International
Silvio Berlusconi, gloire et misère du premier populiste
Visage plastique, sourire ultrabrite, allure de crooner, Silvio Berlusconi incarnait la positivité italienne. L’écho que sa mort suscite témoigne de l’empreinte que laisse ce libéral décomplexé dans le paysage politique mondial. Mort à 86 ans, « il Cavaliere » était moins un chevalier qu'un condottière, ce self-made-man de la Renaissance, le panache en moins.
Comme l’écrit Dominique Dunglas, correspondant du Point à Rome, « ce sont ses adversaires politiques qui le regretteront le plus. L'anti-berlusconisme fut, pendant vingt ans, le seul dénominateur commun de la gauche italienne. » Et la France ne fut pas en reste, qui le vilipenda autant que Margaret Thatcher, morte dix ans plus tôt que lui.
Le langage parfois grossier de ce libertin chrétien, fermé aux extravagances sociétales, le distinguait de tous les codes de notre République bégueule et progressiste. Pour nos moralistes, Berlusconi était une faute de goût, un bouffon qui chantait sur les bateaux de croisière en racontant des histoires drôles, un beau gosse sans conviction qui se sera servi du pouvoir, en assurant que son ami Poutine voulait renverser le gouvernement de Kiev pour y mettre à la place des « gens biens ». Mais qui souligne le génie créatif de ce fils d’employé de banque qui, licence de droit en poche, se lance dans les affaires ?
En politique et avant tout le monde, cette bête de scène se sera imposée comme le dynamiteur de l’establishment. « C'est le premier, il a tout inventé », dit à l’AFP John Foot, professeur d'histoire de l'Italie contemporaine à l'université de Bristol : « Tout tourne autour de lui, de sa vie, de son succès en tant qu'homme d'affaires [avec] tous les artifices que copieront d'autres populistes après lui », de Donald Trump à Nigel Farage, de Viktor Orban à Jair Bolsonaro.
Mais ce narratif ne va pas de soi. Dominique Dunglas retrace et résume quelques péripéties de ses 3 340 jours au pouvoir, un record dans un pays où l’instabilité donne le tournis aux observateurs cartésiens. Tout commence avec l’opération « mains propres » qui, en lessivant la partitocratie, laisse le champ libre à la Ligue du Nord d’Umberto Bossi et à l'entrepreneur milanais.
En mars 1994, sa coalition remporte les élections mais son premier gouvernement se fracasse sur une affaire de pots-de-vin. Berlusconi démissionne en janvier 1995. Mais « la stérilité » de la gauche le fait rebondir en juin 2001 pour un mandat de cinq ans, « le plus long depuis la fin de la guerre ». Si Romano Prodi le bat de justesse en 2006, le professeur bolognais, lâché par la gauche de la gauche, chute à son tour et Berlusconi se refait en mai 2008. Ce troisième mandat « bascule dans la farce pornographique (…) avec les révélations sur les bunga-bunga », note Dunglas, alors que « l'Italie est entrée dans la plus grande récession de son histoire moderne ». Les chancelleries européennes complotent contre lui et renversent Berlusconi en novembre 2011.
Deux ans plus tard, il prend huit ans de prison pour fraude fiscale, se voit déchu de sa fonction de sénateur et privé de son immunité parlementaire. Mais il échappe à l’incarcération. « Pendant neuf mois, l'homme qui avait dirigé trois gouvernements et présidé autant de G8 s'occupe de personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer ». Berlusconi finit partenaire mineur du gouvernement de coalition de Giorgia Meloni.
Le « Cavaliere » n’a pas d’équivalent chez nous. On songe à Bernard Tapie mais le poids de l’entrepreneur milanais est sans commune mesure avec ce qu'était celui du gigolo de François Mitterrand. Il y a autant d’écart entre Tapie et Berlusconi qu’entre l’Olympique de Marseille et le Milan AC. Sous son ère, le club lombard gagne cinq Ligues des champions.
Nicolas Sarkozy serait-il son jumeau cisalpin ? Par certains côtés oui, sauf que l’ex-président de la République, qui le jalousait pour son argent, ne pèse pas lourd devant l’empire et l’emprise du magnat italien. Berlusconi n’était pas un produit dérivé de la politique mais un entrepreneur, plus jeune chevalier de l'ordre du travail.
La liberté de ton de ses media le propulse en politique. En quelques semaines, il monte Forza Italia (« Allez l'Italie ») et triomphe dans les urnes. MediaforEurope (ex-Mediaset) vaut aujourd’hui 1,7 milliard d'euros, sans parler des journaux et des éditions Mondadori. La fortune de Berlusconi frise les 7 milliards de dollars, à partager entre deux ex-femmes, cinq enfants et 16 petits-enfants. Sans ce pouvoir médiatique, il n’aurait pas écrit d’épopée politique.
Verra-t-on en France un milliardaire adulé par l'opinion ? L'Italie partage le rêve américain de sa nombreuse diaspora US, ce qui l'éloigne beaucoup de notre mentalité.
