Politique

Bayrou, précurseur du macronisme, à Matignon malgré Macron

Par Philippe Oswald. Synthèse n°2353, Publiée le 23/12/2024 - Le Premier ministre François Bayrou lors de son interview par France 2, le 19 Décembre. Photo : Valentine Chapuis / AFP.
Il n'était plus le favori d'Emmanuel Macron pour devenir Premier ministre. Mais François Bayrou a renversé la table au cours d'un échange musclé à l'Élysée, le 13 décembre. Après ce coup d'éclat, les premières interventions du nouvel hôte de Matignon ont été ponctuées de couacs retentissants. Ils ont avivé l'anxiété des Français en attente d'un improbable gouvernement.

François Bayrou (73 ans), macroniste de la première heure et soutien décisif d'Emmanuel Macron par son ralliement en 2017, aurait forcé la main du président de la République pour succéder à Michel Barnier à Matignon. Le scénario parait plausible. Il s'est en tout cas installé dans le récit médiatique, conforté par ces fuites qui se multiplient dans le cercle d'un pouvoir aux abois. Mais quelle que soit l'exactitude des descriptions colportées, il semble acquis qu'une scène s'est jouée à l'Élysée le vendredi 13 décembre.

Le matin, la nuit portant conseil, Emmanuel Macron avait fait son choix : le successeur de Michel Barnier serait le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, un ancien LR rallié au macronisme. Restait une formalité : faire passer la pilule à François Bayrou, jusqu'alors favori, lors de leur rendez-vous matinal à l'Élysée. Mais celui-ci, flairant que le chef de l'État avait changé d'avis, s'y est rendu remonté à bloc contre ce camouflet. S'ensuivit une explication orageuse.

En fin de journée, le Béarnais, président du MoDem, maire de Pau et Haut-commissaire au Plan, trois fois candidat à l'Élysée (2002, 2007, 2012), était nommé à Matignon. Ou plutôt, à en croire le « narratif » dominant, il s'était nommé lui-même au prix d'un chantage musclé et imparable : sans les 36 députés du MoDem, le maigre socle présidentiel s'effondrerait. Une menace à prendre au sérieux : « François Bayrou a toujours trahi ceux qu'il a choisis. Emmanuel Macron en fera, à son tour, avant la fin de son quinquennat, l'amère expérience », avait prédit Nicolas Sarkozy dans son livre, Le Temps des tempêtes paru en 2020. L'ancien président de la République ne pardonnait pas au fondateur du MoDem, qui n'avait obtenu que 9 % des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle de 2012, d'avoir appelé à voter au second tour pour le candidat socialiste François Hollande, rappelle Le Monde (13/12/2024).

Bien avant le fameux « en même temps » d'Emmanuel Macron, le centriste François Bayrou est « un adepte du dépassement politique », autrement dit de gouvernements de coalition alliant « la "droite républicaine" et la "gauche réaliste" » pour « faire émerger "le bloc central de la société française" en "faisant éclater la gauche" » soulignait, au soir de cette nomination, la chaine parlementaire LCP, en reprenant les formules du candidat à l'élection présidentielle de 2002. Vingt-deux ans plus tard, le nouvel hôte de Matignon entend bien mettre sa théorie en pratique : « L'idée géniale de Bayrou serait (...) de constituer un gouvernement avec trois tiers : un tiers de ministres issus de la gauche, un tiers du centre, un tiers de la droite. C'est la recette du Picon-citron-curaçao de César dans Marius avec des tiers inégaux, comme chacun sait. On sait aussi qu'à la fin, il faut ajouter un quatrième tiers : l'eau pour diluer tout ça », commente drôlement Georges Michel, éditorialiste à Boulevard Voltaire (19/12/2024). Alors que la bipolarisation gauche/droite revient en force, en France comme dans la plupart des démocraties occidentales, le pari de maintenir et même de renforcer un « bloc central » parait hors de saison. C'est pourtant la recette pour la composition d'un introuvable gouvernement qu'ont secouée au « shaker » Emmanuel Macron et François Bayrou, au cours de plusieurs tête-à-tête avant le départ du chef de l'État pour Mayotte.

Le nouveau Premier ministre « hérite d'une situation complexe qui va mettre ses convictions politiques à l'épreuve de la réalité », avait averti LCP. La réalité n'aura pas tardé à se rappeler au bon souvenir du nouvel hôte de Matignon, à commencer par ses propres limites. « À peine 72 heures à Matignon et déjà des couacs. […] Un départ en pleine conférence de presse sur Mayotte, dévasté par un cyclone, ce dimanche sous l'œil interloqué de Bruno Retailleau, un aller-retour dans sa ville de Pau en jet pour assister au conseil municipal, un plaidoyer pour le retour du cumul des mandats qu'il a pourfendu pendant des années... » résume BFMTV (17/12/2024). Le tout aggravé par une gaffe en guise d'excuse pour sa décision de se rendre au conseil municipal de Pau, plutôt que d'aller à Mayotte, département français dévasté par le cyclone Chido : «Il n'est pas d'usage que le Premier ministre et le président de la République quittent en même temps le territoire national»… Une « incroyable maladresse » épinglée par la presse internationale (Courrier International, 18/12/2024) que certains n'ont pas hésité à attribuer à l'âge en évoquant le cas du président américain Joe Biden… On se bornera ici à constater que, passé le coup d'éclat de sa nomination, les premiers jours du Premier ministre n'ont pas laissé entrevoir ce « pouvoir primo-ministériel fort » qu'appelait de ses vœux l'ancien député MoDem Jean-Louis Bourlanges, un proche de longue date de François Bayrou (Le Figaro, 11/12/2024). 64 % des Français interrogés se disent mécontents de la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre, dans un sondage Ifop-Fiducial réalisé pour Sud Radio les 17 et 18 décembre 2024. On verra si la composition du gouvernement (annoncée pour avant Noël, ce qui semble une gageure) infléchira ce sentiment dominant.




 

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François Bayrou nommé Premier ministre : la consécration d'un adepte du dépassement politique
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1 commentaire
Jean-Marie
Le 23/12/2024 à 11:14
Je ne ferai pas un grand commentaire, juste que M. Bayrou va se faire virer comme le précédent, pourquoi parceque le PS ne participera pas au gouvernement car sa" ligne rouge" est les retraites, que Macron ne veut pas remettre en question. Ensuite les LR ne veulent pas du PS. Donc attention censure !!
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