Société

Les diplômes perdent leur valeur sur le marché du travail

Par Matthieu Delaunay. Synthèse n°2362, Publiée le 02/01/2025 - Photo : Shutterstock
Poursuivre ses études n'est pas toujours un bon pari financier. Dans les pays anglo-saxons, les étudiants s'endettent pour un master qui, surtout dans les filières de sciences humaines et sociales, ne garantira ni emploi stable ni revenus supérieurs à ceux d'une licence. En France aussi, malgré des coûts plus modérés, l'inflation des diplômes pose des problèmes d'intégration sur le marché du travail.

Face à l'insécurité sur le marché du travail, de nombreux étudiants espèrent se démarquer en augmentant leur niveau d'études. Dans un contexte de concurrence accrue, l'exigence croissante des employeurs a conduit à une inflation des diplômes : aux États-Unis, pas moins de 40 % des étudiants titulaires d'une licence continuent leurs études dans le second cycle. Au Royaume-Uni, le nombre d'étudiants poursuivant leurs études jusqu'au master (diplôme de niveau bac+5) a augmenté de 60 % sur la dernière décennie.

L'inflation des diplômes accompagne la massification scolaire et l'allongement de la durée des études depuis la fin du 19 ᵉ siècle. Mais l'inflation des diplômes ne s'est pas traduite par une hausse équivalente des débouchés professionnels, ce qui entraîne une concurrence accrue entre diplômés. Ce surplus de qualifications reflète également la professionnalisation croissante des métiers, qui exigent de plus en plus de certifications formelles et très spécifiques. Dès 1982, le sociologue Jean-Claude Passeron parlait d'un « effet de dévaluation » des diplômes pour qualifier leur perte de valeur liée à l'augmentation du nombre d'étudiants scolarisés.

Mais au-delà de l'exigence des employeurs, ce phénomène a été entretenu par les universités elles-mêmes, qui voient dans l'inflation des diplômes un marché lucratif. Ce phénomène tend à s'accentuer alors que la population occidentale en âge d'étudier s'apprête à diminuer, réduisant la masse de potentiels « clients » dans les prochaines années. Les universités occidentales misent sur l'inflation de l'offre de formations et sur l'arrivée d'étudiants étrangers pour compenser leur futur manque à gagner. Au Royaume-Uni, par exemple, l'explosion du nombre d'étudiants en master est gonflée par l'arrivée d'étudiants nigérians et indiens.

Parallèlement, les frais de scolarité ont beaucoup augmenté : croissance de 70 % pour une année de master de 2011 à 2021 au Royaume-Uni, et de 68 % pour un cursus en école de commerce en France sur la même période. Cela est d'autant plus alarmant aux États-Unis, où, à cause de l'endettement, 40 % des étudiants inscrits à des programmes de master ne verront aucune augmentation de revenus significative consécutive à leur diplôme de master… ou subiront même des pertes financières.

Aux États-Unis, l'endettement toujours plus élevé des étudiants en master stimule l'augmentation des frais des universités. Un étudiant américain accumule en moyenne 50 000 dollars de dette pour son diplôme de second cycle, contre 34 000 dollars il y a vingt ans. Ce phénomène est lié au système de prêts fédéraux qui permet aux étudiants d'emprunter des montants très élevés pour financer leurs études, incitant les universités à augmenter leurs tarifs.

Le pari des étudiants, qui est de poursuivre leurs études afin de sécuriser un emploi et de gagner plus, n'est pas toujours un pari gagnant, surtout dans les domaines qui ne sont ni techniques ni scientifiques. À première vue, leur pari est pourtant rationnel : aux États-Unis, les diplômés de master gagnent en moyenne 18 % de plus que les diplômés de licence. Cependant, sans surprise, le choix de discipline est le premier critère qui détermine le rendement financier d'un diplôme. Les diplômés de masters d'informatique ou de sciences de l'ingénieur bénéficient de hausses de salaire significatives, tandis que ceux issus des sciences humaines et sociales peinent à obtenir un retour sur investissement. Au Royaume-Uni, une étude a même révélé qu'à 35 ans, les titulaires d'un master perçoivent des revenus comparables à ceux des diplômés d'une licence.

Les masters en sciences humaines et sociales sont les grands perdants sur le plan économique. Aux États-Unis, un étudiant en histoire ou en littérature pourrait constater des pertes allant jusqu'à 30 % par rapport à un diplômé qui s'arrête au niveau licence. De même, au Royaume-Uni, les diplômés de masters en sciences politiques gagnent en moyenne 10 % de moins que leurs pairs n'ayant pas poursuivi après la licence. Cela s'explique par la spécialisation accrue des diplômés de master, qui les incite à s'orienter vers des métiers en lien direct avec leur discipline, souvent moins rémunérateurs.

En France, malgré des coûts plus modérés, les jeunes diplômés se heurtent souvent à la réalité du marché du travail. Mis à part les écoles privées, les frais de scolarité en France sont bien inférieurs à ceux des États-Unis ou du Royaume-Uni et l'endettement étudiant est moindre. Cela n'empêche pas les jeunes diplômés de rencontrer des difficultés sur le marché du travail. Selon une étude de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres), en 2015, près de 40 % des bac+5 étaient sans emploi un an après leur diplôme, et près de la moitié des jeunes actifs en France occupent un emploi sans lien direct avec leur formation. Enfin, une étude de l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a montré que les diplômés en sciences humaines et sociales se heurtent souvent à une insertion plus lente et précaire en raison d'une saturation des secteurs moins spécialisés, à l'inverse de certains diplômes professionnels (le Certificat d'aptitude professionnelle CAP, l'ancien Brevet d'études professionnelles BEP) ou techniques (le Brevet de technicien supérieur BTS, l'ancien Diplôme universitaire de technologie DUT, devenu BUT), surtout dans des domaines à forte demande comme la mécanique, l'électricité ou l'électronique.

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1 commentaire
Sergyl
Le 02/01/2025 à 11:55
Article trés interessant! BRAVO!
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