vient Bruno Lemaire notre ministre de l'économie et des finances : ANCIEN PRSESIDENT DE LA FNSEA donc ancien agriculteur lui-même sous le "règne" de Chirac, un comble.
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