International
Où va la Russie après le retrait de Kherson ?
Jusqu’au bombardement massif de l’Ukraine par la Russie hier, l’actualité internationale de ces derniers jours avait été dominée par le retour de la ville de Kherson aux mains des Ukrainiens suite au retrait des troupes russes. Pour beaucoup de commentateurs, ce revirement inattendu après l’annexion récente de l’oblast de Kherson « pour toujours » par Moscou représente un tournant majeur dans le conflit, mais comment les événements sont-ils perçus par les Russes ? Un bref tour d’horizon des réactions très diverses soulève beaucoup de questions concernant non seulement la guerre avec l’Ukraine mais également l’avenir très incertain de la Russie.
Le discours officiel se veut rassuriste. Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a tout de suite affirmé que la région de Kherson continuait à faire partie de la Fédération Russe, tandis que Dimitri Medvedev a souligné sur Telegram que « la Russie n'a pas encore fait usage de tout son arsenal de moyens de destruction possibles. Elle n'a pas non plus frappé toutes les cibles ennemies possibles situées dans des zones habitées. […] Il y a un temps pour tout. » Margarita Simonian, directrice de Russia Today, a également utilisé Telegram pour comparer le retrait de Kherson à la décision du général Koutouzov d’abandonner Moscou avant de gagner la guerre de 1812 contre Napoléon.
Le ton est cependant très différent chez les ultra-nationalistes. Le philosophe Alexandre Douguine a fustigé le gouvernement pour son manque de réussite contre l’Occident, « civilisation de Satan », disant qu’avec l’échec de Kherson une limite a été atteinte et que la guerre devrait désormais devenir « nationale ». Même note apocalyptique chez Vladimir Solovyov, personnage médiatique très suivi, décrivant un conflit entre le Diable et la Russie, « grande nation orthodoxe, musulmane et bouddhiste ». Excédé par les revers militaires qu’il attribue au laxisme des généraux, Solovyov ne voit que deux alternatives : « Soit nous gagnons cette guerre, soit le monde entier sera réduit en cendres. Il n’y a pas d’autres options. »
Ces propos peuvent sembler caricaturaux, tout comme la manifestation (visiblement mise en scène) de quelques dizaines de personnes à Moscou, appelant à des frappes contre Washington, martelant des paroles de Poutine sur fond d’une parodie de We will rock you de Queen. Les analystes prennent par contre très au sérieux d’autres ultra-nationalistes dont l'influence ne se limite pas aux seuls mots, avec en tête de liste Evgueni Prigojine, patron du célèbre « groupe Wagner », et le leader tchéchène Ramzan Kadyrov, pour qui la guerre en Ukraine est un « jihad ». Pour l’instant les deux soutiennent le « général Armageddon » Sourovikine qui a ordonné le retrait de Kherson. Leur essor au sein de la machine de guerre russe a néanmoins été perçu comme préfigurant un avenir où le véritable pouvoir en Russie (surtout dans le cas d’un affaiblissement de Poutine) pourrait migrer vers des formations armées quasi-autonomes par rapport au Kremlin. Des formations qui auraient besoin de continuer les hostilités pour consolider leur position, comme l’a noté l’opposant russe en exil Mikhaïl Khodorkovski devant un comité parlementaire à Londres. Il estime que Sourovikine doit sa nomination récente à l’appui de Kadyrov et de Prigojine : ce dernier bénéficierait de facto d’un chèque en blanc de Poutine pour recruter des renforts dans les prisons russes en leur offrant une amnistie, quelle que soit la gravité de leurs crimes. Prigojine, dont l’approbation de l’exécution filmée à coups de masse d’un ex-membre du groupe Wagner vient de faire couler beaucoup d’encre, a notamment appelé à des « purges staliniennes » d’hommes d’affaires considérés comme déloyaux à l’État. On croit par ailleurs que Prigojine fait cause commune avec Igor Strelkov (qui se dit responsable pour la révolte de la République Populaire de Donetsk contre l’Ukraine en 2014) dans la création d’une structure militaire parallèle aux Forces Armées Russes qui pourrait éventuellement constituer une menace pour Vladimir Poutine dans l’avenir.