Autre différence et pas des moindres : Berlusconi réussit l’union des droites. Habilement, il intégra le néofascisme pour le digérer. Jamais la bien-pensance parisienne ne lui en fera crédit. Malgré son théâtre et ses comédies (ou grâce à eux), l'Italie fluidifie ce que la France pétrifie.
Comme l’écrit Dominique Dunglas, correspondant du Point à Rome, « ce sont ses adversaires politiques qui le regretteront le plus. L'anti-berlusconisme fut, pendant vingt ans, le seul dénominateur commun de la gauche italienne. » Et la France ne fut pas en reste, qui le vilipenda autant que Margaret Thatcher, morte dix ans plus tôt que lui.
Le langage parfois grossier de ce libertin chrétien, fermé aux extravagances sociétales, le distinguait de tous les codes de notre République bégueule et progressiste. Pour nos moralistes, Berlusconi était une faute de goût, un bouffon qui chantait sur les bateaux de croisière en racontant des histoires drôles, un beau gosse sans conviction qui se sera servi du pouvoir, en assurant que son ami Poutine voulait renverser le gouvernement de Kiev pour y mettre à la place des « gens biens ». Mais qui souligne le génie créatif de ce fils d’employé de banque qui, licence de droit en poche, se lance dans les affaires ?
En politique et avant tout le monde, cette bête de scène se sera imposée comme le dynamiteur de l’establishment. « C'est le premier, il a tout inventé », dit à l’AFP John Foot, professeur d'histoire de l'Italie contemporaine à l'université de Bristol : « Tout tourne autour de lui, de sa vie, de son succès en tant qu'homme d'affaires [avec] tous les artifices que copieront d'autres populistes après lui », de Donald Trump à Nigel Farage, de Viktor Orban à Jair Bolsonaro.
Mais ce narratif ne va pas de soi. Dominique Dunglas retrace et résume quelques péripéties de ses 3 340 jours au pouvoir, un record dans un pays où l’instabilité donne le tournis aux observateurs cartésiens. Tout commence avec l’opération « mains propres » qui, en lessivant la partitocratie, laisse le champ libre à la Ligue du Nord d’Umberto Bossi et à l'entrepreneur milanais.
En mars 1994, sa coalition remporte les élections mais son premier gouvernement se fracasse sur une affaire de pots-de-vin. Berlusconi démissionne en janvier 1995. Mais « la stérilité » de la gauche le fait rebondir en juin 2001 pour un mandat de cinq ans, « le plus long depuis la fin de la guerre ». Si Romano Prodi le bat de justesse en 2006, le professeur bolognais, lâché par la gauche de la gauche, chute à son tour et Berlusconi se refait en mai 2008. Ce troisième mandat « bascule dans la farce pornographique (…) avec les révélations sur les bunga-bunga », note Dunglas, alors que « l'Italie est entrée dans la plus grande récession de son histoire moderne ». Les chancelleries européennes complotent contre lui et renversent Berlusconi en novembre 2011.
Deux ans plus tard, il prend huit ans de prison pour fraude fiscale, se voit déchu de sa fonction de sénateur et privé de son immunité parlementaire. Mais il échappe à l’incarcération. « Pendant neuf mois, l'homme qui avait dirigé trois gouvernements et présidé autant de G8 s'occupe de personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer ». Berlusconi finit partenaire mineur du gouvernement de coalition de Giorgia Meloni.
Le « Cavaliere » n’a pas d’équivalent chez nous. On songe à Bernard Tapie mais le poids de l’entrepreneur milanais est sans commune mesure avec ce qu'était celui du gigolo de François Mitterrand. Il y a autant d’écart entre Tapie et Berlusconi qu’entre l’Olympique de Marseille et le Milan AC. Sous son ère, le club lombard gagne cinq Ligues des champions.
Nicolas Sarkozy serait-il son jumeau cisalpin ? Par certains côtés oui, sauf que l’ex-président de la République, qui le jalousait pour son argent, ne pèse pas lourd devant l’empire et l’emprise du magnat italien. Berlusconi n’était pas un produit dérivé de la politique mais un entrepreneur, plus jeune chevalier de l'ordre du travail.
La liberté de ton de ses media le propulse en politique. En quelques semaines, il monte Forza Italia (« Allez l'Italie ») et triomphe dans les urnes. MediaforEurope (ex-Mediaset) vaut aujourd’hui 1,7 milliard d'euros, sans parler des journaux et des éditions Mondadori. La fortune de Berlusconi frise les 7 milliards de dollars, à partager entre deux ex-femmes, cinq enfants et 16 petits-enfants. Sans ce pouvoir médiatique, il n’aurait pas écrit d’épopée politique.
Verra-t-on en France un milliardaire adulé par l'opinion ? L'Italie partage le rêve américain de sa nombreuse diaspora US, ce qui l'éloigne beaucoup de notre mentalité.
Autre différence et pas des moindres : Berlusconi réussit l’union des droites. Habilement, il intégra le néofascisme pour le digérer. Jamais la bien-pensance parisienne ne lui en fera crédit. Malgré son théâtre et ses comédies (ou grâce à eux), l'Italie fluidifie ce que la France pétrifie.