Culture
No steak ? No sketch !
Pour la deuxième année consécutive, Londres est désignée ville « la plus végan-compatible ». Paris n’arrive même pas dans le top 10 de ce classement établi par HappyCow, site californien végé-friendly :
1. Londres
2. New York
3. Berlin
4. Los Angeles
5. Toronto
6. Varsovie
7. Portland
8. Bangkok
9. Tel-Aviv
10. Prague
4 villes américaines, 4 villes européennes – et aucune cité latine du Vieux continent où l’on « mange bien ». Né dans le monde anglo-saxon, le véganisme professe que « les humains doivent vivre sans exploiter les animaux ». Cette doctrine se nourrit à la fois de la répulsion et de la compassion :
- répulsion envers l’élevage industriel : en liquidant toujours plus la paysannerie parcellaire jugée non rentable, nos sociétés continuent de dégrader la relation entre l’homme et l’animal. Et nous souffrons de voir ce lien abîmé. Les animaux peuplent tellement notre imaginaire d’enfant et même d’adulte. La Fontaine ne se jouent-ils pas de nos misères comme les reflets du miroir ? C’est un paradoxe de voir qu’une société prétendument évoluée fasse de la barbarie concentrationnaire un modèle de production. Le nazisme s’applique toujours mais dans les abattoirs ou la bien mal nommée ferme des mille vaches, usine à bovins n’ayant rien à voir avec la « Montagne limousine » ;
- compassion envers les animaux : les sociétés urbaines minées par la solitude projettent sur eux leur besoin de relation vraie. Il est toujours frappant de voir ces promeneurs adresser la parole à leur chien, comme s’ils attendaient une réponse de sa part. Que d’investissement affectif nos contemporains mettent dans cette compagnie-là !
L’alliance des deux (répulsion/compassion) fournit au véganisme une légitimité, un carburant moral, un droit de s’indigner et de juger. Car cette doctrine ne s’invite pas seulement au rayon de nos habitudes de consommation ; elle vise à les remplacer. Que ce phénomène soit encore résiduel ne doit pas conduire à le sous-estimer. C’est le propre des minorités organisées que de savoir créer des effets de levier considérables, et ce dans tous les domaines. L’ADN du véganisme, marqué la deep ecology, tend à casser le rapport avec l’animal hérité du judéo-christianisme. Ce phénomène n’est pas une affaire de goût mais un combat dont le ressort est la culpabilisation et le but l’avènement d’une alternative culturelle.
Ici, une précision s’impose : autant le véganisme tape juste quand il fulmine contre la maltraitance animale, autant il joue un autre rôle lorsqu’il voit dans le genre humain l’ennemi à abattre. Cette rhétorique ne va pas sans contradiction : l’homme est omnivore, c’est-à-dire qu’il mange de tout, et donc aussi de la viande. Au nom de quoi notre espèce n’assouvirait-elle pas son instinct ? Si l’homme n’est pas supérieur aux autres êtres vivants, pourquoi s’interdirait-il d’agir comme le lui dicte sa condition ? Le véganisme fait équipe avec l’antispécisme qui, selon les activistes de L214, « accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir ». Et si je suis sensible à la dinde farcie au marron, au foie gras et aux huîtres, pourquoi n’en consommerais-je pas ? Si je suis un animal comme les autres, alors j’ai tous les droits que m’accorde mon espèce, y compris celui d’être prédateur et invasif. Après, qu’on soit sensible à ce que les animaux ressentent – et on sait qu’ils sont capables de choses inouïes (y compris de sauver des humains !) –, c’est une autre histoire.
Le véganisme joue ainsi sur le penchant à s’émouvoir et à se sacrifier pour de nobles causes. Il épouse les codes du boboïsme flamboyant qui fait la marque de ces métropoles gagnées par le militantisme mondain, à l’image de l’essai No Steak du journaliste Aymeric Caron (Fayard, 2013). C’est l’ère du no, inaugurée par No Logo (Actes Sud, 2000), bestseller de la Canadienne altermondialiste Naomi Klein. Apparemment vertueuse, cette injonction tient largement du fake, du sketch et du chèque. Car le véganisme, c’est une sorte de retour vers le futur. Comme le relève cet article du Monde, le mot « viande » fait l’objet d’une guerre sémantique et judiciaire. L’appellation n’est pas contrôlée et un steak de tofu ne contient que des herbes. La viande animale doit disparaître au profit de la viande de synthèse élaborée par des entreprises de biotechnologies. La bonne vieille côte de bœuf devient un terrain de chasse pour des groupes industriels étrangers aux stratégies commerciales prédatrices. Pas vraiment écolo, tout ça.
