Écologie

Bertrand Piccard ou l'art de l'échec réussi

Par Judikael Hirel. Synthèse n°2207, Publiée le 30/05/2024 - Photo : Le pilote suisse et président de la compagnie d'avions solaires Solar Impulse, Bertrand Piccard, pose lors d'une séance photo à Paris, le 29 août 2023. (ALAIN JOCARD / AFP)
Un quart de siècle après son tour du monde sans escale, le pionnier du vol en ballon revient sur les coulisses du succès qui a changé sa vie.

Nous sommes le 21 mars 1999. À bord de leur ballon Breitling Explorer, Bertrand Piccard et Brian Jones achèvent un périple historique, en posant leur ballon dans le désert égyptien. Ils ont parcouru 45 633 kilomètres en 19 jours, 21 heures et 47 minutes. Un record qui demeure encore aujourd'hui le plus long vol jamais effectué, tant en distance qu'en durée. Mais combien de fois faut-il échouer avant de réussir ? Un quart de siècle plus tard, et à la veille de se lancer dans une nouvelle aventure autour du monde, Bertrand Piccard, de passage par Paris, revient sur ce qu'il a appris de ses aventures. « En 1992, au tout début, j'étais médecin assistant dans un hôpital, j'avais de grands rêves d'exploration. Un pilote de ballon belge m'a proposé de partir avec lui pour faire la première course transatlantique en ballon. J'ai alors appelé Teddy Schneider, le patron des montres Breitling, en demandant s'il pouvait m'aider en finançant l'équivalent de deux mois de mon salaire de médecin. Il a accepté. J'ai participé à la course, mis des logos Breitling partout et mon ballon a gagné la course. Il m'a appelé pour me remercier, et m'a demandé si j'avais une autre idée. Je lui ai dit « cela tombe bien, je voudrais faire le tour du monde. » Mais pourquoi a-t-il imaginé que cela serait réalisable ?« J'avais l'impression très forte que si je n'essayais pas, je ne réussirais jamais ! Mais j'ai toujours dit que je ne savais pas si l'on réussirait. Nous avons essayé ensemble quelque chose que personne n'avait jamais fait, écrit une page d'histoire. Au pire, nous aurions au moins essayé. »

« Pourtant, j'ai raté la première fois assez misérablement, se souvient-il. Quand on annonce un vol de trois semaines et que l'on fait six heures, ce n'est pas très glorieux… La deuxième tentative s'est soldée par un vol de neuf jours. C'était mieux, mais toujours pas cela. Pendant ce temps, les grands milliardaires américains et anglais rataient, que ce soit Richard Branson ou Steve Fosset. Cela me déculpabilisait un petit peu… »

Mais la troisième tentative aura été la bonne. « Cela aura été l'apprentissage de la patience, de la persévérance. À chaque échec, les concurrents principaux refaisaient les mêmes erreurs, repartaient sur les mêmes fausses stratégies et technologies, et rataient pour les mêmes raisons. Moi, j'ai systématiquement changé : le type de carburant, la forme du ballon, la stratégie de vol, les parcours, l'équipage… En fait, c'est comme cela que l'on réussit : en ne ratant jamais deux fois pour la même raison. » Avec un peu de chance, aussi ? « La chance, c'est quand les préparatifs rencontrent les circonstances ! Les météorologues nous avaient dit que l'on mettrait 16 jours. Nous sommes partis, mais au bout de 16 jours, nous étions rendus au Mexique, avec un huitième des réserves de gaz pour faire un quart du tour du monde. Théoriquement, c'était impossible. Nous avons continué. Et là, nous avons trouvé un jet stream de 230 km/h qui nous a fait traverser l'Atlantique et nous a amenés en Égypte. »

« C'est comme si c'était hier, confie-t-il. Avec des émotions incroyables quand vous êtes poussé par le vent pendant 20 jours sans moteur ni gouvernail, avec des météorologues et des contrôleurs aériens qui vous guident. Ils vous disent qu'il faut monter ou descendre un peu pour changer de trajectoire, l'atmosphère étant faite de couches différentes à différentes vitesses. Pour changer d'altitude, on lâche du lest. Symboliquement dans notre monde on devrait apprendre à faire la même chose. On est poussé par le vent : la politique, l'économie, la finance, la pandémie, les guerres, les crises , les amours, les succès, les ruptures, les échecs… Tout cela, ce sont un peu les vents de la vie. Si on apprend à changer d'altitude en lâchant le lest de nos certitudes, cela permet d'être les acteurs de notre futur plutôt que les victimes de notre passé. »

« Ce succès historique a complétement changé ma vie, confie Bertrand Piccard. Breitling, Brian Jones et moi avons lancé la fondation Winds of Hope, qui s'est battue contre des maladies oubliées qui touchent des enfants dans les pays les plus pauvres. Puis, très vite, nous avons lancé Solar Impulse. C'est clair que quand on a le projet de faire le tour du monde en avion solaire, sans carburant, on n'est pas vraiment pris au sérieux si l'on n'a pas déjà réussi quelque chose avant. Le succès de Solar Impulse nous a, à son tour, permis d'aller plus loin, de créer une fondation, qui cherche des solutions pour protéger l'environnement de manière économiquement viable, réconcilier écologie et économie. » Cette fois, c'est un avion à hydrogène, Climate Impulse, qui doit faire le tour du monde sans escale en 2028 avec deux personnes à bord. « C'est formidable d'avoir fait il y a 25 ans ce tour du monde en ballon sans escale, et de continuer maintenant avec ce vol décarboné. Aujourd'hui, nous devons relever le défi de la décarbonation de notre monde. Face au pessimisme, au défaitisme, aux gens qui pensent qu'il n'y a pas de futur, de solution, il faut au contraire remettre de l'espoir, du courage, de l'action. Montrer que l'on peut faire beaucoup plus que ce que l'on croit. »

La sélection
Faire le tour du monde en avion à hydrogène « Le but, c'est de frapper les esprits », explique Bertrand Piccard
Lire l'article sur le site d'Europe 1
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