Société
Un renforcement sans précédent des outils de surveillance et de contrôle des opinions
La Ministre déléguée auprès du Ministre de l'Intérieur Marlène Schiappa a annoncé vouloir renforcer la lutte contre les dérives sectaires à partir d'un rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) que l'AFP a consulté. À la lecture des extraits de ce rapport publiés par Le Monde et des commentaires de la grande presse (notamment Le Figaro), on s'aperçoit que le terme "dérives sectaires" devient très large. Du survivalisme au régime crudivore, le spectre des dangers semble curieusement lié à des contestations tous azimuts du discours officiel soit des politiques soit des grands médias. On y trouve de tout, cela devient le grand bazar dont il faut s'occuper d'urgence car il y aurait danger pour la démocratie elle-même.
La Miviludes, souvent controversée par le passé pour sa définition floue du phénomène sectaire, a adopté peu à peu une stratégie plus modérée et soucieuse de s'appuyer sur le droit pour définir les emprises sectaires et protéger les personnes vulnérables des escrocs et autres pervers qui utilisent la crédulité des braves gens : manipulation, abus de faiblesse, abus sexuels, extorsion, etc. Les évêques catholiques eux-mêmes ont pris la mesure de ces problèmes et ont publié un guide pour discerner ces phénomènes présents dans tout milieu, et pas réservés aux seules religions.
Mais, en l'occurrence, qu'en est-il de ce nouveau projet contre les dérives sectaires ? Après la Miviludes en 2002, la Halde en 2004, transformée en Défenseur des droits en 2011, on assiste à la création de la Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) en 2012, puis à la loi sur le séparatisme ou pour renforcer les principes républicains, votée en première lecture le 16 février dernier, qui est loin de faire l'unanimité, soit qu'il va trop loin, soit pas assez. Il s'agit d'un renforcement sans précédent des outils de surveillance et de contrôle des opinions.
Cette évolution date en fait d'un rapport de la Miviludes qui présente un basculement vers une stratégie beaucoup plus politique, voire au risque du politicien. En 2013, le rapport présente deux traits méthodologiques : la lutte contre le complotisme et ce qui menace la démocratie. Nous ne sommes plus dans la protection des personnes vulnérables (par exemple le rapport 2011) mais dans une perspective où la science doit être suivie de manière quasi dogmatique pour être garante de la vérité officielle, faisant fi des incertitudes et discussions nécessaires inhérentes au travail de recherche scientifique et à la difficulté d'un consensus qui reste provisoire et qu'on ne peut élever au rang de vérité absolue. C'est ainsi que la mise en question des vaccins par exemple devient un phénomène sectaire. Le nécessaire recul concernant les théories scientifiques devient la négation de la raison elle-même, avec des amalgames entre des considérations effectivement délirantes (la possibilité pour le gourou de voler dans les airs ou de faire léviter les éléphants, l’idée que les chevelus « entendent Dieu en stéréo », les batailles livrées par le gourou à 100 000 lémuriens, l’existence de contrat de travail pour un milliard d’années, etc., – rapport 2013, p.28) et des opinions contestables sans doute mais faisant partie d'un nécessaire débat démocratique émanant aussi des citoyens eux-mêmes.
Car, faut-il faire intervenir la puissance publique pour juger de l'adhésion à des croyances extrémistes, radicales, "manifestement déraisonnables" (rapport 2013, p.10) ? Et l'État lui-même ne risque-t-il pas de devenir sectaire en jugeant ce qui est raisonnable de ce qui ne l'est pas ? Ne risque-t-il pas de devenir despotique à travers des personnes investies de toute la force publique, la violence physique et symbolique légitime, pour contrôler les opinions ou comportements déviants ? Quand le rapport (p.29) mentionne que c'est "un fait caractéristique des groupes sectaires en général : éviter que les adeptes ne soient confrontés à la concurrence cognitive", c'est-à-dire à d'autres arguments, ne peut-on appliquer cela aux organismes d'État ? LSDJ a déjà montré la confusion provenant des accusations de complotisme, masquant souvent un refus de discussion, de dialogue et de confrontation des arguments. La mise en cause des "réseaux sociaux" (rapport 2013, p.31), où on trouve, de fait, de tout, peut-il cacher une mise au pas de l'information et de ce qu'il faut penser et faire pour être un bon citoyen (idem, p.35 et ss) ? Et les réseaux sociaux eux-mêmes, ou du moins le monopole exercé par certaines entreprises mondiales, ne peuvent-ils pas devenir plus puissants que des États, comme on l'a vu récemment pour les élections américaines ?
