Un affluent du fleuve Amazone à un niveau historiquement bas
L'an passé, 70 % du territoire brésilien a connu plus de 140 jours consécutifs sans pluie. Cette carence de précipitations sur le bassin amazonien s'explique par deux phénomènes naturels : d'une part, le phénomène El Niño, qui provoque un réchauffement des eaux de l'océan Pacifique à l'équateur, et d'autre part, les températures élevées des eaux tropicales de l'Atlantique Nord, qui conduisent les masses d'air humide à se déplacer vers d'autres régions, réduisant ainsi les précipitations en Amazonie.
Le bulletin d'alerte hydrologique du Service géologique du Brésil avait pointé du doigt le faible niveau de précipitations dès le mois de juin. L'Amazonie a son régime propre de pluies et de sécheresses, la saison des pluies s'étendant généralement de novembre à mars et la saison sèche d'avril à octobre. L'Institut de recherche amazonienne (IPAM) avait anticipé le fait que les précipitations causées par les effets de La Niña, phénomène climatique inverse d'El Niño, se feraient sentir à la fin de l'année 2024, avec des répercussions sur la prochaine saison sèche.
Par son aspect spectaculaire et en raison des records de l'an passé, le faible niveau du Rio Negro a conduit à de grands débats sur les tendances climatiques dans la région. Les dernières conclusions du GIEC (p. 215) parlent cependant d'une « faible confiance » sur les tendances observées de la sécheresse à l'échelle mondiale. Il convient de se souvenir que les périodes de baisse de niveau des fleuves amazoniens sont cycliques et souvent suivies de périodes d'inondations : en juin 2021, Manaus, capitale amazonienne, avait subi de fortes inondations qui dépassaient les records antérieurs. Ces deux cas extrêmes illustrent que les sécheresses comme les inondations font partie de la variabilité naturelle du système amazonien, imprévisibles sur le long terme.
À court terme, les autorités brésiliennes, prévenues par les organismes scientifiques, avaient prévu des mesures pour atténuer les conséquences de la sécheresse actuelle. En juin, le gouvernement d'Amazonas avait déjà installé 42 stations du système de traitement d'eau simplifié Água Boa. L'État avait également distribué des équipements de stockage de l'eau, des médicaments, et avait mis en place les projets comme Aula em Casa (« classe à la maison ») pour soutenir les populations locales. Enfin, les autorités avaient passé des marchés pour le dragage de certaines sections des fleuves Amazone et Solimões.
Malgré les mesures, l'ampleur du phénomène fut loin d'être sans conséquences pour les populations concernées. Soixante-deux municipalités amazoniennes ont déclaré l'état d'urgence et 770 000 personnes qui dépendent du fleuve ont été atteintes. Les difficultés d'accès aux aliments et à l'eau potable ainsi que la rareté du transport fluvial ont aggravé les conditions et ont posé de sérieux défis logistiques. La Marine brésilienne a dépêché des navires hydrographiques pour mesurer la profondeur et ouvrir des voies de passage. Sur le Rio Madeira, également affecté, la centrale hydroélectrique de Santo Antônio a réduit sa production, obligeant le Brésil à augmenter ses importations d'énergie.
Ces événements se produisent dans un contexte tendu d'élections municipales au Brésil. Le Tribunal électoral régional d'Amazonas a mobilisé des hélicoptères pour transporter les urnes vers 78 bureaux de vote inaccessibles par voie terrestre ou fluviale. À l'échelle nationale, le premier tour des élections municipales a « confirmé la résilience du bolsonarisme », courant politique de l'ex-président Jair Bolsonaro, en vue de l'élection présidentielle de 2026. Si les élections ont souligné le retour des forces de droite, la situation en Amazonie a aussi influencé le débat sur la gestion des espaces naturels.
Au cœur de ce débat est revenue l'idée de l'aménagement des fleuves pour réduire les variations extrêmes du niveau de l'eau. D'une part, l'amélioration des infrastructures fluviales, comme le projet de construction de 428 nouveaux barrages hydroélectriques dans le bassin amazonien, permettrait un meilleur contrôle du niveau des eaux, tout en augmentant la production d'énergie renouvelable. En revanche, l'alternance du niveau des fleuves est cruciale pour certains écosystèmes et pour les cycles de sédimentation des sols. Les limons transportés par les fleuves sont essentiels au maintien des mangroves qui abritent une multitude d'espèces et jouent un rôle majeur dans la protection des côtes et des forêts. Enfin, les communautés autochtones dépendant de la pêche risquent d'être affectées.
Le débat entre partisans de l'aménagement et ceux des rivières sauvages reste ouvert. Actuellement, il n'existe pas de barrage sur le Rio Negro lui-même, mais des projets sur son affluent le Rio Branco. Le Rio Madeira, plus aménagé, est une bonne comparaison : ses deux immenses barrages de Santo Antônio et de Jirau permettent d'alimenter de nombreux foyers en électricité, mais demeurent controversés en raison de leurs conséquences. Les électeurs amazoniens s'attendent à des réponses efficaces, et certains soutiennent que les barrages pourraient réguler les fluctuations et garantir une disponibilité constante de l'eau. En Europe, des barrages ont été construits dans ce but. Mais ici comme là-bas, aménager les fleuves impose de soupeser les conséquences écologiques et d'arbitrer.