Le discours végane ne sert pas uniquement de gros intérêts ; il s’attaque à un sujet plus ample, comme l’écrivait Paul Ariès dans les colonnes du Monde le 7 janvier dernier. Le politologue ciblait « une machine à saper l’humanisme et à tuer une majorité d’animaux (…) sous prétexte que n’existerait pas de viande d’animaux heureux et que les animaux sauvages souffriraient bien davantage et en plus grand nombre que les animaux d’élevage ou domestiques. Le fond du problème, ajoute-t-il, n’est pas la consommation de produits carnés mais la souffrance animale ».
Le fond de la question, c’est de retirer à l’homme son permis de tuer. Après le féminicide, voici l’animaucide. Depuis l’aube du monde, on habille la cruauté humaine de tout un récit destiné à la banaliser. Se nourrir ne doit plus être l’art poétique d’agencer les saveurs issues de toutes les composantes de la nature, vivantes et végétales, terrestres et marines. La carte des menus doit devenir aussi aseptisée qu’une notice de médicament. D’aucuns diront que la guerre à l’alimentation carnée recèle une sorte de purisme, de dégoût fanatique de la chair (et même du sexe) qui fait ressembler les véganes à des cathares 2.0. D’aucuns affirmeront aussi que cette tendance à mettre le monde sous cellophane est un trait distinctif de l’Amérique puritaine qui, pour prolonger sa domination, transforme le champ culturel en champ de bataille permanent. Peut-être. Mais l’impéralisme de l’Oncle Sam ne résume pas tout. Souvenons-nous de ce couplet bien français de notre Renaud « national », auteur de Hexagone (1975) :
En décembre c'est l'apothéose,
La grande bouffe et les petits cadeaux,
Ils sont toujours aussi moroses,
Mais y'a de la joie dans les ghettos,
La Terre peut s'arrêter de tourner,
Ils rateront pas leur réveillon
Moi je voudrais tous les voir crever,
Étouffés de dinde aux marrons.
Un jour, mettre une dinde dans le four sera peut-être un crime contre l’animalité.
1. Londres
2. New York
3. Berlin
4. Los Angeles
5. Toronto
6. Varsovie
7. Portland
8. Bangkok
9. Tel-Aviv
10. Prague
4 villes américaines, 4 villes européennes – et aucune cité latine du Vieux continent où l’on « mange bien ». Né dans le monde anglo-saxon, le véganisme professe que « les humains doivent vivre sans exploiter les animaux ». Cette doctrine se nourrit à la fois de la répulsion et de la compassion :
- répulsion envers l’élevage industriel : en liquidant toujours plus la paysannerie parcellaire jugée non rentable, nos sociétés continuent de dégrader la relation entre l’homme et l’animal. Et nous souffrons de voir ce lien abîmé. Les animaux peuplent tellement notre imaginaire d’enfant et même d’adulte. La Fontaine ne se jouent-ils pas de nos misères comme les reflets du miroir ? C’est un paradoxe de voir qu’une société prétendument évoluée fasse de la barbarie concentrationnaire un modèle de production. Le nazisme s’applique toujours mais dans les abattoirs ou la bien mal nommée ferme des mille vaches, usine à bovins n’ayant rien à voir avec la « Montagne limousine » ;
- compassion envers les animaux : les sociétés urbaines minées par la solitude projettent sur eux leur besoin de relation vraie. Il est toujours frappant de voir ces promeneurs adresser la parole à leur chien, comme s’ils attendaient une réponse de sa part. Que d’investissement affectif nos contemporains mettent dans cette compagnie-là !
L’alliance des deux (répulsion/compassion) fournit au véganisme une légitimité, un carburant moral, un droit de s’indigner et de juger. Car cette doctrine ne s’invite pas seulement au rayon de nos habitudes de consommation ; elle vise à les remplacer. Que ce phénomène soit encore résiduel ne doit pas conduire à le sous-estimer. C’est le propre des minorités organisées que de savoir créer des effets de levier considérables, et ce dans tous les domaines. L’ADN du véganisme, marqué la deep ecology, tend à casser le rapport avec l’animal hérité du judéo-christianisme. Ce phénomène n’est pas une affaire de goût mais un combat dont le ressort est la culpabilisation et le but l’avènement d’une alternative culturelle.