Vouloir préserver les personnes vulnérables, les relations de justice et d'amitié politique qui passent par le dialogue et la recherche de la vérité, demande-t-il vraiment cette augmentation de la force publique dans le domaine des opinions, des croyances et de la science à qui on fait dire ce que peut-être elle ne peut pas dire ?
La Miviludes, souvent controversée par le passé pour sa définition floue du phénomène sectaire, a adopté peu à peu une stratégie plus modérée et soucieuse de s'appuyer sur le droit pour définir les emprises sectaires et protéger les personnes vulnérables des escrocs et autres pervers qui utilisent la crédulité des braves gens : manipulation, abus de faiblesse, abus sexuels, extorsion, etc. Les évêques catholiques eux-mêmes ont pris la mesure de ces problèmes et ont publié un guide pour discerner ces phénomènes présents dans tout milieu, et pas réservés aux seules religions.
Mais, en l'occurrence, qu'en est-il de ce nouveau projet contre les dérives sectaires ? Après la Miviludes en 2002, la Halde en 2004, transformée en Défenseur des droits en 2011, on assiste à la création de la Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) en 2012, puis à la loi sur le séparatisme ou pour renforcer les principes républicains, votée en première lecture le 16 février dernier, qui est loin de faire l'unanimité, soit qu'il va trop loin, soit pas assez. Il s'agit d'un renforcement sans précédent des outils de surveillance et de contrôle des opinions.
Cette évolution date en fait d'un rapport de la Miviludes qui présente un basculement vers une stratégie beaucoup plus politique, voire au risque du politicien. En 2013, le rapport présente deux traits méthodologiques : la lutte contre le complotisme et ce qui menace la démocratie. Nous ne sommes plus dans la protection des personnes vulnérables (par exemple le rapport 2011) mais dans une perspective où la science doit être suivie de manière quasi dogmatique pour être garante de la vérité officielle, faisant fi des incertitudes et discussions nécessaires inhérentes au travail de recherche scientifique et à la difficulté d'un consensus qui reste provisoire et qu'on ne peut élever au rang de vérité absolue. C'est ainsi que la mise en question des vaccins par exemple devient un phénomène sectaire. Le nécessaire recul concernant les théories scientifiques devient la négation de la raison elle-même, avec des amalgames entre des considérations effectivement délirantes (la possibilité pour le gourou de voler dans les airs ou de faire léviter les éléphants, l’idée que les chevelus « entendent Dieu en stéréo », les batailles livrées par le gourou à 100 000 lémuriens, l’existence de contrat de travail pour un milliard d’années, etc., – rapport 2013, p.28) et des opinions contestables sans doute mais faisant partie d'un nécessaire débat démocratique émanant aussi des citoyens eux-mêmes.
Car, faut-il faire intervenir la puissance publique pour juger de l'adhésion à des croyances extrémistes, radicales, "manifestement déraisonnables" (rapport 2013, p.10) ? Et l'État lui-même ne risque-t-il pas de devenir sectaire en jugeant ce qui est raisonnable de ce qui ne l'est pas ? Ne risque-t-il pas de devenir despotique à travers des personnes investies de toute la force publique, la violence physique et symbolique légitime, pour contrôler les opinions ou comportements déviants ? Quand le rapport (p.29) mentionne que c'est "un fait caractéristique des groupes sectaires en général : éviter que les adeptes ne soient confrontés à la concurrence cognitive", c'est-à-dire à d'autres arguments, ne peut-on appliquer cela aux organismes d'État ? LSDJ a déjà montré la confusion provenant des accusations de complotisme, masquant souvent un refus de discussion, de dialogue et de confrontation des arguments. La mise en cause des "réseaux sociaux" (rapport 2013, p.31), où on trouve, de fait, de tout, peut-il cacher une mise au pas de l'information et de ce qu'il faut penser et faire pour être un bon citoyen (idem, p.35 et ss) ? Et les réseaux sociaux eux-mêmes, ou du moins le monopole exercé par certaines entreprises mondiales, ne peuvent-ils pas devenir plus puissants que des États, comme on l'a vu récemment pour les élections américaines ?
Vouloir préserver les personnes vulnérables, les relations de justice et d'amitié politique qui passent par le dialogue et la recherche de la vérité, demande-t-il vraiment cette augmentation de la force publique dans le domaine des opinions, des croyances et de la science à qui on fait dire ce que peut-être elle ne peut pas dire ?