Dans ce panorama confus, les opposants à la guerre semblent briller par leur absence, sauf à l’étranger, où Khodorkovski lui-même vient de publier un livre, Comment tuer un dragon, détaillant sa vision pour une Russie devenue république parlementaire avec une structure fédérale, où les administrations locales fortes tiendraient l'équilibre. Khodorkovski voudrait démanteler une tradition politique ancestrale qui finit par transformer tout leader russe en autocrate, mais aussi empêcher la désintégration de la Russie, scénario dangereux pour le monde entier :
« La désintégration de la Russie créerait une grande quantité de nouvelles frontières étatiques.[…] Les armes nucléaires ne vont nulle part – elles pourraient au contraire se retrouver de part et d'autre des nouvelles frontières. J'espère vraiment que les régions et leurs élites comptent suffisamment de personnes intelligentes pour comprendre que ce n'est pas une bonne idée. »
Le discours officiel se veut rassuriste. Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a tout de suite affirmé que la région de Kherson continuait à faire partie de la Fédération Russe, tandis que Dimitri Medvedev a souligné sur Telegram que « la Russie n'a pas encore fait usage de tout son arsenal de moyens de destruction possibles. Elle n'a pas non plus frappé toutes les cibles ennemies possibles situées dans des zones habitées. […] Il y a un temps pour tout. » Margarita Simonian, directrice de Russia Today, a également utilisé Telegram pour comparer le retrait de Kherson à la décision du général Koutouzov d’abandonner Moscou avant de gagner la guerre de 1812 contre Napoléon.
Le ton est cependant très différent chez les ultra-nationalistes. Le philosophe Alexandre Douguine a fustigé le gouvernement pour son manque de réussite contre l’Occident, « civilisation de Satan », disant qu’avec l’échec de Kherson une limite a été atteinte et que la guerre devrait désormais devenir « nationale ». Même note apocalyptique chez Vladimir Solovyov, personnage médiatique très suivi, décrivant un conflit entre le Diable et la Russie, « grande nation orthodoxe, musulmane et bouddhiste ». Excédé par les revers militaires qu’il attribue au laxisme des généraux, Solovyov ne voit que deux alternatives : « Soit nous gagnons cette guerre, soit le monde entier sera réduit en cendres. Il n’y a pas d’autres options. »
Ces propos peuvent sembler caricaturaux, tout comme la manifestation (visiblement mise en scène) de quelques dizaines de personnes à Moscou, appelant à des frappes contre Washington, martelant des paroles de Poutine sur fond d’une parodie de We will rock you de Queen. Les analystes prennent par contre très au sérieux d’autres ultra-nationalistes dont l'influence ne se limite pas aux seuls mots, avec en tête de liste Evgueni Prigojine, patron du célèbre « groupe Wagner », et le leader tchéchène Ramzan Kadyrov, pour qui la guerre en Ukraine est un « jihad ». Pour l’instant les deux soutiennent le « général Armageddon » Sourovikine qui a ordonné le retrait de Kherson. Leur essor au sein de la machine de guerre russe a néanmoins été perçu comme préfigurant un avenir où le véritable pouvoir en Russie (surtout dans le cas d’un affaiblissement de Poutine) pourrait migrer vers des formations armées quasi-autonomes par rapport au Kremlin. Des formations qui auraient besoin de continuer les hostilités pour consolider leur position, comme l’a noté l’opposant russe en exil Mikhaïl Khodorkovski devant un comité parlementaire à Londres. Il estime que Sourovikine doit sa nomination récente à l’appui de Kadyrov et de Prigojine : ce dernier bénéficierait de facto d’un chèque en blanc de Poutine pour recruter des renforts dans les prisons russes en leur offrant une amnistie, quelle que soit la gravité de leurs crimes. Prigojine, dont l’approbation de l’exécution filmée à coups de masse d’un ex-membre du groupe Wagner vient de faire couler beaucoup d’encre, a notamment appelé à des « purges staliniennes » d’hommes d’affaires considérés comme déloyaux à l’État. On croit par ailleurs que Prigojine fait cause commune avec Igor Strelkov (qui se dit responsable pour la révolte de la République Populaire de Donetsk contre l’Ukraine en 2014) dans la création d’une structure militaire parallèle aux Forces Armées Russes qui pourrait éventuellement constituer une menace pour Vladimir Poutine dans l’avenir.
Dans ce panorama confus, les opposants à la guerre semblent briller par leur absence, sauf à l’étranger, où Khodorkovski lui-même vient de publier un livre, Comment tuer un dragon, détaillant sa vision pour une Russie devenue république parlementaire avec une structure fédérale, où les administrations locales fortes tiendraient l'équilibre. Khodorkovski voudrait démanteler une tradition politique ancestrale qui finit par transformer tout leader russe en autocrate, mais aussi empêcher la désintégration de la Russie, scénario dangereux pour le monde entier :
« La désintégration de la Russie créerait une grande quantité de nouvelles frontières étatiques.[…] Les armes nucléaires ne vont nulle part – elles pourraient au contraire se retrouver de part et d'autre des nouvelles frontières. J'espère vraiment que les régions et leurs élites comptent suffisamment de personnes intelligentes pour comprendre que ce n'est pas une bonne idée. »