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L'assassinat du chef du Hezbollah fait ressortir les fractures du monde musulman

Par Peter Bannister - Publié le 05/10/2024 - Image : Des Syriens opposés au régime de Bashar-al-Assad fêtent la mort de Hassan Nasrallah dans la ville d'Idlib. Crédit photo : Omar Haj Kadour / AFP
La mort d'Hassan Nasrallah a suscité des réactions contrastées chez les pays musulmans. Ces divergences s'expliquent par les clivages au Moyen-Orient, notamment en ce qui concerne le rôle de l'Iran dans la région. Les pays du Golfe, en particulier, marchent sur la corde raide, affichant leur soutien aux Palestiniens, tout en se rapprochant discrètement d'Israël par crainte de l'expansionnisme iranien.

Avec l'assassinat par Israël du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah et les représailles iraniennes, ainsi que l'entrée de l'armée israélienne au Liban, les derniers jours ont mené à une grave escalade des tensions au Moyen-Orient. On a pourtant moins commenté les réactions du monde islamique à l'affaiblissement du Hezbollah (déjà miné par les explosions de bipers et de talkies-walkies avant l'élimination de Nasrallah). Elles ont été très mitigées, révélatrices de divisions géopolitiques de longue date.

Au cœur de ces différences se trouvent non seulement le clivage entre l'islam sunnite et l'islam chiite, mais surtout des attitudes divergentes envers l'Iran. Le Hezbollah a été un élément-clé de « l'axe de la résistance » contre Israël, contrôlé par Téhéran – axe envers lequel plusieurs pays arabes ont de graves réserves, craignant l'expansionnisme iranien. Ces pays tentent de trouver un équilibre délicat entre des déclarations publiques en soutien au peuple palestinien et un rapprochement tacite avec Israël et les États-Unis, cherchant avant tout un contrepoids à l'Iran.

Des condamnations de l'assassinat de Nasrallah sont venues, sans surprise, des régimes et groupes associés plus ou moins formellement avec « l'axe de la résistance ». Le Hamas a parlé d'un « acte terroriste lâche  », Mahmoud Abbas de l'autorité palestinienne a exprimé ses condoléances, tandis que les rebelles Houthis au Yémen ont dit que la mort de Nasrallah « attisera la flamme du sacrifice ». Un communiqué du gouvernement syrien de Bashar-al-Assad, allié depuis longtemps avec le Hezbollah, a qualifié l'action d'Israël d' « agression méprisable  » qui a montré « le dédain de l'entité sioniste pour le droit international  ». Damas a notamment exprimé sa reconnaissance pour le soutien du Hezbollah contre l'opposition syrienne lors de la guerre civile (il a aussi été impliqué dans la production de la drogue Captagon, dont le trafic international a été très lucratif pour le clan Assad). Tous les Syriens ne partagent pourtant pas ces sentiments envers Nasrallah : à Idlib dans le nord-ouest du pays, contrôlé par les rebelles, on a fêté sa mort en distribuant des bonbons aux passants.

Un pays qui est moins souvent mentionné par rapport à l'axe iranien, mais qui a quand même décrété trois jours de deuil national en mémoire de Nasrallah, est l'Irak. Cela peut paraître surprenant, voyant les conflits historiques entre Bagdad et Téhéran. Depuis la chute du Sunnite Saddam Hussein en 2003, l'influence iranienne a pourtant grandi en Irak, où la majorité de la population est chiite. Les dernières années ont vu l'essor d'une « Résistance islamique en Irak » menée par des chiites liées à la fois avec l'Iran et le gouvernement irakien.

Quant aux pays à majorité sunnite, les réactions à la mort de Nasrallah ont été plus ambiguës, sans aucune expression de sympathie pour le Hezbollah, sauf du côté palestinien. Historiquement, cette milice libanaise n'a pas été bien vue par l'Arabie Saoudite (alliée avec Washington) et les autres «  pétromonarchies  » du Golfe, qui l'avaient qualifiée d'organisation terroriste et « menace pour la sécurité nationale arabe  » en 2016 à cause de son alignement avec l'Iran. Proches de l'Arabie Saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis ont d'ailleurs normalisé leurs relations avec Israël dans le cadre des Accords d'Abraham  : beaucoup de commentateurs ont estimé que l'un des objectifs de l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 était de saboter un rapprochement en cours entre Israël et Riyad qui aurait effectivement marginalisé Téhéran dans la région. Depuis, on parle d'une « ligne de crête  » suivie par les États du Golfe : la guerre à Gaza a certes suscité de fortes critiques envers Jérusalem de leur part, en partie destinées à l'opinion publique, très pro-palestinienne. En même temps, l'Arabie Saoudite et les Émirats auraient discrètement permis aux Occidentaux de profiter de leurs bases aériennes et services de renseignements pour défendre Israël contre des missiles iraniennes lancées le 13 avril par Téhéran suite à l'attaque israélienne contre le consulat de l'Iran à Damas. Tout indique que, même en étant gênés par les actions de Benjamin Netanyahou et ne fermant pas totalement la porte à Téhéran, les États du Golfe ne voudraient pas soutenir l'axe iranien contre Israël.

Deux autres grands acteurs sunnites, l'Égypte et la Turquie, ont vivement critiqué Israël, tout en gardant le silence sur la mort de Hassan Nasrallah. Les deux pays avaient déjà rejoint l'Afrique du Sud en accusant Israël de génocide auprès de la Cour internationale de Justice et le président turc Erdogan se présente ouvertement comme pro-Hamas, mais les activités des alliés de l'Iran sont néanmoins perçues par Ankara comme contraires aux intérêts de la Turquie, surtout en Syrie et en Irak.

Avec le déclenchement d'opérations terrestres au Liban et le refus persistant de Netanyahou d'un cessez-le-feu à Gaza, nous verrons bien si le jeu d'équilibriste de ces pays musulmans face à Israël tiendra. Les événements récents ont par contre montré que parler d'un front anti-israélien unifié dans le monde islamique est très réducteur dans cette région complexe.



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