Affaire Palmade : la justice exclut l'homicide involontaire pour le fœtus
Ironie des dates : le lundi 4 mars, la même semaine que la journée de la femme et l'inscription de l'avortement dans la Constitution, le parquet de Melun demandait le renvoi en correctionnelle de Pierre Palmade pour « homicide et blessures involontaires ». Cette qualification était de nature à faire évoluer la jurisprudence sur le statut de l'enfant à naître (Le Parisien).
Un an plus tôt en Seine-et-Marne, l'humoriste de 55 ans avait provoqué un grave accident de la route dans lequel une femme enceinte avait perdu son bébé de six mois. Le ministère public souhaitait un « débat » devant le tribunal sur cet éventuel chef d'« homicide involontaire ». Quant à Pierre Palmade, il se déclarait responsable de la mort d'un enfant : « Mon accident a tué ce bébé dans son ventre. Qu'il soit mort avant ou après l'accouchement, le résultat est le même. » (Gala).
La décision revenait in fine au juge d'instruction chargée de l'enquête. Or, le 27 mai, la nouvelle tomba : le magistrat ne suivra pas les réquisitions du parquet, retenant seulement le chef de « blessures involontaires », aggravé par la prise de drogues. Nul ne sera poursuivi pour la perte du fœtus.
Le juge se fonda sur l'expertise que les médecins lui avaient remise le 8 août. Selon eux, l'enfant ne présentait pas de vie extra-utérine à sa naissance (Ouest-France) : « L'état clinique observé (…) immédiatement après son extraction du corps utérin maternel est clairement et indiscutablement celui d'un état de mort constituée : pas de réactivité motrice, pas de mouvement spontané réflexe de respiration… », indiquait ce collège de trois experts agrées par la Cour de cassation.
Cette expertise contredisait un premier rapport médical, selon lequel la jeune femme avait accouché par césarienne d'un fœtus né « viable et vivant » à 22 h 18 et déclaré mort à 22 h 51. Cette appréciation changeait tout. Pour Jean-Christophe Saint-Pau, président de l'Association française de droit pénal interrogé par Europe 1, « la qualification d'homicide involontaire [pouvait] s'appliquer dès lors que l'enfant est né vivant, et a respiré quelques instants après avoir été séparé de sa mère ». Le juge d'instruction n'a pas retenu cette version des faits : pour lui, la petite Solin-Hazal est bien morte in utero en raison d'une grave hémorragie. L'abandon de la charge « d'homicide involontaire » est ainsi conforme au droit.
La Cour de cassation s'est prononcée à plusieurs reprises sur ce sujet au début des années 2000 : en droit pénal, le fœtus n'existe pas et sa mort ne peut être reprochée à personne. En 2001, dans une affaire similaire, la haute juridiction avait rejeté un pourvoi. À l'époque, un automobiliste avait blessé une femme enceinte de six mois, qui avait, elle aussi, perdu son bébé à la suite du choc. Les juges s'étaient opposés « à ce que l'incrimination prévue par l'article 221-6 du code pénal soit étendue au cas de l'enfant à naître, dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l'embryon ou le fœtus ».
La Cour de cassation s'était fondée sur « une interprétation stricte de la loi pénale ». Le droit pourrait se montrer plus cohérent et plus honnête : c'est un fait que Mila n'aurait pas perdu son bébé si l'accident n'avait pas eu lieu. En reconnaissant un fœtus comme une personne juridique, les juges craignent que les opposants au droit à l'avortement trouvent une faille pour remettre en cause la loi Veil de 1975.
Cette position devient intenable, alors que la lutte contre les homicides routiers s'intensifie : le 27 mars, le Sénat adoptait en première lecture une proposition de loi trans-partisane disant que la qualification involontaire est inadaptée dans le contexte de la violence routière. Le fait qu'un chauffard ne puisse pas être poursuivi pour la mort d'un fœtus n'est plus compris par la société.
Dans l'affaire Palmade, les victimes de l'accident « déplorent » la décision du juge d'instruction « au regard de la décence et de l'humanité les plus élémentaires ». Leur avocat relevait que « le ministère public avait impulsé une dynamique audacieuse pour faire évoluer le droit positif et le rendre plus humain ». En plus, depuis la loi du 6 décembre 2021, « les parents peuvent déclarer un enfant décédé à l'état civil, obtenir un acte d'enfant sans vie, lui donner un prénom, et même un nom de famille », observe Aude Mirkovic, directrice juridique des Juristes pour l'Enfance. Pour elle, « le fait que la loi permette l'IVG ne devrait pas être un frein à la reconnaissance de l'homicide involontaire, l'avortement [étant] une exception au principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie. L'IVG contre la volonté de la mère est une infraction pénale. Pourquoi l'atteinte involontaire devrait-elle échapper à toute qualification ? »
Comble de l'incohérence : « Si l'accident avait blessé ou tué un chien, son auteur serait reconnu coupable (...) par l'article R653-1 du code pénal », conclut-elle.