Le 6 janvier, Justin Trudeau a annoncé, dans un froid glacial à Ottawa, son « intention de démissionner de son poste de chef du Parti libéral du Canada (PLC) et de Premier ministre, une fois que le parti aura choisi son prochain chef ». La fin de règne d'une figure politique se termine souvent par une disgrâce et Justin Trudeau n'a pas échappé à la tradition, après neuf années de mandat. Fin 2024, en moins d'un mois, son sort était scellé après la démission le 16 décembre de sa ministre des Finances, Chrystia Freeland, figure clé du parti Libéral. La chute de Justin Trudeau met fin à un troisième mandat bien morose. Sa gestion de la crise du coronavirus en 2020, la croissance de l'immigration et la flambée des prix de l'immobilier depuis 2022 ont soulevé le mécontentement d'une grande part de l'électorat canadien. En 2024, 2.5 millions de résidents temporaires sont arrivés au Canada, contre 1.5 million en 2022. Accablé de critiques jusque dans son propre camp, menacé de représailles commerciales par Donald Trump, Justin Trudeau a établi des restrictions sans précédent à l'immigration et a renforcé les contrôles à la frontière avec les États-Unis pour réduire les flux migratoires. 

Donald Trump s'était félicité de la démission de la ministre des Finances sur son réseau social Truth, en ridiculisant Justin Trudeau par la même occasion : « Le grand État du Canada est sous le choc alors que la ministre des Finances démissionne, ou est virée de son poste par le gouverneur Justin Trudeau. » Plus loin dans le post, Donald Trump a de nouveau comparé le Canada au 51^e État américain. Ces derniers mois, Trump a menacé d'imposer 25 % de tarifs sur les produits importés depuis le Canada, dont 80 % des exportations sont destinées au territoire américain. Le dîner entre Trump et Trudeau à la résidence du président, Mar-a-Lago, le 29 novembre, n'a pas amélioré les relations entre les deux hommes. 

Justin Trudeau doit faire face depuis deux ans à un leader conservateur très populaire, souvent qualifié de Trump canadien. Pierre Poilievre, élu à la tête du Parti conservateur canadien en décembre 2022, devance son opposant libéral de plus de 20 points dans les sondages : 44.2 % contre 20.1 % pour Trudeau. Réagissant au discours du Premier ministre le 6 janvier, Pierre Poilievre a réclamé des élections législatives immédiates. Son arrivée à la tête du Parti conservateur du Canada a mis fin à plus d'une décennie de léthargie de son parti, incapable de récupérer des sièges au parlement aux dernières législatives de 2021, alors même que Trudeau y a perdu sa majorité et a dû former une coalition pour rester au pouvoir. 

Originaire de la province de l'Alberta, Pierre Poilievre est issu d'un milieu modeste de Calgary. Placé dans un orphelinat par ses parents biologiques, il est adopté et élevé par un couple d'enseignants, Marlene et Donald Poilievre. Sa mère l'emmenait dans des manifestations contre l'avortement lorsqu'il était enfant. Pendant ses années à l'université, Pierre Poilievre a présidé le Conservative Club puis a occupé comme premier emploi le poste d'assistant parlementaire. En 2004, il est élu député pour la première fois, en remportant sa circonscription face à un ancien ministre libéral, à la surprise générale. Il s'est distingué par son soutien indéfectible au mouvement des camionneurs, le Freedom Convoy, en janvier 2022, qui a bloqué la capitale Ottawa pendant plusieurs semaines, pour protester contre l'obligation vaccinale des camionneurs. Antiwoke et anti-immigration, Pierre Poilievre ne cache pas son admiration pour Donald Trump, dont il s'inspire et de la dialectique et des idées : baisse des taxes et des dépenses publiques, réduction de la criminalité et de l'immigration de masse... Poilievre est aussi favorable à l'exploitation des énergies fossiles, qui font la richesse du Canada. Il soutient la dernière phase du projet de pipeline pétrolier entre l'Alberta et le Nebraska : Keystone XL, à laquelle sont opposés Justin Trudeau et son allié Mark Carney, le principal prétendant libéral au poste de Premier ministre. Keystone XL permettrait d'envoyer 830 000 barils de pétrole brut par jour aux États-Unis. Annulée par Joe Biden dès janvier 2021, la dernière phase du projet est soutenue par Donald Trump, qui souhaite sa reprise dès cette année. 

Dans une interview avec son allié Jordan Peterson, Pierre Poilievre s'est aussi engagé à « investir pour une défense militaire et continentale plus robuste s'il y avait davantage d'échanges économiques avec la plus grande économie que le monde n'ait jamais connu ». Il s'agit là encore d'une promesse envers Trump, qui menace depuis 2016 de retirer les États-Unis de l'OTAN, si ses États membres ne consacrent pas 2 % de leur PIB à la défense, comme le prévoient les accords. Pour l'heure, le budget de la défense canadien ne représente que 1.29 % de son PIB pour l'année 2024-2025, un taux inférieur de moitié à celui du Royaume-Uni, 2.3 %, et de la France, qui devrait atteindre les 2 % du PIB en 2025. Si Pierre Poilievre est élu Premier ministre, il devra convaincre le président Trump que son pays est davantage qu'un 51e État américain, en sachant démontrer les intérêts économiques mutuels entre les deux pays.