Ici, une précision s’impose : autant le véganisme tape juste quand il fulmine contre la maltraitance animale, autant il joue un autre rôle lorsqu’il voit dans le genre humain l’ennemi à abattre. Cette rhétorique ne va pas sans contradiction : l’homme est omnivore, c’est-à-dire qu’il mange de tout, et donc aussi de la viande. Au nom de quoi notre espèce n’assouvirait-elle pas son instinct ? Si l’homme n’est pas supérieur aux autres êtres vivants, pourquoi s’interdirait-il d’agir comme le lui dicte sa condition ? Le véganisme fait équipe avec l’antispécisme qui, selon les activistes de L214, « accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir ». Et si je suis sensible à la dinde farcie au marron, au foie gras et aux huîtres, pourquoi n’en consommerais-je pas ? Si je suis un animal comme les autres, alors j’ai tous les droits que m’accorde mon espèce, y compris celui d’être prédateur et invasif. Après, qu’on soit sensible à ce que les animaux ressentent – et on sait qu’ils sont capables de choses inouïes (y compris de sauver des humains !) –, c’est une autre histoire.
Le véganisme joue ainsi sur le penchant à s’émouvoir et à se sacrifier pour de nobles causes. Il épouse les codes du boboïsme flamboyant qui fait la marque de ces métropoles gagnées par le militantisme mondain, à l’image de l’essai No Steak du journaliste Aymeric Caron (Fayard, 2013). C’est l’ère du no, inaugurée par No Logo (Actes Sud, 2000), bestseller de la Canadienne altermondialiste Naomi Klein. Apparemment vertueuse, cette injonction tient largement du fake, du sketch et du chèque. Car le véganisme, c’est une sorte de retour vers le futur. Comme le relève cet article du Monde, le mot « viande » fait l’objet d’une guerre sémantique et judiciaire. L’appellation n’est pas contrôlée et un steak de tofu ne contient que des herbes. La viande animale doit disparaître au profit de la viande de synthèse élaborée par des entreprises de biotechnologies. La bonne vieille côte de bœuf devient un terrain de chasse pour des groupes industriels étrangers aux stratégies commerciales prédatrices. Pas vraiment écolo, tout ça.
Le discours végane ne sert pas uniquement de gros intérêts ; il s’attaque à un sujet plus ample, comme l’écrivait Paul Ariès dans les colonnes du Monde le 7 janvier dernier. Le politologue ciblait « une machine à saper l’humanisme et à tuer une majorité d’animaux (…) sous prétexte que n’existerait pas de viande d’animaux heureux et que les animaux sauvages souffriraient bien davantage et en plus grand nombre que les animaux d’élevage ou domestiques. Le fond du problème, ajoute-t-il, n’est pas la consommation de produits carnés mais la souffrance animale ».
Le fond de la question, c’est de retirer à l’homme son permis de tuer. Après le féminicide, voici l’animaucide. Depuis l’aube du monde, on habille la cruauté humaine de tout un récit destiné à la banaliser. Se nourrir ne doit plus être l’art poétique d’agencer les saveurs issues de toutes les composantes de la nature, vivantes et végétales, terrestres et marines. La carte des menus doit devenir aussi aseptisée qu’une notice de médicament. D’aucuns diront que la guerre à l’alimentation carnée recèle une sorte de purisme, de dégoût fanatique de la chair (et même du sexe) qui fait ressembler les véganes à des cathares 2.0. D’aucuns affirmeront aussi que cette tendance à mettre le monde sous cellophane est un trait distinctif de l’Amérique puritaine qui, pour prolonger sa domination, transforme le champ culturel en champ de bataille permanent. Peut-être. Mais l’impéralisme de l’Oncle Sam ne résume pas tout. Souvenons-nous de ce couplet bien français de notre Renaud « national », auteur de Hexagone (1975) :
En décembre c'est l'apothéose,
La grande bouffe et les petits cadeaux,
Ils sont toujours aussi moroses,
Mais y'a de la joie dans les ghettos,
La Terre peut s'arrêter de tourner,
Ils rateront pas leur réveillon
Moi je voudrais tous les voir crever,
Étouffés de dinde aux marrons.
Un jour, mettre une dinde dans le four sera peut-être un crime contre l’animalité.