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À Paris aussi, le mur est tombé
« Au Parc Monceau, petit morceau de mon enfance », chantait Yves Duteil. En lisière de cette précieuse oasis de la mélancolie parisienne se dresse toujours l’élégante rotonde du duc de Chartres qui, contrairement à une idée reçue, ne fut « jamais une barrière d’octroi mais un simple poste de surveillance », comme le précise dans L'Express Anne-Marie Noblet, ingénieur à la Direction des espaces verts de la Ville de Paris.
Barrière d’octroi ? C’est l’ancêtre du péage urbain. La capitale connut plusieurs murs d’enceinte sous Philippe Auguste, Charles V, Louis XVIII et… Louis XVI. En 1784, avant de finir guillotiné, Antoine Lavoisier suggéra à Charles-Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances, d’encercler Paris afin d’y taxer les marchandises destinées aux habitants via des points de passages, les fameux propylées conçus par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux.
Ce mur des Fermiers généraux fut très impopulaire, au point que Beaumarchais y vit une cause de la Révolution. La colère grondait sous l’alexandrin rapporté par l’écrivain : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. » L’octroi fut supprimé en mai 1791 et Ledoux, artisan malgré lui de la ponction fiscale, atterrit à la prison de la Force.
En 1860, après qu’Haussmann eut étendu la ville jusqu’à l’enceinte de Thiers, le mur fut rasé en un mois (!) et nul ne se mobilisa pour conserver les pavillons Ledoux (il y en avait 55 !) et seules défient le temps, outre la rotonde de Monceau, les barrières de La Villette, Nation et Denfert. On imagine de quels soins les Parisiens entoureraient aujourd’hui ces vestiges, à quelle ambiance pittoresque ceux-ci offriraient le cadre.
L’histoire resurgit-elle à la faveur du péage urbain, qui formerait un nouveau mur autour de Paris ? Depuis mi-avril, le projet échauffe les esprits sur Twitter et Tik Tok. Plusieurs sites et publications le relaient en détail. La Ville de Paris annonce « la mise en place » d'un dispositif pour les véhicules motorisés « au 1er juillet » qui imposera aux automobilistes de « débourser entre 5 et 10 euros » pour franchir le nouvel octroi, lequel sera dématérialisé. Ce montant semble faramineux eu égard au coût prohibitif du stationnement dans la capitale. Mais bon, rien de ce qui vient d'Anne Hidalgo et consorts ne surprend plus l'opinion. Alors, on y croit.
L'info circule vite, mieux que sur le périph', à telle enseigne que l'AFP, pas très pressée tout de même, finit par se bouger pour vérifier la nouvelle. Et le correctif tombe : « La ville de Paris n'a pas annoncé un péage urbain à partir du 1er juillet 2023. Il s'agit en fait d'un canular publié sur internet le 1er avril mais repris ensuite (...) par plusieurs sites et sur les réseaux sociaux. »
David Belliard, le monsieur anti-voiture de l'hôtel de ville, se fend d'une explication docte : « Le péage urbain est un dispositif adopté par certaines villes mais à Paris, nous avons fait d'autres choix, à savoir une politique de restriction de la part de la voiture globale ». En clair, il y a d'autres moyens d'empêcher le banlieusard de venir camper sous les fenêtres des riches.
L'alibi écologique permet une politique anti-inclusive, par le biais de normes aussi illisibles qu'efficaces, efficaces parce qu'illisibles. L'AFP observe qu'« après avoir interdit les véhicules les plus polluants (ceux qui ne sont pas éligibles à la vignette Crit-air ainsi que les Crit'air 5 en juillet 2019 puis les véhicules Crit'air 4 deux ans plus tard), (...) la métropole a prévu d'étendre cette interdiction de circulation aux 380 000 voitures classées Crit'air 3 ».
Et mieux que le péage urbain, cette zone à faible émission (ZFE) s'étendra à la métropole du Grand Paris (MGP) englobant des communes de la petite couronne. C'est donc un péage urbain king size qui se bâtit de manière indolore et sournoise, par couches successives, ce qui achève de décourager toute opposition.
Le projet d'octroi aux portes de Paris était-il absurde ? Non. L'an dernier, dans son rapport annuel, la Cour des comptes en avait esquissé l'idée pour « faire contribuer les automobilistes franciliens ». Paris n'aurait fait que suivre une tendance qui, de Londres à Milan, transforme les centres-villes en carcasse de luxe. Ce qui, même sans péage, est déjà le cas.
Et puisque Paris aime les murs, celui du périphérique se bétonnerait encore : la vitesse maximale autorisée pourrait y être abaissée de 70 à 50 km/h dès fin 2024, avec la mise en place de la voie dédiée au covoiturage et aux transports collectifs. Chaque jour, un million de véhicules use l'asphalte de la voie la plus embouteillée d'Europe. « La consultation en ligne lancée le 17 avril sur la pérennisation d’une file réservée recueille déjà 3 000 réponses environ. Plus de 80% des avis sont plutôt défavorables au projet », indique Le Parisien.
