Depuis quelques semaines, la Roumanie vit un drame politique majeur. Lors du premier tour du scrutin présidentiel le 24 novembre, c'est le très controversé Călin Georgescu — ultranationaliste, prorusse et hostile aux États-Unis — qui est arrivé en tête malgré un niveau de soutien estimé à moins de 1 % début novembre. Sa victoire suscite beaucoup d'interrogations, notamment à l'égard de la campagne atypique de Georgescu, absent des médias officiels, mais véritable star sur TikTok (utilisé par 9 millions de Roumains dans ce pays de 19 millions d'habitants). La Cour Constitutionnelle a d'abord validé les résultats du premier tour, mais a ensuite annulé les élections après que le président en exercice, Klaus Iohannis, déclassifie des documents du Renseignement roumain. Depuis, le pays est divisé : Georgescu, qui jouit d'une réelle popularité, a protesté contre un « coup d'état » de la Cour contre la démocratie, tout comme sa rivale du deuxième tour, qualifiée de justesse, Elena Lasconi (centre droit, pro-EU et pro-OTAN). Iohannis a pourtant déclaré que son action visait à combattre une menace contre la sécurité nationale : une thèse que les dernières nouvelles semblent confirmer.

Călin Georgescu présente un profil insolite, paradoxal. Ingénieur agronome, il a travaillé auprès de l'ONU comme rapporteur pour le développement durable, mais il s'est aussi distingué par des déclarations complotistes, avec un brin de mysticisme (orthodoxe). Selon Georgescu, l'homme n'a jamais atteint la lune, le Pepsi contiendrait de la nanotechnologie, le covid-19 n'a pas existé et l'accouchement par césarienne briserait le « fil divin ». En politique, il a fait l'éloge de Corneliu Zelea Codreanu — chef de la Garde de fer fasciste des années 1930 — et Ion Antonescu, connu pour ses actions antisémites pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces propos extrêmes ont conduit à son exclusion du parti de droite dure AUR en 2022.

Les services de renseignement roumains ont conclu que le succès électoral de Georgescu était anormal puisqu'il a été massivement promu par le « roi du TikTok » roumain, Bogdan Peşchir. Ce dernier a investi 381 000 € pour créer un essor fulgurant de la côte du candidat par l'utilisation des algorithmes de la plateforme et d'influenceurs payés, dont certains ont ensuite quitté le pays. Interrogé par la justice, Peschir a défendu ses actions en se comparant à Elon Musk dans son soutien à Donald Trump. Plusieurs journalistes indépendants ont pourtant également dévoilé tout un réseau de sites et de chaines sur Telegram (Portal Kombat, Groupe N3, Насправдi, Tsargrad TV…) qui ont appuyé Georgescu et qui ont des liens directs avec la Russie. Un groupe de spécialistes bulgares en cybersécurité, BG Elves, vient d'affirmer que 69 millions d'euros ont été dépensés par les Russes pour répandre de fausses informations en Bulgarie et en Roumanie. Les services de renseignement roumains ont également observé 85 000 cyberattaques contre les infrastructures liées au processus électoral, probablement coordonnées par un état étranger.

Cependant, même si ces éléments indiquent une manipulation de la campagne électorale, la réussite de Georgescu auprès des électeurs a été bien réelle. Il a su faire appel aux sentiments nationalistes en exploitant les frustrations économiques et la colère envers les réfugiés ukrainiens ou encore le ressentiment lié au traitement des travailleurs roumains dans l'UE. Comptant quelque 7 millions de personnes, la diaspora roumaine joue un rôle électoral important et a largement soutenu Georgescu.  

L'aspect le plus troublant de ce personnage singulier est son association — qui pourrait lui être fatale — avec des paramilitaires extrémistes et ses mensonges évidents à ce sujet. Au centre des accusations se trouvent ses liens avec Horaţiu Potra. Potra est un ancien de la Légion étrangère qui a commandé un groupe de 900 mercenaires roumains en République Démocratique du Congo. Le 8 décembre, il a été arrêté avec des armes blanches, un drone professionnel et 20 000 € dans sa voiture en se rendant à Bucarest pour rejoindre une vingtaine d'hommes et mener des opérations de déstabilisation. Georgescu a d'abord nié toute association avec Potra, mais des vidéos et témoignages ont prouvé qu'ils se sont rencontrés le 7 décembre (donc un jour après l'annulation des élections) en compagnie d'Eugen Sechila, garde du corps de Georgescu et organisateur de camps paramilitaires. Selon les enquêteurs, Georgescu aurait ensuite contacté un dirigeant de l'organisation radicale Fraction Orthodoxe, disant qu'il voulait que ses partisans passent à « l'action concrète » dès le lendemain en obéissant au slogan « la vie ou le pays ». Sechila, qui aurait pris contact avec Potra au Congo par l'intermédiaire du groupe criminel Ciurarii, a été arrêté le 12 décembre près de l'aéroport, en route pour le Tchad. Il est accusé de vouloir diffuser des symboles liés à la Garde de fer, interdits par la loi roumaine.

Quel sera l'avenir politique de Călin Georgescu suite à ces dernières révélations ? Pour l'instant, aucune date n'a été fixée pour de nouvelles élections présidentielles, mais sa participation future semble de plus en plus incertaine.