Anne Hidalgo tranchera cet été. Le périphérique fête ce mois-ci ses 50 ans. Nul ne doute qu'il faille faire évoluer son usage. Mais comme le mur des Fermiers généraux, c'est une entreprise socialement risquée.
Barrière d’octroi ? C’est l’ancêtre du péage urbain. La capitale connut plusieurs murs d’enceinte sous Philippe Auguste, Charles V, Louis XVIII et… Louis XVI. En 1784, avant de finir guillotiné, Antoine Lavoisier suggéra à Charles-Alexandre de Calonne, contrôleur général des finances, d’encercler Paris afin d’y taxer les marchandises destinées aux habitants via des points de passages, les fameux propylées conçus par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux.
Ce mur des Fermiers généraux fut très impopulaire, au point que Beaumarchais y vit une cause de la Révolution. La colère grondait sous l’alexandrin rapporté par l’écrivain : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. » L’octroi fut supprimé en mai 1791 et Ledoux, artisan malgré lui de la ponction fiscale, atterrit à la prison de la Force.
En 1860, après qu’Haussmann eut étendu la ville jusqu’à l’enceinte de Thiers, le mur fut rasé en un mois (!) et nul ne se mobilisa pour conserver les pavillons Ledoux (il y en avait 55 !) et seules défient le temps, outre la rotonde de Monceau, les barrières de La Villette, Nation et Denfert. On imagine de quels soins les Parisiens entoureraient aujourd’hui ces vestiges, à quelle ambiance pittoresque ceux-ci offriraient le cadre.
L’histoire resurgit-elle à la faveur du péage urbain, qui formerait un nouveau mur autour de Paris ? Depuis mi-avril, le projet échauffe les esprits sur Twitter et Tik Tok. Plusieurs sites et publications le relaient en détail. La Ville de Paris annonce « la mise en place » d'un dispositif pour les véhicules motorisés « au 1er juillet » qui imposera aux automobilistes de « débourser entre 5 et 10 euros » pour franchir le nouvel octroi, lequel sera dématérialisé. Ce montant semble faramineux eu égard au coût prohibitif du stationnement dans la capitale. Mais bon, rien de ce qui vient d'Anne Hidalgo et consorts ne surprend plus l'opinion. Alors, on y croit.
L'info circule vite, mieux que sur le périph', à telle enseigne que l'AFP, pas très pressée tout de même, finit par se bouger pour vérifier la nouvelle. Et le correctif tombe : « La ville de Paris n'a pas annoncé un péage urbain à partir du 1er juillet 2023. Il s'agit en fait d'un canular publié sur internet le 1er avril mais repris ensuite (...) par plusieurs sites et sur les réseaux sociaux. »
David Belliard, le monsieur anti-voiture de l'hôtel de ville, se fend d'une explication docte : « Le péage urbain est un dispositif adopté par certaines villes mais à Paris, nous avons fait d'autres choix, à savoir une politique de restriction de la part de la voiture globale ». En clair, il y a d'autres moyens d'empêcher le banlieusard de venir camper sous les fenêtres des riches.
L'alibi écologique permet une politique anti-inclusive, par le biais de normes aussi illisibles qu'efficaces, efficaces parce qu'illisibles. L'AFP observe qu'« après avoir interdit les véhicules les plus polluants (ceux qui ne sont pas éligibles à la vignette Crit-air ainsi que les Crit'air 5 en juillet 2019 puis les véhicules Crit'air 4 deux ans plus tard), (...) la métropole a prévu d'étendre cette interdiction de circulation aux 380 000 voitures classées Crit'air 3 ».
Et mieux que le péage urbain, cette zone à faible émission (ZFE) s'étendra à la métropole du Grand Paris (MGP) englobant des communes de la petite couronne. C'est donc un péage urbain king size qui se bâtit de manière indolore et sournoise, par couches successives, ce qui achève de décourager toute opposition.
Le projet d'octroi aux portes de Paris était-il absurde ? Non. L'an dernier, dans son rapport annuel, la Cour des comptes en avait esquissé l'idée pour « faire contribuer les automobilistes franciliens ». Paris n'aurait fait que suivre une tendance qui, de Londres à Milan, transforme les centres-villes en carcasse de luxe. Ce qui, même sans péage, est déjà le cas.
Et puisque Paris aime les murs, celui du périphérique se bétonnerait encore : la vitesse maximale autorisée pourrait y être abaissée de 70 à 50 km/h dès fin 2024, avec la mise en place de la voie dédiée au covoiturage et aux transports collectifs. Chaque jour, un million de véhicules use l'asphalte de la voie la plus embouteillée d'Europe. « La consultation en ligne lancée le 17 avril sur la pérennisation d’une file réservée recueille déjà 3 000 réponses environ. Plus de 80% des avis sont plutôt défavorables au projet », indique Le Parisien.
Anne Hidalgo tranchera cet été. Le périphérique fête ce mois-ci ses 50 ans. Nul ne doute qu'il faille faire évoluer son usage. Mais comme le mur des Fermiers généraux, c'est une entreprise socialement risquée.